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2149Le Sommet des Amériques s’est conclu hier par une conférence de presse commune des chefs d’États ou de leurs représentants (plusieurs absents, dont Chavez, pour raison de santé). La chose a fixé l’événement, en mettant bien en évidence, non pas la défaite, non pas l’échec mais la déroute des USA face aux pays du reste des deux Amériques (Canada mis à part, sans le moindre poids dans cette partie), – c’est-à-dire, essentiellement, ceux du bloc de l’Amérique latine.
Un texte de Reuters, du 16 avril 2012, synthétise parfaitement cette situation, dont les effets vont se faire sentir, grandissants et dévastateurs, dans les mois à venir.
«President Barack Obama sat patiently through diatribes, interruptions and even the occasional eye-ball roll at the weekend Summit of the Americas in an effort to win over Latin American leaders fed up with U.S. policies.
»He failed.
»The United States instead emerged from the summit in Colombia increasingly isolated as nearly 30 regional heads of state refused to sign a joint declaration in protest against the continued exclusion of communist-led Cuba from the event.
»The rare show of unity highlights the steady decline of Washington's influence in a region that has become less dependent on U.S. trade and investment thanks economic growth rates that are the envy of the developed world and new opportunities with China. It also signals a further weakening of the already strained hemispheric system of diplomacy, built around the Organization of American States (OAS) which has struggled to remain relevant during a time of rapid change for its members. […]
»“It seems the United States still wants to isolate us from the world, it thinks it can still manipulate Latin America, but that's ending,” said Bolivian President Evo Morales, a fierce critic of U.S. policy in Latin America and staunch ally of Venezuela's leftist leader Hugo Chavez. “What I think is that this is a rebellion of Latin American countries against the United States.” […]
»…Obama's staid charm was unable to paper over growing differences with the region. Facing a tough re-election race this year, Obama had no room to compromise on the five-decade-old U.S. embargo on Cuba that is widely supported by conservatives in the United States, and particularly the anti-Castro exile community in Florida, a key state in a presidential vote.
»U.S. insistence that Havana undertake democratic reforms before returning to the hemispheric family led to a clash with a united front of leftist and conservative governments that see Washington's policy toward Cuba as a relic of the Cold War. The unexpected result was a diplomatic victory for Havana.
»The newfound regional unity on Cuba may augur a growing willingness across the political spectrum to challenge the U.S. State Department on thorny issues for years considered taboo. That could include insistence that the United States assume greater responsibility for reducing consumption of illegal narcotics as an alternative to the bloody war on drugs and its rising toll on Latin America. “From the so-called Washington consensus ... toward a nascent consensus without Washington for a united Latin America,” tweeted Venezuela's foreign ministry, referring to orthodox economic policies advocated by Washington in the 1990s.»
On a vu, au début de cet extrait, un portrait plutôt flatteur d’un Obama patient et même stoïque devant la fureur des assauts convergents de tous ses “partenaires” du bloc latino-américain. Effectivement, c’est la paradoxale vertu de cet homme, d’une rare finesse qu’il emploie rarement à bon escient, d’être dans ce cas parfaitement dans son rôle, qui nous suggérerait de saluer une superbe illustration de la vertu stoïque de “la dignité dans l’effondrement” : l’homme qui sait encaisser avec une attitude digne et remarquable le constat de l’effondrement de l’influence US dans son “arrière-cour”, dont le bail a été brutalement résilié à Carthagène. D’où le compliment qui lui est adressé par un des “amis” en théorie les plus sûrs, qui n’a pas été le dernier à attaquer Washington (le Mexicain Calderon, homme du Système et adepte de l’américanisme, placé à Mexico en 2006) ; compliment particulièrement amer, d’autant plus amer qu’il est sincère, s’adressant à l’élégante capacité d’Obama à recevoir des coups, à être piétiné, à accueillir avec flegme la proclamation de la fin de la toute puissance yankee… «[Obama] was in fact commended by several presidents for listening politely to political leaders, helping soften perception of U.S. officials as arrogant and domineering. “I think it's the first time I've seen a president of the United States spend almost the entire summit sitting, listening to the all concerns of all countries,” said Mexican President Felipe Calderon. “This was a very valuable gesture by President Obama.”
Finalement et à la réflexion, l’effet le plus formidable de ce Sommet des Amériques est qu’une agence aussi réputée que Reuters, et pas vraiment antiSystème pour autant on peut en être sûr, puisse conclure que “le résultat inattendu [du Sommet] est une victoire diplomatique pour Cuba” (et, selon nous, il devrait être dit, en regard de la disparité des deux forces qui s’affrontèrent : une très grande, une retentissante “victoire diplomatique”)… Cuba, à la fois jugé dans les think tanks comme l’un des derniers bastions du plus dangereux de tous les totalitarismes, par les experts en géopolitique idéologisée du Système ; à la fois méprisé dans les salons comme une vieillerie croulante et poussiéreuse sans plus aucune capacité d’être “à la mode”, par les débris épars des cohortes qui se précipitaient dans les années 1970 pour faire allégeance au duo Castro-le Che ; Cuba, absent, sans capacité de plaider sa cause, privé de son plus ardent avocat (Chavez), triomphant des États-Unis devant le tribunal des Amériques, quel retournement ! (Quant aux jugement mentionnés ci-dessus, du danger totalitaire à la vieillerie dépassée, on les appréciera à la lumière, par exemple, du grand tremblement de terre d’Haïti du début 2010, qui vit Cuba envoyer une formidable aide médicale, la plus efficace et la plus avancée de toutes les aides nationales à cet égard, tandis que les USA envoyaient… des Marines.)
Le fait de cette victoire, justement sans nombre des trublions extrémistes comme Chavez (ou comme Noriega, qui n’était pas venu), mesure le chemin parcouru par la dissidence sud-américaine. On pensait ces dernières années que l’Amérique du Sud avait besoin de ces aiguillons extrémistes, dont Chavez était le maître incontesté, pour alimenter la dynamique antiaméricaniste ; et l’on pouvait s’interroger à ce propos, à cause de l’état de santé de Chavez qui continue à se dégrader. La Sommet de Carthagène a montré que la “dynamique antiaméricaniste” vit désormais de ses propres ailes et de la force de sa propre logique. Le regroupement se fait d’une façon très accélérée, avec même les conservateurs jusqu’alors pro-US qui intègrent le bloc latino-américain dans sa logique antiaméricaniste. Bientôt, ils pourront dire, comme au temps des révolutions, “Nous sommes tous des Hugo Chavez”. Il se révèle finalement que l’opposition latino-américaine est désormais alimentée puissamment par l’effondrement américaniste, qui fournit lui-même les arguments et l’aliment de l’émancipation totale de l’Amérique latine.
…En passant mais sans trop s’attarder, à cause du sentiment sans joie et un peu dépressif que la remarque fait naître : qui n’aurait à l’esprit, à un moment ou l’autre, l’idée d’une comparaison entre le comportement des pays européens vis-à-vis des USA dans cette sorte de conférences, et ce qui s’est passé à Carthagène ? Cela, c’est le triomphe de nos “valeurs”.
Mis en ligne le 17 avril 2012 à 10H59
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