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50492 septembre 2005 — Avec le système américaniste posé sur l’Amérique tel qu’il a évolué depuis 1989-91, nous sommes devant une énigme: nous savons de “science intuitive” que ce système va craquer mais nous ignorons absolument par quel biais, par quelle soupape, par quel événement inattendu se fera l’explosion, — à cause de l’effet qu’il amènerait au niveau de la psychologie américaine. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la catastrophe provoquée par “Katrina”, avec toutes ses implications et ses conséquences, qui doivent être interprétées politiquement, n’est pas cet “événement inattendu”.
Il y aurait alors une continuité, dans le sens du renversement, avec un autre “événement inattendu” qui, en 1996, détourna le système d’une décadence accélérée où le précipitaient des circonstances psychologiques extraordinaires. Nous évoluerions de Atlanta-1996 à New Orleans-2005 : de l’événement qui sauva le système à celui qui le précipite vers sa chute, — les deux sans aucune évidente signification politique à première vue, mais évidemment politiques lorsqu’ils sont observés en profondeur.
Dans cette ré-appréciation historique, le 11 septembre 2001 a un rôle moindre que celui qu’on est tenté de lui donner à première vue, par son ambiguïté même (rôle d’affirmation de puissance des USA d’abord, se transformant en une chute de cette puissance). Il n’empêche, bien sûr, 9/11 joue un rôle-pivot : il est ce par quoi il a été permis à GW d’acquérir la stature qu’on sait, le plaçant parfaitement dans le rôle paradoxal, par ses outrances et son incompétence autant que le cynisme et la corruption de son administration, comme le démolisseur en chef du système. Ainsi aura-t-il été au moins chef de quelque chose, GW.
La question qui se pose à propos de “Katrina” et de ses suites concerne évidemment, pour notre propos, l’impact politique. Il est déjà formidable et continue à grandir, comme un immense tsunami politique menaçant le Président US et son système. Jim Lobe décrit bien le processus, tandis que Sidney Blumenthal en décrit les causes. Pour le reste, on sait le rôle déstabilisateur préventif du système qu’ont joué la guerre en Irak et la comédie grotesque de “la guerre contre la terreur”.
Comme on le voit par ailleurs, “Katrina” et ses suites décrivent de façon époustouflante toutes les tares du modèle que Washington cherche à imposer au monde : incompétence, corruption, paralysie et irresponsabilité du côté officiel ; individualisme forcené, solitude sociale, cynisme de l’irresponsabilité sociale, désordre et absence de solidarité du côté de la population.
La question se pose de savoir si cet événement n’est pas l’accident qui va permettre que s’engouffre, comme une vague irrésistible, la contestation radicale du système aux Etats-Unis. Structurellement, comme on le sait, la situation s’y prête également, avec le sous bassement qui ne demande qu’à percer au jour de l’opposition entre les États de l’Union et le centre. (Jim Lobe: « Even before Hurricane Katrina, governors were beginning to question whether National Guard units stretched to the breaking point by service in Iraq would be available for domestic emergencies,” noted The New York Times Thursday. “Those concerns have now been amplified by scenes of looting and disorder.” »)
Tout est en place pour qu’on assiste à une sorte de 9/11 à rebours, sur le plan intérieur, “Katrina” et ses suites achevant de détruire la popularité en trompe l’œil que l’administration GW avait capitalisée lors de 9/11. Un jour, le FBI, enfin en avant des événements, en arrivera à soupçonner que Ben Laden n’est pas étranger à ce formidable cyclone qui s’est abattu sur La Nouvelle Orléans et sur l’American Dream
Nous avons à diverses reprises retenu cette explication de l’importance des Jeux Olympiques d’Atlanta de 1996, essentiellement pour le “redressement psychologique” des Américains (d’une façon complètement superficielle, virtualiste, certes, — ce qui explique la fragilité qui se manifesterait éventuellement à l’occasion des suites de New Orleans-2005). Nous présentons ci-dessous un extrait du livre de Philippe Grasset “Chronique de l’ébranlement, — des tours de Manhattan aux jardins de l’Élysée”. On y voit, replacées dans la perspective de la décennie des années 1990, la position et l’importance des JO d’Atlanta (avec le contexte des “attentats terroristes” de la période, dont on se demande toujours s’ils furent vrais) comme événement médiatique et virtualiste fondamental pour opérer un renversement de l’humeur de la psychologie des Américains.
(Pour renforcer la thèse historique implicite, nous citons un extrait d’un article du Monde [peu suspect de faiblesses pour Philippe Grasset], de Sylvie Kaufmann, des 29-30 septembre 1996, sous le titre de « Le retour de l'optimisme américain ». Cet article confirme “scientifiquement” la réalité de ce tournant psychologique de l’Amérique à l’occasion des JO d’Atlanta de juillet 1996. Citation du premier paragraphe, qui dit l’essentiel pour notre argument : « Où est passé “l'homme blanc en colère”? Où est-il, cet Américain moyen frustré, aigri et anxieux, qui envoya une majorité républicaine au Congrès il y a deux ans et provoqua l'ascension du populiste Pat Buchanan en février 1996 ? Si l'on en croit les sacro-saints sondages, cet étrange spécimen électoral que fut “the angry white male” semble avoir cédé la place à un citoyen apaisé, satisfait de sa situation économique et prêt à renvoyer pour quatre ans à la Maison Blanche un président démocrate qui lui garantit une certaine forme de statu quo. »)
D'abord l'histoire proche, pour apprécier d'où nous venons, — disons, l'histoire de la psychologie de l'Amérique depuis la fin de ce qu'elle crut être l'engagement suprême, l'Armageddon subversif et nucléaire, lequel s'acheva comme on tourne court, dans la crevaison d'une outre gigantesque et gigantesquement vide qu'on nommait Union Soviétique, dans l'artifice communiste transformé en bordel russe. Auparavant, l'Amérique était tendue, fière, d’une façon qui nous paraissait à peine excessive. A nous qui avions oublié l'histoire elle paraissait mesurée et volontaire, même si elle laissait voir parfois quelques domaines de comportement inquiétants, entre maccarthysme et paniques nucléaires. A partir de la chute des communismes, soudain l'Amérique s'agite, devient fébrile, envisage tous les horizons sans en choisir aucun, s'interroge, se trouve la mine chafouine, se regarde dans son miroir pour l'interroger fiévreusement. Littéralement elle perd le sens d’elle-même. Les meilleurs des observateurs ne craignent pas de distinguer une “crise d'identité”. On mesure la chose avec les moyens du bord et c'est le pauvre Bush-père, qui se trouvait sur le chemin, qui en fait les frais. Triomphant vainqueur de la Guerre du Golfe, avec des sondages au-delà de 90% d'opinions favorables en juillet 1991, il est tombé quelque part entre 40 et 45% d'opinions favorables en novembre, un an avant l'élection qu'il perdra évidemment, — et tout cela, toutes ces aventures, sans avoir vraiment démérité. On expliquera plus tard, et il approuvera, qu'il lui a manqué, dans ses discours, quelque chose comme « the vision thing » (“le truc de la vision”) ; c'est un peu comme si l'on vous expliquait que Jésus, lors de sa campagne électorale, a oublié de nous parler du Paradis et de l'Existence de Dieu.
Lors des premières primaires de février 1992, un candidat républicain dissident et isolationniste, Patrick J. Buchanan, devançant temporairement le candidat Georges Bush père, provoqua une panique mémorable dans la direction du parti. On y crut presque, quand Buchanan annonça dans un ricanement sarcastique que les Américains en colère, « avec les fourches de leur révolte », allaient marcher sur Washington. Clinton fut élu (novembre 1992) dans une atmosphère fiévreuse où l'on parla du « mystère de la renaissance de l'Amérique ». L'humeur américaine ne s'éclaircit pas pour autant, bien que ce que l’on s'accorde à juger comme la meilleure médecine pour l'âme du bon peuple américain, une économie en pleine expansion, fût à nouveau en régime de belle croisière depuis le début de 1992. Fin 1994, le bon peuple vote et envoie une majorité républicaine au Congrès, faisant suivre son inexplicable colère anti-républicaine (défaite de Bush-père) d'une inexplicable colère anti-démocrate. Les résultats de l'élection plongent le président dans une dépression extraordinaire de plusieurs semaines, jusque trois à quatre mois. Il ne fut plus que l'ombre de lui-même. Il se découvrait, avec un Congrès nourri d'une haine sans mesure, réduit à un rôle de figurant et sa présidence réduite à néant. Durant cette période extraordinaire où des hauts fonctionnaires américains confiaient à leurs collègues étrangers qu'ils ne savaient plus à qui ils devaient désormais obéir, il arrivait qu'on croisât dans les couloirs de la Maison-Blanche un Clinton hagard, mal rasé, incapable de retrouver son équilibre et son apparence de président, et qu'on détournât les yeux, gêné par cette déchéance si insolite et si indigne.
Clinton se rétablit selon une technique éprouvée de la vie politique américaine : en s'intéressant à la politique étrangère. Laissée au président, la politique étrangère lui procure ors et pompes et n'intéresse pas le monde politique washingtonien pour lequel un engagement politique doit se traduire le plus directement possible en soutien sonnant et trébuchant et en nombres de voix. (Par contre, les “étrangers” (hispaniques, polonais, juifs, chinois) qui ont l’esprit de se former en lobbies et ne le sont plus tout à fait, se réfère à la forte minorité de leur sang devenue américaine pour peser sur le vote, ceux-là font partie de la famille et suscitent l’intérêt des élus pour les expéditions étrangères impliquant leur pays d’origine.) En 1995, effectivement, tout bascule. Clinton qui, en 3 ans, n'avait pas opposé un seul veto contre le Congrès, — fait unique des annales politiques de la grande République, — se débarrasse de ses gants et commence à traiter le Congrès en ennemi, et les veto valsent. Il n'espère plus rien du Congrès et tout de son zèle extérieur. Il songe à sa stature historique. Il s'engage en ex-Yougoslavie à partir d'août 1995, puis avec les accords de Dayton en octobre-novembre ; il fait de l'élargissement de l'OTAN une de ces “grandes causes” dont on se demande, stupéfaits et sans voix, d'où elles viennent et ce qui les justifie. Désormais, l'affirmation de la toute-puissance américaine et de l’auto-glorification, qui allait déjà de soi, devient une véritable politique. Elle devient la politique américaine par essence. Elle va jouer un rôle non négligeable dans le tournant de l'été 1996 même si elle n'en fait pas l'essentiel.
Le sens et la signification de la décennie 1990 semblent dépendre d'un mystère apparent, où l'humeur américaine est transportée des abysses d'une crise psychologique proche du désespoir ou de la colère révolutionnaire, aux sommets d'une affirmation triomphale où l'on croit avoir changé l'histoire du monde. Ces extrêmes ne se réfèrent à aucun événement particulièrement significatif et, dans tous les cas, à aucun pouvant justifier une telle extrémité. L'humeur change en tornade, mystère d'un basculement psychologique sans précédent, pourtant à peine noté. De pessimiste et volontiers apocalyptique, le public américain devient optimiste et euphorique en l’espace de quelques semaines. Les Jeux Olympiques d'Atlanta de juillet-août 1996 sont le théâtre, l'occasion et peut-être l'argument principal de ce changement d'humeur. C'est un déchaînement de délire nationaliste dont le journal Le Monde, pourtant vertueusement insoupçonnable d'anti-antiaméricaine, écrit : « Il n'y a pas d'olympisme ici, tout juste une kermesse états-unienne, ahurissante d'indécence ». En même temps se déroule un spectacle abracadabrant d'attentats qui n'en sont pas, de terroristes qui se ramènent à un auxiliaire de la police un peu fêlé, d'une alerte générale au terrorisme dont on se demande à quoi elle répond, — cela, entre la destruction du vol TWA 888 dont on ignore encore aujourd'hui la cause, et le faux-vrai attentat d'une “bombe artisanale” dans un parc d'attraction d'Atlanta, qui fait un mort, par crise cardiaque, de rien de plus que d'une émotion mal contenue. L'Amérique n'est plus de notre monde bien qu'elle prétende désormais mener le monde, avec un Clinton qui prend goût à ce qui pourrait être effectivement sa “stature historique”. Son modèle historique change de Roosevelt : de FDR à Théodore, dit “Teddy”.
Quel déchaînement, à partir de là ! Pour tenter de ranger ce temps historique si étrange, on peut le séparer en deux ou trois grands domaines. Le domaine économique est connu de tous : cet engouement extra-atmosphérique, pour lequel on ne trouve que la comparaison des folles années vingt menant au krach d'octobre 29, où l'Amérique vit au rythme du NASDAQ et de Wall Street, de la “nouvelle économie”, l'économie new age des start-ups. Résumons tout cela par un spectacle insolite, fort peu noté parce qu'on n'ose plus s'étonner de la grande République de crainte d'être mal noté, et rapporté sans étonnement par un article de première page de l'International Herald Tribune du 11 juin 1998 : le président de la Fed, le si fameux et si sérieux Alan Greenspan, venu témoigner devant une Commission du Sénat et disant aux parlementaires qu'il existe, bien qu'il n'en soit pas lui-même l'adepte, une école de pensée dans les milieux économiques américaines avançant que l'économie américaine atteint de tels sommets qu'elle a changé de substance, qu'elle échappe aux lois de l'histoire, qu'elle est, comme dit précisément Greenspan, « beyond history ». Cette expression extraordinaire, telle qu'elle a été vraiment dite, aurait mérité un sort plus significatif que l'indifférence qui l'a accueillie : le président de la Federal Reserve admettait sans barguigner, sans paraître un instant s'en gausser, que l'on put envisager que l'économie américaine fût effectivement quelque chose qui était sortie de l'histoire, et sortie par le haut, et désormais évoluant « beyond history ». Cela fixe les esprits et leur état.
A cette puissance triomphatrice et auto-glorificatrice de la Bourse parvenue au Paradis, il faut ajouter, deuxième domaine qui rejoint le premier, le triomphe de l'arrogance et de l'hubris qui semblent le principal domaine psychologique de la politique extérieure de l'époque. Après 1995-96, la vague enfle et se fait déferlante, devant les yeux immensément agrandis, subjugués, fascinés, des dirigeants du “reste du monde” (l’acronyme ROW de Rest Of the World, déjà signalé, est adopté durant cette période par le Département d'État). On cherche en vain les mots qui conviennent et un ministre français, ne faisant pourtant qu'emprunter à un universitaire américain, en trouve un qui fera date : “hyperpuissance” (hyperpower), — et pour cela, pour ce péché impardonnable, la propagande états-unienne et tous ses relais habituels et sans nombre vouent Hubert Védrines aux gémonies. Le ministre français n'en paraîtra que plus las et n'en sera pas moins convaincu que l'époque est celle de la force et pas celle de la subtilité.
A côté de ces emportements triomphants et extraordinaires qui font béer ROW d'admiration, car vraiment le monde vit au rythme de ce regard de midinette qu'il porte sur les USA, il y a tout un côté Grande Duchesse de Gerolstein chez les Américains, à Washington plus précisément, mais dans le genre de la superproduction hollywoodienne. On ragote, on médit, on entretient la rumeur ; Washington est une ville provinciale montée en diamant mille-carats de nouveau-riche, et, depuis deux siècles, elle n'a jamais pu se débarrasser de ce vernis encombrant. Ainsi débouche-t-on sur l'affaire Lewinsky, mélange de sexualité light, de formalisme juridique extraordinaire sur la définition de “to have sex”, de rigorisme de puritain, de regards de voyeur et d'enquêteur catalogué en “fou de Dieu” ultra-chrétien. C'est probablement à l'occasion de cette affaire, dont nul ne sort indemne, qu'on mesure le mieux la profondeur du malaise et l'ampleur du déséquilibre qui frappent l'Amérique. L’affaire Lewinsky nous offre une année échevelée où, successivement, on voit ce régime proclamé immortel menacé de s'effondrer dans une explosion de papiers imprimés et de vidéos, et où un président très populaire dans la population est mis en accusation au Congrès pour une affaire de braguette mineure montée en procès pour trahison de nos plus hautes valeurs de civilisation. L’ensemble est entrecoupé d'attaques armées contre Saddam qui détournent l'attention et permettent de souffler sur le front de Washington, en conformité avec l'adage en vogue et colonne vertébrale de la pensée stratégique occidentale, selon lequel “si tu ne sais pourquoi tu frappes Saddam, lui le sait assurément”.
L'apothéose est à l'heure dite et il ne déçoit pas. Les élections présidentielles de novembre-décembre 2000 sont conformes à tout ce qui a précédé. (Ces élections présidentielles terminées dans un mouchoir de poche, dépendantes d'un recomptage des voix en Floride, où l'on se plonge dans un délire de manipulations, de thèses juridiques, des armées d'avocats, des urnes transportées ici et là, des bulletins de vote mal comptés ou mal poinçonnés, des machines qui ne marchent pas, une Cour Suprême ici, une Cour Suprême là, des éditoriaux fâcheux sur l'agonie du régime, le régime qui tient, le triomphe de la démocratie, jusqu'à la suprême Cour Suprême (celle de l'Union après celle de l'État) qui tranche pour le candidat qui a eu le moins de voix, selon un vote de la Cour qui respecte absolument les lignes générales de la corruption des partis.) Les élections-2000 découvrent une crise qui ne peut surprendre puisqu'elle dure depuis une décennie et au-delà, qui ne parvient pas à dire qui elle est, ce qui la justifie, ce qui lui donne cette vigueur ; une population gavée d'auto-satisfaction comme elle l'est de hamburgers, appuyée sur une pensée obèse, fagotée dans Stars et Stripes, divisée de façon extrême et vitupérante, s'affrontant avec férocité sur des thèmes dont on a du mal à percevoir l'urgence ; un système décrépit, mangé par une corruption vieillotte et une obsolescence technologique dans la vie courante qui ne laisse pas d'étonner, animé par des politiciens d'une médiocrité et d'une inculture qui laissent sans voix ; et, autour de cela, un bavardage prodigieux, sans fin, sans limites, qui coule comme du sirop d'érable, qui colle, qui s'auto-proclame et s'auto-félicite. Ce qui doit nous arrêter est l'extrême distance entre la vigueur des ébranlements et la massive puissance des conséquences à venir, d’un côté, et de l’autre l'extraordinaire dérision, la médiocrité de classe moyenne archaïque, qui caractérisent l'agitation immédiate ; entre l'énormité de la vanité et la petitesse de son objet ; entre la taille gargantuesque du bavardage et la réalité microscopique des sujets qui en sont les thèmes. La crise américaine est effectivement comme une sorte d'océan de colle sirupeuse, un bocal gigantesque de miel synthétique à cinq sous. Même les opposants, les dissidents du système, ceux qui sont l'équivalent de ceux qui, en URSS, étaient comptables d'une dimension tragique et d'une affirmation de la dignité humaine, — même ceux-là paraissent volontiers dérisoires, et souvent plus accessoires que pathétiques. La civilisation occidentale à son terme s'achève dans sa version américaine, cette ambition américaine de devenir l'Empire du monde sans rien connaître de l’Empire et de ses devoirs, sans rien connaître du monde et de ses exigences, cette ambition résumée par William Pfaff, à un autre propos mais à peine, par cette phrase qui sonne comme le titre d’une comédie musicale à succès de Broadway : “To Finish in A Burlesque of an Empire”.
On peut dire que l'attaque 9/11 est venue à propos pour faire prendre au sérieux ce qui ne l'était plus. On peut le dire pour se convaincre que 9/11 est un événement tragique mais je n'en suis pas convaincu pour autant, et il me faudra plus d'un éditorial pour acquiescer.