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1386Ceci en complément du grand “débat”, – de la grande absence de débat, en France, autour du discours de Sarko… La question de la souveraineté et de l’indépendance, par rapport à l’acte de “rentrer dans l’OTAN” (avec les limites qu’on sait, la chose étant techniquement quasiment faite). Le problème de l’OTAN est moins la sujétion aux USA qu’une érosion du sens de l’intérêt national. De Gaulle fustigeait les putschistes d'Alger d’avril 1961, dont le général Challe qui avait été commandant en chef Centre-Europe et avait de nombreuses amitiés dans les milieux de l’OTAN, moins pour leur subordination supposée aux USA, que pour la dénaturation du “sentiment national” qu’impliquaient les commandements multinationaux chez les généraux français, et qu’eux-mêmes avaient montrée. Irwing Wall rapporte, dans Les Etats-Unis et la guerre d’Algérie (voir notre rubrique de defensa, du 7 avril 2007), à partir de documents du département d’Etat, lors d’une rencontre de Gaulle-Kennedy :
«Pour [de Gaulle], l’intégration des forces françaises dans l’OTAN était inacceptable: la tentative de putsch d’avril était une conséquence de la “dénationalisation” des défenses de la France, qui avait fait perdre aux militaires le sens de leur responsabilité nationale. [Le putsch d’avril 1961] était la faute du système de commandement intégré de l’OTAN plutôt que du problème algérien.»
Pour embrasser la totalité de cette question, il faut avoir à l’esprit que les mêmes reproches implicites sont faits aux généraux US dans l’Alliance, dans certains centres de pouvoir US. Il y eut beaucoup de remous, constamment, entre le Pentagone et le SACEUR, le premier reprochant souvent au second de faire passer les intérêts collectifs de l’Alliance devant les intérêts US. Ce fut le cas notamment avec Goodpaster (1969-1974), avec Haig (1974-79), avec Rogers (1979-1985), avec Clark (1997-2000), avec notamment des départs prématurés et dans la polémique pour Haig et Clark. La formule est connue, d’ailleurs, y compris au niveau des coalitions ad hoc: le généralissime Foch fut souvent accusé par Pétain (et parfois par Pershing) en 1918 de favoriser les Anglais de Haig et le commandant en chef suprême Eisenhower fut voué aux gémonies en 1944 par le commandant de la IIIème Armée US Patton, parfois soutenu par Bradley, pour favoriser systématiquement les Anglais de Montgomery, – notamment en septembre-octobre 1944, lorsque Patton fut bloqué parce que l’approvisionnement en carburant allait en priorité vers Montgomery qui lançait l’opération Market Garden vers la Hollande, se terminant par la catastrophe de Arhnem.
Le cas est beaucoup plus complexe encore aujourd’hui. L’OTAN est partie en guerre dans un conflit (l’Afghanistan) où les “intérêts multinationaux” (ceux de l’OTAN) sont autant mis en cause que les divers intérêts nationaux des pays impliqués. Souvent, ils ne coïncident pas du tout, d’une façon visible, y compris entre les USA et l’OTAN. La question de la souveraineté est devenue beaucoup plus difficile à réduire à une simple équation avec un côté positif et un côté négatif, une “culture multinationale” opposée à des intérêts nationaux et ainsi de suite. D’autre part, l’abondance des membres a fait perdre à l’OTAN son unicité de “culture” et l’on ne peut plus parler d’une “culture multinationale” unitaire, s’opposant aux souverainetés ou aux intérêts nationaux. Techniquement et bureaucratiquement, la culture anglo-saxonne est évidemment dominante mais elle ne l’est plus d’une façon impérative comme elle l’était encore dans les années 1990 jusqu’au sommet à cet égard que fut la guerre du Kosovo. D’une façon assez paradoxale ou bien significative, la “culture multinationale” de l’OTAN a été affectée par les avatars rencontrés par ses principaux membres anglo-saxons depuis quelques années. Le désordre des nations, au lieu de renforcer le “centre multinational”, a plutôt alimenté un certain désordre dans son sein. Derrière une unité de façade, souvent déclamatoire plus que concrète (voir la difficulté d’obtenir des forces en Afghanistan), on constate une évolution plutôt fragmentaire où le concert discordant de membres aux intérêts contradictoires se fait de plus en plus entendre. L’OTAN est plus que jamais une organisation multinationale, sans aucun des traits fondamentaux d’une organisation supranationale; si elle reste dans certains domaines une courroie de transmission de l’hégémonie US, elle l’est beaucoup moins que durant la Guerre froide, où elle disposait alors d’une structure puissante, homogène, efficace et soudée par la clarté de l’enjeu stratégique.
Mis en ligne le 18 juin 2008 à 16H56