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1172Le chroniqueur commence par rappeler la fameuse phrase de John K. Galbraith sur les économistes : “il y a deux sortes d’économistes, ceux qui ne savent rien de l’avenir et ceux qui savent qu’ils ne savent rien de l’avenir”. Puis vient la confession d’Anatole Kaletsky, dans The Times du 29 décembre 2008; son dernier article de l’année où il consulte d’un œil critique ce qu’il écrivit en fait de prévisions dans son premier article de l’année, “d’habitude un exercice en humilité, […] devenu cette année une cérémonie rituelle d’humiliation”.
Au moins, concédons à Anatole Kaletsky la vertu de l’honnêteté rétrospective…
«I hereby confess that on or about January 14, 2008, acting of my own free will, not under the influence of any drug and aware of the consequences of my actions, I wrote the following statements in The Times: “The global credit crisis, far from taking a turn for the worse, is now almost over” and “There will be no US recession” and “Stock markets around the world will rise in 2008”. Some of my other points now seem less stupid: that Britain and Europe would suffer worse housing and consumer slumps than the United States and that sterling would fall against every leading currency. However, these pale in comparison with my basic misjudgment and I must apologise to anyone misled by my analysis.»
«What went wrong?», s’interroge Kaletsky, qui ne s’accorde comme piètre circonstance atténuante qu’il ne fut pas le seul à se tromper («First, the predictable excuse that others were also guilty. Almost everyone underestimated this year's disasters…»). Accordons-lui également que son explication générale est satisfaisante, parce qu’elle n’a rien à voir avec le raisonnement, avec la raison mise au service de la foi, et tout avec la psychologie, qui nourrit effectivement cette foi incroyable et maintenue contre toutes les évidences, qui caractérise les grands esprits de notre temps, ceux qui font office de grands esprits… Il s’agit de “la foi dans les marchés”.
«Why, then, did everything go so disastrously wrong at that point?», interroge le chroniqueur à nouveau, après avoir décrit cette désastreuse années 2008, l’accumulation extraordinaire d’erreurs, de certitudes bafouées, de prévisions ridiculisées et ainsi de suite.
«Behind all these misjudgments was the naive belief that markets are always right and that interfering with market forces is always wrong. This boom in “market fundamentalism”, which Soros brilliantly described in his book, has now turned to an equally dangerous bust in capitalist self-confidence, just as he predicted.
»My biggest mistakes this year all came down to the disagreement with Soros that I described here in January: I believed that the instinct of self-preservation among politicians would prove much more powerful than market fundamentalist ideology. The credit crunch would, therefore, be ended quickly by a government-led Plan B, involving wholesale credit guarantees, bank nationalisation, regulatory forebearance and debt forgiveness. This is now happening, but only after the boom in market fundamentalism brought the world much closer to disaster than I ever imagined possible.»
… Au reste, on notera que Kaletsky, qui signale ici la réflexion avisée et brillante de Soros sur le “market fundamentalism” (nous n’osons traduire parce que “fondamentalisme du marché” nous paraît si ridicule, si peu sérieux), n’en signale pas moins que Soros, malgré tout, y céda comme les autre. «But consider even George Soros. In his book The New Paradigm for Financial Markets, Soros precisely anticipated and described the dynamics of a gigantic “super-cycle”, driven not only by too much borrowing but also by too much faith in deregulated market forces. Yet Soros bought shares in Lehman just days before its collapse.»
Par conséquent, nous explique Kaletsky, le monde est entré dans sa plus formidable crise depuis la grande Dépression, et peut-être pour éclipser la Grande Dépression, parce que ces messieurs-dames ont eu leurs nerfs. «It was only when the entire world financial system suffered this unprecedented nervous breakdown that the real economy of consumption, jobs and industrial orders fell off a cliff. The corollary is that the world economy might well have avoided a serious recession had it not been for the Fannie and Lehman blunders, which triggered the greatest banking panic the world had ever seen.»
Nous autres, ici, à dedefensa.org, prenons bien soin de préciser, chaque fois que cela nous paraît nécessaire, notre grande faiblesse dans le domaine de la “science” économique, par conséquent notre réticence extrême à faire des prévisions sur les événements. Cette faiblesse est peut-être moins la conséquence de l’ignorance que de la prudence avisée, pour mieux envisager d'autres voies de réflexion. Nous ne cessons de répéter et de répéter l’importance de la psychologie dans les comportements, les jugements, les décisions, et d’une psychologie qui est aujourd’hui totalement pervertie et corrompue. Cette “foi dans les marchés”, bien sûr, n’est pas la moindre des corruptions; mais on trouve aussi d’autres corruptions, par exemple lorsque Kaletsky écrit, qui pourrait bien laisser pointer le bout de l’oreille pour la suite en mode persevere diabolicum: «The credit crunch would, therefore, be ended quickly by a government-led Plan B, involving wholesale credit guarantees, bank nationalisation, regulatory forebearance and debt forgiveness. This is now happening…» Le ton laisse entendre qu’après tout, le pire pourrait être passé après que la folie ait épuisé tous ses excès. Mais un lecteur, avec son scepticisme et son cynisme bienvenus, ajoute cette seule phrase en commentaire: «So will we reach plan F by the end of 2009?» Effectivement, lorsqu’on considère la formidable trouvaille de Gordon Brown pour 2009, – des “relations spéciales” avec les USA, oups, – il y a de quoi s’interroger sur l’efficacité de la politique prenant la main dans cette grande crise.
Qu’on ne s’y trompe pas: nous considérer que la résurgence de l’interventionnisme de la puissance publique à l’automne 2008 est une bonne chose, tout en observant qu’on ne distingue guère ce qu’on aurait pu faire d’autre. La bonne chose est que cela restaure dans la perception de la situation du monde le principe de la primauté du politique sur la folie économiste; cela ne résout rien pour autant, tant s’en faut. La vertu d’un principe n’inspire pas nécessairement ceux qui sont contraints d’affirmer ce principe. S’il réaffirme la vertu du principe, Brown n’en est pas moins fou; Brown est un “croyant” comme les autres, aussi totalement plongé dans la représentation virtualiste du monde, entre la trouvaille des “relations spéciales” avec les USA et le truc-GSD qui vous propose de tout mettre en œuvre, y compris l’interventionnisme massif de la puissance publique, pour que “les marchés” continuent à avoir tout à dire.
Par conséquent, nous continuons à nous en tenir à notre prudence prospective dans un domaine que nous ne connaissons pas, et dont nous constatons qu’il est entièrement manipulé par des caractères qui n’ont rien à voir avec ses spécificités techniques qui constituent l'outil essentiel de la prévision. Par conséquent, nous continuons à croire et penser, – sorte de conviction appuyée sur la raison qui considère et tente d’analyser l’irrationalité du monde pour ce qu’elle est, c’est-à-dire omniprésente, – que la folie identifiée aujourd’hui comme “la foi dans les marchés”, et qui prendra demain une autre forme, est toujours agissante, toujours à plein régime, toujours habillée d’un discours rationnel et positif qui n’a cure de la réalité du monde comme de sa première chaussette.
D’où notre inclination à penser que la crise continue, que les prévisions continuent à être faussées par le même zèle du croyant et ainsi de suite; notre conviction, en d’autres mots, que l’Histoire déchaînée mène le bal, et à son rythme vertigineux, que les petits hommes, piètres danseurs, ne parviennent pas à suivre, et persistant avec une alacrité étrange dans l’erreur. Lumineuse est cette phrase d’un humble lecteur (“Jeff”) de Robert Reich, qui est dite à propos de la situation aux USA, mais qui pourrait valoir pour la situation du monde en général, la crise, la foi des croyants et tout le toutim: «The debate amongst smart people like yourself does not matter at this point. Events will decide the general direction of reform.» Pour l’instant, point final.
Mis en ligne le 29 décembre 2008 à 07H06
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