Désordre et confusion dans la basse-cour neocon

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Désordre et confusion dans la basse-cour neocon

Il n’y a rien de plus significatif du désordre et de la confusion libyennes que la déchirure qui semble de plus en plus irrémédiable, qui divise les néo-conservateurs US et apparentés. Deux articles, parus le même jour, mettent en évidence ce conflit intéressant, sinon étonnant, appuyé sur un fond d’accord/de désaccord avec Israël.

• Le 28 mars 2011, le site TalkingPointMemo signale un séminaire tenu ce même jour par l’American Enterprise Institute, temple du mouvement néo-conservateur, où l’on applaudit quasiment sans réserve à la politique du président Obama en Libye. Nombre de grands noms du mouvement étaient présents, dont Tom Donnelly et Paul Wolfowitz

«At a forum on Libya hosted Monday by the hawkish American Enterprise Institute, a bipartisan panel of high-profile pro-war intellectuals applauded Obama's actions thus far in Libya, while pressing him to move in a more neo-conservative direction if he wants to salvage the initiative.

»Danielle Pletka, who heads AEI's Foreign and Defense Policy Studies program, moderated the event, which featured O'Hanlon, Wolfowitz, AEI's Tom Donnelly, and Ken Pollack of the Brookings Institution. In her introductory remarks, Pletka hit the key point: “We have to give the president kudos. In typical American fashion, after having explored every possible option to do the wrong thing, he actually did the right thing.” […]

»“It's a policy that I had the honor of calling for with Paul Wolfowitz in a coauthored piece a few hours before the President got to it a few weeks ago,” O'Hanlon boasted. “I still think the President has made basically the right choice [despite the] need for more affirmative, clear presidential rhetoric. Communications is part of the actual policy, it's not sort of a side note to it.” […] “When people say Libya is not in our vital interest they act as if it's an island in the South Pacific somewhere,” Wolfowitz declared. He may have been referring to Defense Secretary Robert Gates, who elided that notion this Sunday…»

• Le 28 mars 2011 également, sur Antiwar.com, Kelley B. Vlahos détaille l’affrontement interne du mouvement néo-conservateurs. Elle s’attarde surtout au cas de Frank Gaffney et de David Howoritz, des maximalistes pro-israéliens qui se démarquent radicalement des neocons qui soutiennent la guerre en Libye, et elle cite longuement Caroline Glick, citoyenne américaine devenue israélienne et qui est aujourd’hui une des dirigeantes du Jerusalem Post. L’attaque contre les neocons, au nom de la défense de la sécurité d’Israël, est vigoureuse…

«When David Horowitz starts throwing around the label “neoconservative” as if it were a four-letter word, you know a real schism is at hand. That’s because right-wing jihad hunters like Horowitz, Caroline Glick and others are reaching levels of near hysteria over the prospect of Islamic movements gaining political power in a post-revolution Middle East, particularly right now in Egypt. Sure, they believe everyone has the inalienable right to freedom, but not if they live on “hostile soil” or when it is not in America’s “core regional interests.” Under those circumstances, the despots and dictators—as long as they are pro-western and maintain vital security agreements with Israel—are always preferred.

»“The neoconservatives are not motivated to act by concern for the US’s core regional interests. What motivates them is their belief that the US must always oppose tyranny,” writes Glick, an American who emigrated after college to Israel, where she joined the Israeli Defense Forces (IDF), retired at the rank of captain and worked in the Israeli government. She is now the managing editor of The Jerusalem Post and a senior fellow at the D.C-based Center for Security Policy, which was founded by Frank Gaffney, yet another hyperbolic jihad hunter who recently declared that the Conservative Political Action Conference (CPAC) had been infiltrated by the Muslim Brotherhood.

»“In some cases, like Iran and Iraq, the neoconservatives’ view was in consonance with US strategic interests and so their policy recommendation of siding with regime opponents against the regimes was rational,” Glick wrote in a March 21 column. However, “the problem with the neoconservative position is that it makes no distinction between liberal regime opponents and illiberal regime opponents. It can see no difference between pro-US despots and anti-US despots.” […]

»Glick calls President Obama’s response to the Arab revolutions—particularly in Egypt and Libya— a “descent into strategic dementia,” and “insanity.” She blasts Obama for hewing to an “anti-imperialist” agenda that would end “US global hegemony.” Of course such “irrationality,” as she puts it, puts at risk those important “core interests” in the Middle East, which she defines as cheap oil, deterring enemies and fighting “pan-Arabists and the jihadists that advance a political program inherently hostile to US power.”

»She doesn’t invoke Israel, but she doesn’t really have to. Others do that for her. Horowitz jumped in immediately in a blog post stating that “if Caroline Glick is correct in this analysis of what is happening in the Middle East,” it in part, “signals the beginning of the next war with Israel.”»

La durée semble désormais indiquer que la crise interne du mouvement néo-conservateur, évidente dès les événements de Tunisie et surtout d’Egypte, est faite non seulement pour durer mais pour s’institutionnaliser. Nous avions, le 4 février 2011, tenté d’apprécier les conditions éventuellement métahistoriques de cette scission interne du mouvement extrémiste US, qui a montré tant de capacités et d’habileté d’influence et de manipulation, et qui semble impuissant à échapper à ses propres démons idéologiques. Il est en effet caractéristique de la passion idéologique de voir un tel mouvement, si complètement corrompu, jouant sans vergogne de toutes les dissimulations et de tous les mensonges, plaçant son soutien à Israël et à la politique expansionniste au-dessus de toutes les autres considérations, donc cultivant avec assiduité le cynisme en politique, se trouver lui-même confronté au piège de ses propres passions en se déchirant sur ce qui fait son fondement, et donc risquant rien de moins que la disparition en tant que force d’influence. En effet, la scission de facto du mouvement constitue un motif fondamental d’affaiblissement de son influence, et la nécessité pour les neocons de telle ou telle tendance de chercher des alliés devant lesquels des concessions peut-être décisives pour eux seront nécessaires.

Il est intéressant, bien entendu, que cette querelle interne se manifeste à nouveau, et avec quelle vivacité, à propos de la crise libyenne. On pourrait avancer que la mésentente au sein des neocons à ce propos est encore plus grande qu’à propos de l’Egypte et de Moubarak ; parce que, pour les uns, Kadhafi est un dictateur encore plus insupportable que Moubarak, pour les autres il est un rempart contre l’islamisme encore plus nécessaire que ne l’était Moubarak. Ainsi, dans l’atmosphère encore plus passionnée, sinon hystérique, et le climat encore plus insaisissable qui entourent Kadhafi et les événements qui se sont déclenchés autour de lui et contre lui, la confusion idéologique pour les observateurs extérieurs apparaît bien plus grande que dans les cas précédents (Tunisie, Egypte, etc.). Cela est bien illustré par la bataille interne des neocons et permet de mesurer la différence entre l’époque de GW Bush et notre époque, entre cette époque où les USA croyaient avec arrogance et naïveté contrôler les évènements après les avoir suscités, et cette époque où, en vérité, plus personne ne contrôle plus rien. Les neocons sont donc utiles jusqu’au bout, puisqu’ils servent si bien à nous faire mesurer combien le temps passe, et passe si vite…

 

Mis en ligne le 29 mars 2011 à 10H49