Coup de force anti-Kiev au Congrès US, par surprise

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Coup de force anti-Kiev au Congrès US, par surprise

Un Représentant démocrate du Michigan a réussi une révolution inattendue et peu ordinaire, ou plutôt un “coup de force” de type révolutionnaire, si l’on considère ce qui est dit sur l’Ukraine depuis février 2014, dans les discours, dans les salons, dans la presse-Système. Ayant rallié un Représentant républicain (Ted Yoho, de Floride) à ses vues, Conyers a offert un amendement à la loi budgétaire du Pentagone pour l’année fiscale FY2015, le HR 2685 ou Department of Defense Appropriations Act of 2015. Cet amendement impose deux mesures : il interdit l’entraînement du bataillon ukrainien Azov par les forces US et le transfert du système d’arme de missiles sol-air MANPAD en Irak et en Ukraine. Ces mesures sont justifiées par des considérations qui ne sont singulièrement pas dans la logique de la narrative-BAO qui couvre de vertus diverses l’Ukraine-Kiev.

C’est bien entendu d’abord la première mesure qui attire l’attention et justifie l’appellation de “révolutionnaire”. Le bataillon Azov a déjà été l’objet de reportages, de photographies de ses soldats et de ses soldates (voir le reportage très “tendance” de Elle sur les vaillantes combattantes d’Azov), avec documentation des insignes, des étendards et des cérémonies qui caractérisent leurs activités, tous directement d’inspiration nazie, – tout cela sans soulever grand’chose, si rien du tout de cette émotion citoyenne et antifasciste si vivace dans nos contrées. L’énorme documentation qu’on possède sur le bataillon Azov, essentiellement alimenté par Pravy Sektor, ne laisse aucun doute : il s’agit d’une unité nazie, ce que Conyers désigne comme «the repulsive neo-Nazi Azov Battalion». La Chambre a accepté l’amendement Conyers-Yoho à l’unanimité, signant ainsi le premier acte législatif officiel aux USA, et peut-être bien dans les pays du bloc BAO, reconnaissant formellement et dénonçant l’existence d’importantes forces de tendance nazie affichée sous la forme d’unités régulières organiquement constituée dans les forces armées ukrainiennes. (Précisions ci-dessous sur Russia Insider, le 12 juin 2015.)

«... Text bellow is a press release from US Congressman John Conyers Jr. (Democrat, Michigan) : “Late yesterday evening, the U.S. House of Representatives considered H.R. 2685, the ‘Department of Defense Appropriations Act of 2015.’ During consideration of the legislation, Congressman John Conyers, Jr. (D-Mich.) and Congressman Ted Yoho (R-Fla.) offered bipartisan amendments to block the training of the Ukrainian neo-Nazi paramilitary militia “Azov Battalion,” and to prevent the transfer of shoulder-fired anti-aircraft missiles—otherwise known as Man-Portable Air-Defense Systems (MANPADS)—to Iraq or Ukraine.

»“If there’s one simple lesson we can take away from US involvement in conflicts overseas, it’s this: Beware of unintended consequences. As was made vividly clear with U.S. involvement in Afghanistan during the Soviet invasion decades ago, overzealous military assistance or the hyper-weaponization of conflicts can have destabilizing consequences and ultimately undercut our own national interests,” said Rep. John Conyers. “I am grateful that the House of Representatives unanimously passed my amendments last night to ensure that our military does not train members of the repulsive neo-Nazi Azov Battalion, along with my measures to keep the dangerous and easily trafficked MANPADs out of these unstable regions.”

»Ukraine’s Azov Battalion is a 1,000-man volunteer militia of the Ukrainian National Guard that Foreign Policy Magazine has characterized as “openly neo-Nazi,” and “fascist.” Ukraine’s Interior Minister Arsen Avakov, who oversees Ukraine’s armed militias, announced that Azov troops would be among the first units to be trained by the Pentagon in Operation Fearless Guardian, prompting significant international concern. [...]

»Added Conyers, “Both U.S. and Israeli officials have feared that these weapons could be used by terrorists to bring down commercial jets. As the boundaries are increasingly blurred between insurgents fighting the Syrian government and those fighting the Iraqi government, providing additional arms could further destabilize the Middle East. The same can be said for Ukraine, where an anti-aircraft missile allegedly downed Flight MH17 last September, killing 298 civilians. The possibility that MANPADS—or any weapon—could fall into the hands of radical groups in Iraq, Syria, or Ukraine, would unquestionably increase the already-devastating human toll in both of these volatile regions.”

»According to Reuters, The Azov battalion originated from a paramilitary national socialist group called “Patriot of Ukraine”, which propagated slogans of white supremacy, racial purity, the need for authoritarian power and a centralized national economy. Azov’s controversial founder, Andriy Biletsky, organized the neo-Nazi group the Social-National Assembly (SNA) in 2008. “The Azov men use the neo-Nazi Wolfsangel (Wolf’s Hook) symbol on their banner and members of the battalion are openly white supremacists, or anti-Semites,” wrote The Telegraph. Since Azov was enrolled as a regiment of Ukraine’s National Guard in September and started receiving increased supplies of heavy arms, however, Biletsky has toned down his rhetoric, Reuters reported. According to the Washington Post, battalion members “could potentially strike pro-Russian targets on their own — or even turn on the [Ukrainian] government” if it pursues a diplomatic resolution to the conflict.»

On notera, comme tout le monde l’a fait, que Conyers est Africain-Américain, qu’il est à la Chambre des Représentants depuis 1967 et qu’il fut un membre actif de la lutte pour les droits civiques. A 86 ans et après 48 ans de service législatif, il est le plus vieux membre du Congrès et donc de la Chambre des Représentants (le Dean of the House of Representatives), le parlementaire qui a eu la plus longue carrière au Congrès, enfin le fondateur du Black Caucus (rassemblement des parlementaires Africains-Américains) au Congrès. Il s’agit donc d’un parlementaire prestigieux à tous égards, et son amendement extraordinaire par rapport à la narrative courante n’en a que plus de poids et d’éclat symboliques, – l’un et l’autre salués par un vote à l’unanimité de la Chambre, qui prend à son tour une allure symbolique tout à fait étonnante tant il est difficile à expliquer rationnellement par contraste avec le constant soutien que la Chambre, comme le Sénat, comme la presse-Système, ont apporté à la narrative pro-Kiev. (Il faut ajouter, pour mieux comprendre la démarche de Conyers, que ce Représentant a soutenu comme co-sponsor, en juillet 2013, l’amendement du républicain Justin Amash, – le plus vieux Représentant s’alliant au plus jeune dans un effort bipartisan, – une proposition de loi qui privait la NSA de pouvoirs importants [voir le 26 juillet 2013]. Cette loi, clairement antiSystème prit tout le monde par surprise et faillit l’emporter malgré son caractère “séditieux” par rapport au Système, par 217 voix contre 207, un peu selon la même tactique que Conyers a employée dans le cas du bataillon Azov, cette fois avec un complet succès.)

Il faut également noter dans les textes cités ci-dessus de l’amendement Conyers : 1) que Conyers exige l’interdiction de la livraison des MANPADS au nom de constats qui mettent en question des aspects importants de la politique expansionniste des USA, précisément les livraisons chaotiques d’armements les plus avancés à on ne sait quel(s) groupe(s), quelles mains, etc. ; 2) qu’il mentionne la destruction du vol MH17 sans mettre en cause quiconque contrairement à la narrative qui fit son choix du coupable (les Russes ou les séparatistes, au choix) dès le jour de l’événement, en juillet 2014, et qu’il (Conyers) considère la livraison du MANPADS comme dangereuse notamment pour l’Ukraine parce qu’elle pourrait tomber dans les mains de groupes extrémistes. En fonction du contexte, cette formulation désigne les nazis en général, du bataillon Azov et le reste, dont il est supposé qu’ils pourraient effectuer des attaques de ce genre ; cela implique, ce qui est également remarquable comme position, que Conyers affirme indirectement qu’on ne doit rien écarter comme possibilité à propos de la destruction du MH17, et certainement pas la responsabilité d’une organisation telle que le bataillon Azov ... Et tout cela est voté unanimement !

Il y a eu des réactions du côté ukrainien, pas officiellement (directement du côté gouvernement de Kiev, ou une voix officielle le représentant) mais dans tous les cas du bataillon Azov. Un article du site ukrainien pro-Kiev EuroMaidan fait un commentaire documenté sur l’affaire, le 13 juin 2015, notant la réaction du bataillon Azov : «Azov is outraged about the allegations of Nazi ideology and advises the US to better analyze their own behavior in the international arena, noting that “Azov always stood on the positions of patriotism and never appealed to any other global ideological currents. ” “Instead, we would like to remind that the United States has assumed under the Budapest memorandum to guarantee the territorial integrity and sovereignty of Ukraine. Please note that the level of implementation of these safeguards taken by the US is in an extremely poor condition,” Azov adds in their statement [...] In an exclusive comment to RFERL, the spokesman of the commander of the Azov regiment Oleksandr Alfyorov reminded the United States about their own commitments. “It is good that Congress representatives think about this, but it’s a pity that they forgot about the Budapest Memorandum,” he said.»

Surtout, l’article introduit des commentaires d’experts pro-Kiev, qui donnent ainsi des avis non officiellement confirmés mais qui représentent des réactions proches des milieux officiels à Kiev ... Le premier point qu’on retient dans le chef des déclarations de ces experts, c’est la surprise, parce que personne n’a vu venir cet amendement, – et on reviendra sur ce point. Le second point est la position de fond probable de Kiev dans ces attaques contre Azov et les nazis : une défense de ces forces extrémistes, qui jouent par ailleurs un rôle considérable dans le “combat patriotique et démocratique” de l’Ukraine-Kiev et pèsent d’un poids qui ne l’est pas moins sur la politique de cette Ukraine-Kiev, jusqu’à constituer une condition sine qua non de sa stabilité sinon de son existence ...

L’argumentation est de deux sortes : d’abord, c’est l’argument “en boucle”... Si ces mouvements arborent des signes nazis-fascistes, développent une rhétorique nazie-fasciste, s’affirment nazis-fascistes, eh bien en fait ils ne le sont pas, – bref, ils le sont mais ils ne le sont pas parce qu’il s’agit de l’Ukraine et que l’Ukraine ne peut pas, selon la narrative du bloc BAO elle-même, être qualifié par des termes dont la connotation est si manifestement ignominieuse et si manifestement sacrilège par rapport à la doxa du bloc BAO, donc par rapport à la même narrative référencée. Le deuxième argument est que les USA ne comprennent pas grand’chose à la situation ukrainienne, ce qui clôt la discussion et tend à montrer que l’Ukraine-Kiev ne tient pas à reculer sur ce terrain des accusations d’extrémisme ... Quelques extraits de ces arguments qui montrent combien l’Ukraine-Kiev est absolument baignée de sa narrative et ne répond, dans sa position et ses analyses, à aucune duplicité particulière, mais plutôt à la conviction de la véracité de cette narrative.

«According to political expert Kostyantyn Matviyenko, such a resounding decision in the House of Representatives is a “defeat of Ukrainian diplomacy.” “This decision was made suddenly, nobody knew about it being prepared. It is unknown how the monitoring on the base of which such a position was formed was done,” said the expert. Matviyenko stresses that there is still no official position of the Ministry of Foreign Affairs and the Ministry of Internal Affairs of Ukraine. This gives evidence, the expert added, that Ukrainian diplomats do not monitor, control, or predict processes.

»Instead, political scientist Oleksandr Paliy emphasizes that there is currently only the position of the House of Representatives, not the general position of the United States. According to him, accusing Azov of neo-Nazism is far from the truth. “Some people see certain things in a banana, according to Freud. There are questions directed at Azov symbols and abstract issues. There are no fascist of Nazi practices in Azov. There are Russians, some Poles, some Croats in their ranks , and there is no fascism there,” he says.

»According to Palyi, the U.S. does not understand that these radical movements are actually alien to Ukraine. Paliy adds that if a representative of Azov does display Nazi symbols or rhetoric, this is perceived by society as a relapse. “For Ukrainians, who were victims of genocidal politics in the 20th century, and who are experiencing aggression today, references to fascism are strange and unnatural,” he says...»

»According to [Anatoliy Romaniuk, Director of the Center for Political Studies,], right-wing currents can definitely be present in the structure of the regiment, but we should not classify the entire military formation as neo-Nazi. However, he advises realistic assessment of the situation in Ukraine and in the ATO. “We need to assess it realistically. We shouldn’t decorate and avoid problem issues. Because these problematic aspects are widely used against us,” he said...»

L’“expert” Matviyenko insiste sur le caractère complètement inattendu de l’amendement Conyers : «Cette décision fut prise soudainement, personne n’était au courant de ce qui se préparait. On ne sait pas par quel processus la mise en place et la mise en action de cette initiative ont été réalisées». Matviyenko en conclut que la diplomatie ukrainienne ne peut “suivre, contrôler ni prévoir de tels processus”, – cela dit alors que cette “diplomatie ukrainienne” a énormément de relais à Washington, des neocons à un McCain, qu’elle est loin d’être isolée et novice dans la matière du lobbying et du contrôle de l’évolution politique du Congrès. (On sent dans ces commentaires une surprise douloureuse et tout de même désapprobatrice, comme si Matviyenko laissait entendre qu’il serait temps que Washington mette un peu d’ordre dans le bordel de sa basse-cour parlementaire, pour développer une politique digne et convenable. Bref, que Washington prenne donc exemple sur Kiev-la-folle, et il aura une politique contrôlée et raisonnable, dans tous les cas accordée à la narrative.)

Alors quoi ? D’où vient ce méchant coup de force, comment fut-il possible ? Eh bien, il faut en venir, à notre avis, à l’hypothèse la plus simple, qui est celle que nous privilégions. Conyers a préparé son coup en solitaire, sans aviser personne sinon son co-sponsor et leurs équipes respectives, et il a lancé son amendement sans aucun avertissement, et sans que personne ne l’ait vu venir. D’ailleurs, il n’avait pas fait différemment avec Amash, en juillet 2013, contre la NSA, cette fois avec Amash dirigeant la manœuvre.

Les circonstances l’ont servi, Conyers, parce qu’il savait qu’elles le serviraient, – on n’est pas le vieux renard historique qu’il est sans avoir une expérience de renard du Congrès, de son fonctionnement, de l’état de son esprit (et de son intelligence). La semaine dernière, le Congrès était entièrement accaparé par l’affaire du TPP et de la Fast-Track Authority, et tout le monde se foutait bien de l’Ukraine. Dans de telles conditions, les parlementaire, qui ont une culture proche de zéro et une psychologie à mesure, se sont trouvés devant un texte dont ils avaient oublié le contexte, c’est-à-dire la narrative autour de l’Ukraine. Quand les lobbies ne sont pas à la manœuvre, l’inculture complète prend ses aises ... Du coup, sur la foi du respect qu’ils ont pour le vieux sage (et en plus, vieux sage black, à la fois postmoderne et un peu vaudou), ils ont marché comme un seul homme peut-être sans même lire le texte, votant à-la-soviétique, cette fois en antiSystème, eux qui votent depuis des mois aveuglément en faveur de Kiev sans se soucier de la moindre croix gammée. On mesure à cette occasion la fragilité de la narrative sur laquelle est basée cette crise ukrainienne pour Washington D.C., où les 9/10ème des parlementaires ignorent où se trouve l’Ukraine et si elle existe. Privée de ses slogans simplistes et sympathiques (“Poutine est coupable”, “la Russie doit disparaître”, “Kiev est démocratique”, etc.), la narrative devient une chose d’une infinie fragilité et un Conyers, qui a quelques idées bien arrêtées, peut faire son coup. Pour l’immédiat, on fait le gros dos devant le coup de Conyers et la réponse la plus répandue de la presse-Système et de la narrative est simplement le plus de silence et de black-out possible.

Il nous semblerait que ce vote ne changera pas grane’chose à la politique US et à la position du Congrès, la narrative reprenant rapidement le dessus. Mais il aura servi à fragiliser encore plus la base conceptuelle de cette narrative, en actant officiellement de l’existence d’une forte composante nazie à Kiev. C’est un effritement supplémentaire du concept général soutenant la partie ukrainienne de la politique-Système, et donc un accroissement du désordre washingtonien, autant que du désordre des relations entre les USA et l’Ukraine de la folie-Kiev.


Mis en ligne le 15 juin 2015 à 08H58