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1106Fort justement, le commentateur et ex-diplomate indien MK Bhadrakumar juge que la politique d’Obama contre Poutine est un échec. Par “politique”, entendons bien ceci qui est la guerre de propagande, de discrédit, de diffamation politique et morale, que les USA avec leurs divers comparses BAO ont suivi depuis plusieurs mois contre la Russie, et plus précisément contre le président russe. Très justement, Bhadrakumar remarque (le 27 décembre 2014 sur son site IndianPunchLine) que les tombereaux d’“ordures” déversés sur l’image et le statut du président de la Fédération de Russie n’ont pas servi à grand’chose : Poutine est décrit par Bhadrakumar comme “nonchalant” vis-à-vis de ces attaques de pure et très basse propagande, – et nous dirions même flegmatique et ironique à la fois, sans jamais perdre son sang-froid...
«The Cold-War style propaganda against Russian President Vladimir Putin in the western media may have peaked. So much garbage has been thrown at the Russian leader that the inventory must be getting depleted. But amidst all the mudslinging, Putin himself remains nonchalant, again belying the western character sketches of him that he can’t take criticism. Apparently he can.»
Là-dessus, Bhadrakumar passe à la popularité de Poutine, qui reste au-dessus des 80% dans son pays. Il cite une enquête qui vient d’être réalisée par Associated Press et le NORC du Center for Public Affairs Research de l’université de Chicago. La popularité de Poutine est confirmée, ainsi que le soutien massif des Russes à sa politique dans la crise ukrainienne, leur confiance dans la politique menée malgré les sanctions et l’effet économique défavorable qui touche la Russie, leur soutien du mouvement séparatiste du Donbass pour au moins deux tiers des personnes interrogées, etc.
«The poll is particularly interesting because NORC in the University of Chicago (where Obama taught for 12 years ending as a professor) also works for the “government agencies” to provide data and analysis that “support informed decision making in key areas.” Suffice it to say, the AP-NORC poll would have come to the attention of the White House and possibly, Obama’s aides might even have drawn his attention to it. How should Obama view the startling results of the AP-NORC poll? Evidently, the poll shows that his Russia policy is in a shambles...»
La politique d’Obama est dans un “désordre total” parce que son principal objectif reste le regime change en Russie, qui passe par un effondrement de la popularité de Poutine conduisant à un vaste mouvement de protestation (qui serait alimenté sinon suscité par les moyens qu’on sait, par la subversion US). Si, au contraire, le soutien des Russes à Poutine ne cesse de se confirmer, effectivement l’échec est complet pour Washington, parce que rien ne pourrait susciter cette dynamique du regime change. Par ailleurs, les espérances mises par les USA dans un effondrement économique de la Russie menant, là aussi selon la même logique, à un effondrement de la popularité de Poutine ouvrant la voie à un regime change, ces “espérances” s’avèrent absolument irréalistes («True, Russian economy is in difficulty, but aside the propagandists in the West presenting apocalyptic visions, no one seriously expects the Russian economy to come down on its knees»). D’où un formidable “défi intellectuel” pour Obama. Bhadrakumar, qui a toujours eu et continue à avoir un très grand respect pour les capacités intellectuelles du président US, et surtout avec a conviction que ce président peut effectivement décider un changement de politique à Washington, émet donc implicitement l’hypothèse qu’Obama devra changer la politique US vis-à-vis de la Russie.
«All in all, Obama faces a formidable intellectual challenge here. Does he press ahead with more of the same mindless bluster passing off as Russia policy in the next year too? If that is the case, what is it that he hopes to achieve? By now it is widely accepted by American pundits that Putin doesn’t blink. What does that belated realization mean? It can only mean that this confrontation, unless ended now, could be about to enter a dangerous escalatory spiral... [...] [...R]egime change is, clearly, not something the Russian people want – according to the AP-NORC poll. Where does that leave Obama? Without doubt, Russia has become a major foreign-policy challenge for Obama and it is inconceivable that a cerebral man like him would want to be known in history for the dubious twin reputation of being the US president and a Nobel Laureate who rekindled the flames of the Cold War.»
Avant d’en venir à sa conclusion (« it is inconceivable...», etc.), Bhadrakumar a consacré un paragraphe à la psychologie et à l’état d’esprit des Russes. Il fait litière de la narrative implicite du bloc BAO, le mépris généralement affiché pour les Russes, et observe exactement le contraire, – savoir que la maturité des Russes et leur conscience aigue de l’attaque dont leur pays est l’objet constituent les causes principales du soutien qu’ils apportent à Poutine : «What Obama overlooks is that the Russian people are very different from the average American who is gullible about what goes on in the world outside. The Russian people are literate and politically conscious – thanks to the Soviet legacy – and they do understand what the US’ ‘containment strategy’ toward Russia or NATO’s expansion is all about. They understand that Ukraine crisis is an existential struggle for strategic balance with America. So, they want Putin to stay on course.»
Ces remarques sont importantes et elles confirment une fois de plus ce qu’on doit penser de la psychologie et de l’état d’esprit des Russes, qui sont quasiment le contraire de ce qu’en pensent les dirigeants-Système à Washington. (Ne parlons pas de la population US qui est, effectivement, comme on peut le lire entre les lignes de l’analyse de Bhadrakumar, totalement ignorante de cette psychologie et de cet état d’esprit. A cet égard, il y a une certaine unanimité, et une unanimité parfaitement démocratique il faut le noter, dans l’erreur grossière, l’incompétence, l’ignorance américanistes de la Russie. Ce n’est pas nouveau, tant on connaît le désintérêt US pour tout ce qui n’est pas US et rien qu’US. Dans les registres de la stupidité et de l’inculture, la démocratie américaniste fonctionne on ne peut mieux.)
• Toute la stratégie du regime change des USA est de miner la position de Poutine pour faciliter les conditions de manipulation subversive permettant son renversement. Le problème est que les dirigeants-Système, voire le Système lui-même, sont persuadés que la popularité de Poutine est d’ordre individualiste et consumériste : “Poutine a amélioré nos conditions de vie depuis 2000, il a rétabli la stabilité politique, nous le soutenons”, se diraient les Russes selon cette interprétation. Donc, il suffirait de susciter de très dures conditions économiques et un sentiment d’insécurité et d’instabilité appuyé sur des menaces de coercition pour faire dégringoler la popularité de Poutine et préparer les conditions du regime change”, se disent les dirigeants-Système américanistes. Pour eux, la popularité de Poutine précède la crise et peut être aisément réduite par des conditions de plus en plus durcies de cette crise.
• Au contraire, notre jugement est que la popularité de Poutine est la conséquence directe de son action dans la crise ukrainienne, ce que disent d’ailleurs tous les sondages lorsqu’on les interprète selon leur chronologie. C’est le fameux sentiment de patriotisme des Russes, qui joue à fond pour le soutien du président russe. De ce point de vue, s’il y avait une tentative de regime change avec des chances d’aboutir aujourd’hui, ce serait parce que Poutine ne serait pas assez ferme vis-à-vis du bloc BAO, et la plus grande probabilité serait son remplacement par un ultra-nationaliste beaucoup plus dur que lui.
• Le sondage NORC va-t-il faire changer d’avis les dirigeants américanistes et notamment Obama, comme semble l’envisager Bhadrakumar ? Ce n’est pas la première fois que le diplomate indien devenu commentateur émet cette hypothèse, et il a été chaque fois déçu. Il le sera une fois de plus. Il y a au moins deux raisons à cela : 1) si Obama changeait d’avis et voulait lancer une politique d’ouverture et de réconciliation avec Poutine, il ne le pourrait certainement pas, parce que le Système veille et repousse toute tentative de cette sorte ; 2) ... mais il est très probable qu’Obama ne changera pas d’avis car il est lui aussi “opérationnalisé” par une psychologie américaniste du type exceptionnaliste, de l’inculpabilité et de l’indéfectibilité qui interdisent l’expérience de l’erreur en politique et la possibilité de la défaite qui s’ensuit, – excluant donc le changement d'avis et le changement de politique... Au contraire, notre appréciation est que les USA restent persuadés de la justesse de leur analyse de la popularité de Poutine et qu’ils vont encore accentuer les pressions dans le sens qu’il croit efficace pour, à un moment ou l’autre, faire s’effondrer cette popularité, et précipiter la Russie dans un processus de regime change qui leur serait favorable (à eux, USA). Ce faisant, ils obtiendront le résultat inverse d’exacerber l’hostilité des Russes à leur encontre, de renforcer leur patriotisme et leur volonté de résistance ; et Poutine restera à ses plus de 80% de popularité tant qu’il répondra à cette attente, même avec habileté et prudence...
Mis en ligne le 28 décembre 2014 à 11H09
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