De Folamour à BHO, et l'attaque “inappropriée” contre la Russie

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De Folamour à BHO, et l'attaque “inappropriée” contre la Russie

Dans le fameux film de Stanley Kubrick, – «Docteur Folamour, ou comment j’ai appris à aimer la Bombe, – il y a un long échange entre le président des USA (un des multiples rôles de Peter Sellers dans le film) et l’ambassadeur de l’URSS à Washington, à propos d’une Doomsday Machine, installée par les Soviétiques pour déclencher automatiquement le tir de la force nucléaire stratégique soviétique en cas d’attaque-surprise ennemie qui détruirait les systèmes de commandement et de contrôle de ces forces. Ce système exista réellement semble-t-il (mais pas encore du temps de Doctor Strangelove), et peut-être, sans doute, fort probablement, existe-t-il encore... (Voir pour de nombreuses informations, et surtout des spéculations, le texte de Wired.com du 21 septembre 2009, «Inside the Apocalyptic Soviet Doomsday Machine». Le système soviétique devenu russe est nommé Perimeter, ou bien encore Metvaya Ruka [“Main de la Mort”].)

Le dernier en date à nous rappeler cette affaire est un présentateur de la TV russe, Dmitri Kiseliov, de la chaîne Rossiya-1. (La chaîne est, à cette occasion, présentée partout dans la presse anglo-saxonne et apparentée BAO selon la formule State TV ou state-owned TV qui vous en dit long, clin d’œil à l’appui, sur la charge de propagande, de narrative, etc., qui va avec, cela pour les chaînes publiques, surtout en URSS, – pardon en Russie, par opposition aux chaînes privées tenues par les grands groupes du corporate power BAO dont on sait la surréaliste vertu de la liberté de parole, la vénération pour la vérité, le parler anticonformiste, l’absence de déformation des choses, etc., absolument etc.) Bref, Kiseliov, qui est catalogué comme un “dur”, un “propagandiste soviétique”, – pardon, “russe”, par la presse-Système BAO n’y est pas allé de main-morte le 16 mars 2014, lors de son show du dimanche : «State TV says Russia could turn US to “radioactive ash”». Quelques précisions :

«A leading anchor on Russian state television on Sunday described Russia as the only country capable of turning the United States into “radioactive ash”, in an incendiary comment at the height of tensions over the Crimea referendum. “Russia is the only country in the world realistically capable of turning the United States into radioactive ash,” [...] Kiselyov made the comment to support his argument that the United States and President Barack Obama were living in fear of Russia led by President Vladimir Putin amid the Ukraine crisis. [...] He stood in his studio in front of a gigantic image of a mushroom cloud produced after a nuclear attack, with the words “into radioactive ash”. “Americans themselves consider Putin to be a stronger leader than Obama,” he added, pointing to opinion polls which then popped up on the screen. “Why is Obama phoning Putin all the time and talking to him for hours on end?” he asked.

»Kiselyov also made great play of Russia's so-called “dead hand” capability to fire nuclear-capable intercontinental missiles automatically in the case of attack. The system, also known as Perimeter, was in use during the Cold War but its use in post-Soviet Russia is not officially confirmed. But Kiselyov appeared to claim it remained active, giving Russia the chance to strike back even if its main command positions were taken out in a strike by the West. “Even if people in all our command posts after an enemy atomic attack cannot be contacted, the system will automatically fire our missiles from mines and submarines in the right direction,” he added...»

• L’intervention de Kiseliov, célèbre par ailleurs pour son opposition au mariage gay et autres fariboles, et qui a été nommé à la direction de Russia Today, a soulevé un torrent de sarcasmes et de critiques dans nos contrées vertueuses. Certes, Kiseliov n’est pas un modèle de mesure et de tempérance, mais quoi, à la guerre comme à la guerre ... Justement, c’est le cas de le dire et on espère tout de même, paraît-il, que ce n’est pas le cas de le dire. Mais en fait, la guerre existt-elle toujours, ou bien simplement encore ?

• Tout cela qui précède a-t-il un rapport avec ceci qui suit ? Il est vrai, comme nous le constatons par ailleurs (voir ce même 20 mars 2014) que l’idée du risque d’escalade nucléaire dans la crise ukrainienne commence à faire son chemin dans les inconscients et peut-être dans les esprits, et, par conséquent, il est avéré que le risque d’une guerre avec la Russie commence à être considérée. L’important est pourtant, en l’occurrence, de voir comment ce risque est considéré ... Une question sur ce point a été posée à Obama sur la chaîne KNSD et le président des États-Unis y a répondu nettement, selon une formule qui mérite d’être retenue, à l’instar de “La route du fer est coupée”, comparé à la hauteur de l’enjeu : une guerre contre la Russie “n’est pas appropriée”, – et même une “excursion militaire” en Ukraine serait assez malvenue. De même qu’il y a un body language, il y a un language language (disons un “langage du langage”) qui nous en dit long... (Sur Aniwar.com le 19 mars 2014.)

«In an interview today with KNSD, President Obama ruled out any “military excursion” into the Ukraine or any attack on Russia over the nation’s annexation of Crimea, saying it “would not be appropriate.” Obama went on to say “we do not need to trigger an actual war with Russia,” and that a war would “not be good for Ukraine either.” Rather, he said the focus was on building an international coalition to “send a clear message” to Russia.»

• Les formules employées par Obama ne sont pas indifférentes (“military excursion”, “[any attack on Russia] would not be appropriate”, “we do not need to trigger an actual war with Russia”, “[a war would] not be good for Ukraine either”). Plus précisément appréciées, alors qu’il s’agit d’un conflit avec la Russie, ces diverses formules sont stupéfiantes ou bien pleines de créativité surréaliste. Elles dénotent une inconscience exceptionnelle de l’enjeu ou bien une indifférence pour lui (l’enjeu), une dialectique cotonneuse, une psychologie fantomatique face à la perspective envisagée. BHO et sa “cooltitude absolu” (dixit Antoine de Caunes sur Le Grand Journal, maître de l’infortainment parisienne) représentent les productions standard de la postmodernité face à la vérité de la situation dont ils sont eux-mêmes les géniteurs, comme d’une sorte de communication biologique. Nous avons affaire à une “nouvelle race” de décideurs (prenez le mot “race” avec les précautions d’usage, gare à l’anathème, un peu comme il y eut Euromarchés, avec son slogan «Une nouvelle race de magasins» dans les années 1970, habilement et courageusement remplacé par le slogan «D'abord, vous rendre service» dans les années 1990, lorsque le vent de la liberté de parole se fut levé).

• Et là-dessus, on observe que des manœuvres militaires diverses ont lieu ou vont avoir lieu en Ukraine ou alentour, de la part de pays qui n'ont en principe aucun lien essentiel avec l'Ukraine. D’une part, il s’agit de manœuvres navales en Mer Noire, notamment autour d’un destroyer de l’US Navy, le USS Truxtun. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat, – alors pourquoi donner des verges pour se faire fouetter ? (Voir PressTV.ir, le 20 mars 2014 :«A US Naval Forces official told Reuters on Wednesday that the USS Truxtun, a US Navy guided-missile destroyer, conducted a one-day military exercise with the Bulgarian and Romanian navies a few hundred kilometers from the Russian forces deployed in the Black Sea peninsula of Crimea. “There are many reasons for exercises with allies, it allows us an opportunity to assure our NATO allies that we support them,” said Shawn Eklund, a public affairs officer for US Naval Forces Europe.») Même remarque pour les six F-15C déployés en Lituanie et les douze F-16 en Pologne, tous de l’USAF. Même chose, sinon encore plus puisqu’il n’est plus question cette fois de coopération fraternelle exclusivement entre alliés de l’OTAN, avec ces manœuvres Rapid Trident-2014, en Ukraine, qui rassemblent un groupe foisonnant de nationalités diverses, de compagnons d’occasion dont on se demande quelle mouche les pique de se rassembler de la sorte, – sinon l’universalisme et le multiculturalisme bien connus du Pentagone, cet artefact représentant le front bas bureaucratique de l’“idéal de puissance” sur lequel le soleil ne se couche jamais... Ainsi apprend-on, à cette occasion, qu'un état-major de fortune américano-ukrainien fonctionne déjà à Lviv, en Ukraine, dans la place-forte des ultra-nationalistes ukrainiens. (Guardian, le 20 mars 2014.)

«[...A] group of about 1,300 troops, mostly American [...] taking part in Rapid Trident, a previously planned exercise. US officers cancelled a military exercise in Russia in the light of current events but confirmed the exercise in Ukraine would go ahead. British officials said they had yet to decide the UK's level of participation in Ukraine but confirmed planning for Rapid Trident 2014 in Lviv, near the Polish border, was ongoing. [...]

»Rapid Trident 2014 is to “promote regional stability and security, strengthen partnership capacity and foster trust while improving interoperability between the land forces of Ukraine, and Nato and partner nations,” according to the US forces in Europe website. In addition to US and UK troops, Rapid Trident 2014 will include units from Armenia, Azerbaijan, Bulgaria, Canada, Georgia, Germany, Moldova, Poland, Romania and Ukraine. Last year's exercise lasted two weeks and included about 1,300 troops. It focused on “airborne and air-mobile infantry operations,” according to a report on the Rapid Trident website.»

... Bref, la question qui se pose et qui en engendre beaucoup d’autres est de savoir si la direction américaniste, celles du bloc BAO et les comparses, dont l’inévitable OTAN avec sa cohorte de fonctionnaires, y compris aussi les amis extérieurs rassemblés pour une joyeuse “excursion” en Ukraine, sont au courant du fait que la crise ukrainienne ne dépend pas du seul système de la communication, mais qu’il y est question aussi de réalités très fermes reposant sur la logique de force du système du technologisme. Lorsqu’un président des USA nous annonce, très cool, qu’une “excursion” (militaire) en Ukraine n’est pas prévue, et qu’une attaque de la Russie n’est finalement pas, tous comptes faits, tout à fait “appropriée”, et qu’en même temps se confirme qu’auront lieu des manœuvres entre les pays de l’OTAN et l’Ukraine, avec quelques autres, sur le territoire ukrainien, on est fondé à se demander sur quel terrain exactement se déroule le pseudo-Grand Jeu, et si ce “Grand Jeu” est bien à mettre entre toutes les mains.

Le “Grand Jeu” est-il déclamatoire (système de la communication) ou bien est-il militaire (système du technologisme) ? Fait-on tout ce qu’il importe pour éviter la guerre, par exemple en évitant une manœuvre militaire sur le territoire ukrainien où l’un de ces fameux snipers insaisissables dont a été instruite Lady Ashton serait tenté de tirer une rafale de très grande précision sur un peloton de soldats US en manœuvres pour qu’on puisse aussitôt dénoncer les Russes ? Ou bien, tout se passe-t-il comme si “la guerre” restait une option de communication (“toutes les options” sont-elles ou non sur la table ?) et rien d’autre ? Ou bien encore, la réalité de la “guerre”, de la “vraie guerre”, existe-t-elle encore dans les esprits éclairés des dirigeants du bloc BAO ? Ou bien la “guerre” s’est-elle retranchée derrière l’écran des jeux vidéos et des images de ces guerriers bardés de lunettes noires, de gilets pare-balles, d’uniformes chamarrés à force d’être camouflés, de casques eux-mêmes camouflés et surmontés d’une forêt de viseurs ou de visionneurs infrarouges et autres, que l’on voit défiler sur nos écrans, anonymes, déshumanisés, l’Afghanistan valant bien l’Irak ? La guerre est-elle devenue si abstraite et si hollywoodienne, avec les “dégâts collatéraux”, les drones, les mariages rituels pris pour autant de rassemblements terroristes, qu’on ne puisse plus y songer sérieusement, ou bien simplement sans plus, de façon à élaborer une stratégie en fonction de la guerre-redevenue-réelle ?

Le bloc BAO poursuit son “excursion” dans la crise ukrainienne à la façon d’un robot, pré-programmé, retranché sur son autisme qui a déjà distribué les rôles, avec en sautoir tous les plans des complots habituels. Le “brouillard de la guerre” n’existe pas dans le système de la communication. La chose est déjà programmée dans les déclarations mesurées du président, les manœuvres décidées avant que la crise ukrainienne n’éclate, le scénario déjà écrit avant que l’on sache quel film est au programme.


Mis en ligne le 20 mars 2014 à 16H39