Crise de confiance et “néo-populisme”

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Crise de confiance et “néo-populisme”

Plusieurs événements surgissent en même temps et se complètent pour annoncer une nouvelle crise, – une de plus dans cette structure crisique si féconde, – une de ces terribles “crises de confiance” qui touchent les dirigeants politiques, et dont notre époque est singulièrement féconde jusqu’à en faire, effectivement, une sorte de structure crisique secondaire, per se, réservée aux personnalités-Système des directions politiques. (Il est question ici du président d’Obama mais il n’est pas interdit ni inapproprié de ne pas penser à Hollande et ses 15% de soutien, etc.) McClatchy.News écrit, le 15 novembre 2013, à propos de la présidence Obama :

«Moments such as these have proved to be lines of demarcation, crucial tests of presidential mettle that in some cases defined a president’s stewardship. George W. Bush was hurt by his government’s response to Hurricane Katrina in 2005. Bill Clinton’s sexual relations with Monica Lewinsky confirmed that he was a reckless womanizer. In 1986, the Iran-Contra scandal was vivid evidence that Ronald Reagan was, as many suspected, out of touch with his own administration.»

Ce texte est écrit après le tournant effectué par Obama le 14 novembre, jour où il a reconnu l’échec complet du lancement de son grand projet de nouvelle sécurité sociale dit-Obamacare (voir Russia Today le 14 novembre 2013). Même cette reconnaissance de l’échec initial après une dénégation obstinée, et l’annonce de mesures de substitution pour relancer le programme un peu plus tard, ont rencontré un scepticisme considérable (McClatchy.News du 14 novembre 2013 : «Roiling health care waters, Obama’s fix could make matters worse»). Cela rend la crise de confiance encore plus aigüe. Au reste, cette crise de confiance n’est pas seulement une évaluation et une perception, c’est une de ces réalités statistiques qui comptent dans le sentiment des directions politiques et des commentateurs, avec ce sondage de l’Institut de la statistique de l’université de Qinnipac (voir Russia Today du 13 novembre 2013) :

«Overall, only 39 percent of Americans now approve of the job President Obama is doing, his lowest approval rating ever registered by the respected Quinnipiac University Polling Institute. [...] Also for the first time, only 44 percent of Americans now view Obama as trustworthy and honest, while 52 percent say he’s not; the first time a majority of Americans have doubted his credibility.»

On comprend la difficulté de la position d’Obama, déjà couturé des plaies toujours actives des crises en cours, et touché cette fois par la fameuse et classique “crise de confiance” qui attaque l’édifice fondamental de la narrative construite au gré de la campagne électorale et de ses promesses du dirigeant qui en est affecté. Les prémisses de cette crise personnelle du président étaient perceptibles depuis la crise Snowden/NSA, la crise syrienne et la crise du government shutdown, et surtout au long, depuis début octobre, de la catastrophe d’organisation et de communication que se révèle être Obamacare, – destinée à être le legs fondamental que BHO aimerait, ou aurait voulu laisser à l’histoire. Désormais, la crise étant pleinement perçue, son contrecoup affecte le parti démocrate lui-même. Le parti démocrate n’est plus un soutien assuré, et les dissidences plus ou moins larvées se multiplient. Il y a celle de la constitution d’une “opposition” bipartisane aux mandarins du “parti unique”, qui avait été initiée avec le vote de la Chambre sur la NSA de la fin juillet (voir le 26 juillet 2013). Mais il y a du nouveau, encore plus intéressant parce que plus directement exprimé.

The Observer du 17 novembre 2013 publie un long portrait de la sénatrice Elizabeth Warren. Élue en novembre 2012, ancienne professeur de droit spécialisée dans les faillites à Harvard, Warren s’est rendue fameuse depuis 2009 par son activisme anti-Wall Street, surtout à la tête d’une commission indépendante chargée par le Congrès d’enquêter sur le fameux programme TARP lancé en octobre 2008 par le secrétaire au trésor Paulson pour sauver les banques. Durant sa campagne électorale et après un séjour auprès d’Obama puis au département du trésor, elle avait mis un peu d’eau dans son vin rouge, semblant vouloir se reclasser dans le sens du Système. Mais depuis son élection, Warren a pris conscience de la naissance au Congrès d’un courant populiste puissant, de droite (républicain) comme de gauche (démocrate). C’est ce courant qui s’est retrouvée unie fin juillet à la Chambre sur l’affaire de la NSA, mais avec une nette direction républicaine (Amash et Sensenbrenner), renforcée par la structure du Tea Party présente à la Chambre et au Sénat (Rand Paul) et par l'inspiration libertarienne qui va avec.

Warren a donc réalisé qu’il existait un courant populiste à gauche également, mais qui pêchait par manque d’organisation et de leadership, par rapport à son vis-à-vis républicain. Elle a sauté dans son sillage, bien décidée à en organiser et à en prendre le contrôle. Cela est en train d’être fait, et l’on retrouve la Warren activiste de 2009, appuyée sur une rhétorique anti-Wall Street pimentée d’attaques anti-Obama qui trouve un formidable écho populaire. (Voir ce que Wall Street recueille comme réactions populaires lorsqu’il s’essaie au populisme-internet, avec l’exemple de la banque de JP Morgan lançant un ashtag [Ask JPM] sollicitant les interventions du public. Le résultat est un avalanche d’agressions contre la banque, comme l’expose Washington’s blog le 17 novembre 2013.) The Observer :

«Hours before a rare public appearance last week, one of the largest rooms in Congress begins slowly filling up with an odd mix of groupies: policy wonks, finance geeks, Occupy activists, and, yes, the type of political conference attendee who brings their knitting in. Warren proceeds to calmly recite numbers that could inspire even librarians to storm a few barricades. The Wall Street crash has cost the US economy $14tn, she says, but its top institutions are 30% larger than before, own half the country's bank assets and are in receipt of an implicit taxpayer subsidy of $83bn a year because they are deemed too big to fail. “We have got to get back to running this country for American families, not for its largest financial institutions,” concludes Warren, before noting how little President Barack Obama has done to achieve that. [...]

»Though the similarity only goes so far, the shared interest of America's new left and Tea Party conservatives in challenging the economic status quo also shows how figures such as Warren might attract broader support beyond traditional Democrat voters.

»One self-confessed Warren groupie is David Collum, a Cornell University chemistry professor and amateur investor, whose enthusiasm for free market economics previously led him to endorse libertarian Republican candidate Ron Paul. Collum has been exchanging regular emails with Warren since before the crash and says she captured his imagination because her brand of intelligent populism transcends traditional political boundaries. “If you look at her and Ron Paul, it's the same thing: they appear to speak from the heart,” he explains. “Here you have Warren saying the banks are thugs, she supports the consumer which has a natural leftwing sound to it, but I don't think it's putty-headed liberalism, I think she is just an advocate for the small person.”»

La sénatrice Warren n’est pas la seule à s’inscrire dans le courant populiste chez les démocrates, pour profiter de sa dynamique et tenter d’y apparaître comme une figure dirigeante. D’autres personnalités politiques du parti sont concernées, avec le autre coup d’éclat récent de l’élection du démocrate quasi-gauchiste de Blasio à la tête de la mairie de New York, avec 73% des suffrages.

«Whereas the Tea Party has worked relentlessly since the financial crash to recast the Republican party as a perceived challenger to Wall Street, Democrats such as Obama and his potential successor Hillary Clinton rely heavily on financial donors and have veered away from confrontation. But the popularity of senators such as Warren in Massachusetts and Sherrod Brown in Ohio has combined with recent mayoral election wins by Bill de Blasio in New York and Marty Walsh in Boston to raise hopes that the left could yet exert the same pull on Democrats.

»“The challenges the Democratic party has faced since 2009 have largely been a result of the public's perception that the party isn't clearly enough on their side,” argues Damon Silvers, policy director for union umbrella group AFL-CIO. “Republicans have exploited that very skilfully, even though Republicans are totally owned by the financial class.” “What's happening now is the emergence of politicians – De Blasio and Walsh being recent examples – that are just not interested in that type of politics,” adds Silvers. “And those people are being successful. They are stepping into a political vacuum that is all about authenticity in relationship to issues of inequality and the power of financial interests.” [...]

»Political pundits in the media have often been slow to capture public mood changes, ignoring the Occupy Wall Street movement for months, for example, and were also caught by surprise by de Blasio's win in New York. The man who took America's biggest city back under Democratic party control for the first time in two decades was not even endorsed by the liberal New York Times, which opted for a more mainstream candidate, Christine Quinn. Rupert Murdoch's New York Post was predictably blunter, calling de Blasio a pro-Cuban communist, while the Washington Post got into hot water with a column suggesting “people with conventional views” in other states would have to “repress a gag reflex” when considering him because he was married to an African-American who used to be lesbian. In the end, de Blasio won the support of 73% of New York's voters with an unapologetically leftwing campaign: arguing for tax increases on the rich to pay for better schools and using his afro-haired son to promote a campaign against police harassment of young black men.»

L’originalité de ce mouvement qu’on peut effectivement qualifier de “néo-populiste” est à la fois sa diversité, son absence d’exclusive qui permet les rassemblements circonstanciels et un peu “à la carte” droite-gauche (républicain-démocrate) et son extraordinaire résilience. Lorsqu’il apparut en novembre 2010 au niveau washingtonien (élection de parlementaires républicains d’obédience Tea Party), le jugement convenu était que ces élus seraient immédiatement absorbés dans la broyeuse-Système de l’establishment et mis aux normes-Système. Le contraire s’est produit : ces “nouveaux populistes” ont résisté, ont gardé leur spécificité et, même, ont réussi à phagocyter le reste de la représentation parlementaire dans des crises graves (les crises budgétaires de juillet 2011 et d’octobre 2013).

Leurs diversités de priorités, parfois leurs oppositions entre eux sur certains domaines, ne les empêchent nullement de rester dans la même dynamique et de se rassembler dans les grandes occasions ou dans les occasions qui mettent en cause le pouvoir central de l’establishment, notamment dans le domaine financier (et, plus récemment, dans le domaine sécuritaire avec le cas de la crise Snowden/NSA). L’impopularité du Système et de toutes les options qui dépendent de lui constitue un formidable rassembleur du mouvement néo-populiste («But what has changed is that mainstream Democrats and Republicans in Washington seem even less popular today than the perceived outsiders on the left and right. [...] In this atmosphere, anyone who doesn't appear part of the Washington mainstream is by definition a populist.»)

Un phénomène récent spécifique, apparu lors de l’affaire syrienne (août-septembre), est la progression du néo-populisme au Sénat, pourtant classique forteresse du conformisme-Système. Le premier signe s’est manifesté début septembre, après qu’Obama se soit tourné vers le Congrès pour obtenir un accord pour une frappe contre la Syrie, qui a vu une opposition néo-populiste se manifester. Très vite, il apparut que la Chambre s’opposerait à la proposition, mais surtout que le Sénat, qu’on croyait acquis à Obama, se montrait beaucoup plus divisé, et même proche d’une opposition dans ce cas. (Le dernier comptage d’un vote qui n’eut finalement pas lieu était de 32 “non” à la frappe contre “28” oui, le reste étant indécis.) Depuis les signes n’ont pas manqué, comme le co-parrainage de la proposition de loi anti-NSA des députés républicains Amash-Sensenbrenner par le sénateur démocrate Patrick Leahy ; et, bien entendu, l’affirmation néo-populiste de la sénatrice démocrate du Massachussetts Warren.

L’affirmation du néo-populisme ajoutée à la crise de confiance qui frappe un président Obama à la dérive introduit un phénomène remarquable. La présidence Obama, qui n’est pourtant qu’aux deux tiers de la première année de son second mandat, semble déjà presque à son terme, presque du passé, condamnée à une gestion paralysée et paralysante d’une infrastructure crisique d’un dynamisme effrayant. D’ores et déjà, l’on débat ouvertement des présidentielles de 2016, avec le déchirement du parti républicain représenté par les hypothèses d’une candidature néo-populiste (Rand Paul) contre une candidature-Système (le gouverneur Christie), et la même chose du côté démocrate (Warren contre Hillary Clinton ?). La dynamique générale de cet événement est évidemment toute entière résumée par l’affrontement entre les courants antiSystème, rassemblés dans les néo-populistes, et la résistance stupéfaite du Système qui n’aurait jamais imaginé devoir soutenir de tels défis au cœur même de sa forteresse. De ce point de vue, nous accepterons sans la moindre réserve l’idée habituellement conformiste et sollicitée que les USA sont largement en avance sur le “vieux monde“. Rien de semblable à cette structuration et à cette dynamique du déchirement interne à Washington n’existe en Europe, et surtout pas dans les “grands” pays européens tels que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Nulle part l’opposition antiSystème ne parvient encore à s’institutionnaliser comme elle l’est d’ores et déjà aux USA, et avec un rythme de progression extraordinaire.


Mis en ligne le 18 novembre 2013 à 06H28