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583Il y a eu de nombreux récits de l’attaque de l’ambassade israélienne au Caire, et avec eux les sentiments et réflexions que cette attaque a fait naître. En général, les élites égyptiennes, y compris, et même surtout, dans l’“opposition” libérale au régime Moubarak ou aux restes du régime Moubarak, forces politiques autour du centre-gauche disons, se sont montrées très critiques de cet incident. Cet aspect-là des réactions nous a paru assez intéressant pour que nous nous y attachions spécifiquement. Ces réactions permettent de mieux saisir la position d’une partie importante du monde politique égyptien, la plus réformiste, la plus proche, peut-être pas nécessairement du modèle du bloc américaniste-occidentaliste, mais au moins de ce que le bloc BAO s’imagine qu’il y a de vertueux (proche de lui-même, donc) dans le “printemps arabe”, style-Egypte.
Pour cela, nous avons consulté une chronique d’un intellectuel égyptien, Issandr El Amrani, correspondant en Egypte de diverses et prestigieuses publications (Financial Times, The Economist, Foreign Policy, London Review of Books, etc.). Al Amrani a son blog sur le site Arabist.net et, le 10 septembre 2011, il a donné quelques-uns de ses sentiments sur l’attaque.
(A noter qu’Amrani fait d’abord cette remarque intéressante sur l’une des cause matérielles de l’hostilité renouvelée contre l’ambassade, tenant à l’obsession de sécurité des forces acoquinées au Système, qui aboutit à des effets inverses : «The construction of a wall outside the embassy was almost a provocation to people to come and bring it down. The symbolism of a wall was not lost on any one and merely angered people.» Le mur avait été construit à la suite des premières attaques contre l’ambassade, par les Israéliens eux-mêmes, et aussitôt devenu le réceptacle favori de graffitis anti-israéliens, et comme une incitation à l'exacerbation anti-israélienne.)
Voici le sentiment plus général de Issandr El Amrani sur l’attaque elle-même. Ce jugement restitue bien une position assez générale de désapprobation, au Caire, dans tous les milieux dirigeants, et surtout les milieux libéraux “de gauche”, face à cet événement…
«The act of entering the embassy was not just illegal (in terms of domestic and international law), it was mindless and showed a poor sense of strategy and priority. It will hurt the credibility of the protest movement at home and abroad, reinforce fears of a country getting out of control domestically, and distract from the more important issue of Egypt's still uncertain democratic transition. And it will not achieve, beyond the fleeing of most Israeli officials in Egypt for now, much to change the nature of the Egyptian-Israeli relationship. Even with only one senior embassy official remaining, the strategic relations are now taking place chiefly military to military through liaison offices that operate far away from where the embassy is located. This action does nothing to change Egyptian policy, and certainly nothing to help Palestinians, like fully ending the blockade of Gaza would.
»But what's worse about the incident is that it shows how the revolution's positive energy — the desire for better governance, greater democracy and a more dignified foreign policy — is being dissipated.»
Dans les réactions des lecteurs, on trouve un long texte d’une journaliste, elle-même amie d'Amrani, de la même tendance que lui-même. Il s’agit de Yasmine El Rashidi, qui collabore notamment au New York Review of Books, et qu’on a déjà citée dans un texte récent (le 5 septembre 2011). Yasmine El Rashidi est intéressante parce que, d’une part, elle exprime ses sentiments généraux de libérale sans doute proche des “valeurs” occidentalistes et, d'autre part, elle donne des détails très précis sur l’attaque. C’est elle, justement, qui dément complètement la version d’une attaque montée par des islamistes, comme celle que donne DEBKAFIles… (Pour SCAF, lire Supreme Council Armed Forces, qui est la junte militaire actuellement en contrôle des affaires, qu'Amrani critique violemment dans son texte pour n’avoir pas empêché l’attaque contre l’ambassade.)
«It is shocking that SCAF didn't intervene earlier, but no matter which way they go, they couldn't win on this one. I was there through the afternoon and night, and the only way to disperse those crowds would have been with force. Had SCAF done that earlier in the day, it would have only provoked the protesters further, and probably attracted more shabab. It would have been yet another huge black point against SCAF that would have led to another anti-SCAF demo and critique by MANY (including western observers) that SCAF is using the same harsh security tactics as Mubarak's regime. The protesters have always claimed to be peaceful, and yesterday SCAF said it would support peaceful demonstrations. It was when they realised that embassy papers were flying out of the windows (at which point protesters were also beginning to grab guns and shields from the riot police on alert) that the tear-gas attacks started. Yes we all have problems with SCAF and how it is managing things, but lets be honest: It can't win in the current fragmented landscape we are in. Whichever way it goes there is an angry faction.
»The other thing to point out, is that while anti-Israel sentiment is wide-spread, many of those outside the embassy yesterday were young, restless, unemployed young men (I interviewed scores of them). This was thrilling for them, and while I'm sure they have inherited resentment towards Israel, they could have been stirred up to protest over anything else. Many of them I spoke to had simply "heard there was stuff going on at the Israeli Embassy" and so rushed to join. It's action, and they love it.
»You don't bring this up but let me since I see this accusation flying around on Twitter: Last night had nothing to do with the Islamists - or very little. Few of those there were Islamists. Most of them were the youth I mention, the usual gathering of English-speaking Twitterati, and the socialist activists, who are actually the ones who had first called for a march from Tahrir to the embassy.
»Big question is, if we are so determined to get rid of SCAF, why aren't we actually organizing ourselves and working to take over this country through elections. We keep pointing the finger at SCAF, but in many ways, where we are is partly our own fault – If we had started to organize and mobilize after the referendum vote (instead of some really stupid demonstrations and marches), we would be in a very different place today. SCAF can't be taking all the blame – we've played a role too.»
On sent bien là que nous avons affaire à la gauche modérée, mais résolument moderniste de l’“opposition démocratique” égyptienne. La description que nous obtenons par ces commentateurs de la situation a sans aucun doute un goût de vérité, notamment par tout ce qu’il nous est dit des échecs, des manquements, des paralysies et des freinages actuels du “printemps arabe” en Egypte. Nous sommes bien loin de la démocratie attendue et espérée, et ce n’est pas seulement la faute du SCAF, ni des Israéliens, ni même, – malheur et malédiction, – des islamistes rétrogrades… La description assez détaillée et de première main, par Yasmine El Rashidi, de l’attaque de l’ambassade est intéressante et sonne bien plus vraie, bien plus convaincante, que les sempiternels complots découverts par les “sources” de DEBKAFiles. Effectivement pourquoi pas des adolescents sans emploi, chose courante en Egypte et là en parfaite imitation du bloc BAO, qui se précipitent “where the action is”, comme dit le langage dynamique de l’américanisme, histoire de s'occuper... D’autant, paraît-il, que les susdits “jeunes” étaient un peu énervés par des querelles d’après un match de football d'il y a quelques jours, où leur équipe favorite avait été injustement privée de sa victoire par un arbitrage sans doute corrompu, soit par les Israéliens, soit par les islamistes… Comme l’écrit en termes simples et rudes Gédéon Lévy (11 septembre 2011, dans Haaretz), «[i]n the new Egypt the street speaks, and the street had its violent and unequivocal say over the weekend» ; et, somme toute, si la rue parle rudement, elle ne parle pas faussement, comme si elle était conduite par des forces supérieures qui savent vers où il faut aller.
Le “printemps arabe” n’est donc pas tout rose ni même très vert, ni encore démocratique, ni très bien ordonné, – et il est du devoir humaniste des bonnes âmes d’être, conformément aux usages, scandalisé et fort critique de ce saccage barbare de vendredi dernier, à l’ambassade d’Israël. On n'y manquera pas... Par ailleurs et par conséquent, ce “printemps arabe” est parfaitement ce qu’il faut, là où il en est, pour les affaires qui importent vraiment. La démocratie n’est pas accomplie et l’ordre-Système n’a pour l’instant aucun artefact libéral-humaniste où planter ses crocs pour récupérer la chose à son avantage ; pendant ce temps et sur ces entrefaits, – et tout ceci avec une rapidité à ne pas croire, – la clique Netanyahou nous découvre son vrai visage, les généraux et maréchaux froussards du SCAF suivent la rue au pas cadencé de militaires respectueux, la chaîne d’influence du bloc BAO continue à se dissoudre selon la même poussée déstructurante puis dissolvante que lui-même a initiée le 11 septembre 2001, et qui se retourne contre lui… En deux mots, bon anniversaire, – celui-là qui aurait dû se commémorer devant l’ambassade d’Israël au Caire, bien plus qu’à Ground Zero.
Mis en liogne le 12 septembre 2011 à 08H18