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2714On signale ici une excellente analyse de Dimitri Trenine, qu’on a déjà rencontré sur ce site (voir le 4 mars 2014). Bien que directeur du Carnegie Centre de Moscou, ce qui devrait impliquer une orientation “occidentaliste”, sinon américaniste dans les élites moscovites, Trenine se montre au contraire comme un commentateur éclairé, qui sait définir une situation sans céder aux tropismes sans nombre qui caractérisent tout ce qui dépend trop des largesses du bloc BAO dans le chef des organisations implantées en Russie dans ce sens. Cette fois, Trenine s’essaie à un exercice qui commence à faire florès chez les commentateurs et analystes, qui est la prospective des relations Russie-USA, c’est-à-dire de l’affrontement Russie-USA qui est désormais officiellement déclaré et institué, après la destruction du vol MH17, comme si cet événement constituait un symbole plus qu’un véritable événement. (Comme l’on sait, on n’a pas déterminé les circonstances de cet incident, et la probabilité que la Russie en soit l’instigatrice, comme le proclament unanimement la presse-Système et les dirigeants-Système du bloc BAO, est extrêmement minime, sinon inexistante. On écarte donc le poids disons opérationnel de cet événement totalement faussaire, à l’image de notre époque, et on le considérerait plutôt comme le symbole de l'achèvement accéléré de la réorientation radicale des relations internationales.)
On observera que, malgré toutes les nuances qu’il apporte à son récit, Trenine sait dire l’essentiel, qui est, dans ce cas, le contraire de ce qu’offre comme perspective la stratégie du bloc BAO : savoir que les pressions grandissantes et contraignantes appliquées sur Poutine et sur la Russie ne conduiront pas à une révolte populaire coûtant le pouvoir au président russe, mais sans doute exactement à son contraire («[Putin] also calls for a more nationally conscious elite and patriotic upbringing of the younger generation of Russians. To a degree, the Western pressure aids the Kremlin's efforts»).
Voici quelques extraits du texte de Trenine, à la fois pour le Carnegie Centre (le 29 juillet 2014) et pour The National Interest (encore le 29 juillet 2014). Nous verrons après, après en avoir apprécié le contenu, quelle sorte de problème ce texte nous pose, tout comme bien entendu l’essentiel de ceux qui sont publiés désormais sur ce sujet, – c’est-à-dire précisément du point de vue de la méthodologie choisie.
«For the foreseeable future, Ukraine will remain the main battleground of that struggle. Moscow's tactics can change, but its core interests will not. The main goal is to bar Ukraine from NATO, and the U.S. military from Ukraine. Other goals include keeping the Russian cultural identity of Ukraine's south and east, and keeping Crimea Russian. In the very long run, the status of Crimea will be the emblem of the outcome of the competition.
»In broader terms, the competition is not so much for Ukraine as for Europe and its direction. Unlike at the start of the Cold War, with its pervasive and overriding fear of communism, the present situation in Ukraine and the wider U.S. conflict with Russia can be divisive. Western Europeans generally still see no threat from Russia; they also depend on Russian energy supplies and on the Russian market for their manufacturing exports.
»Russia will seek to salvage as much of its economic relationship with the EU countries as possible, especially to retain some access to European technology and investment. It will also work hard to protect the market for its energy supplies to Europe. In this effort, Moscow will focus on Germany, Italy, France, Spain and a number of smaller countries—from Finland to Austria to Greece—with which Russia has built extensive trading relations. [...]
»Longer-term Russian calculations are linked with the steady emergence of Germany as a twenty-first century great power and Europe's de facto leader. This process, over time, could give the EU the character of a genuine strategic player and make Europe's relations with the United States more equitable. Even though Berlin's and Moscow's interests differ significantly, and a stronger Germany may not necessarily lead to an easy understanding with Russia, Russo-German relations are a rising priority for the Kremlin.
»This calculus however, is for the distant future. For the present, Russia is seeking to compensate for the losses in its Western trade and its standing vis-a-vis Europe and the United States through a new outreach to Asia. China's importance to Russia rises, as it is the one major economy impervious to U.S.-initiated sanctions. Concerned at the same time with potentially becoming too dependent on its giant neighbor, Russia will seek to engage others, such as Japan and South Korea, but, like in Europe's case, those countries' relations with Russia will be constrained by their alliances with the United States. [...]
»The competition, skewed and asymmetrical as it may be, is likely to be hard and long. The sanctions will not make Putin back off. He also knows that if he were to step back, pressure on him will only increase. The Russian elite may have to undergo a major transformation, and a personnel turnover, as a result of growing isolation from the West, but the Russian people at large are more likely to grow more patriotic under outside pressure—especially if Putin leans harder on official corruption and bureaucratic arbitrariness. If the Kremlin, however, turns the country into a besieged fortress and introduces mass repression, it will definitely lose.
»It is too early to speculate how the contest might end. The stakes are very high. Any serious concession by Putin will lead to him losing power in Russia, which will probably send the country into a major turmoil, and any serious concession by the United States—in terms of accommodating Russia—will mean a palpable reduction of U.S. global influence, with consequences to follow in Asia, the Middle East and elsewhere. Ironically, the challenge to the world's currently predominant power does not come from the present runner-up, but from a former contender, long thought to be virtually defunct. China could not have hoped for such a helping hand.»
Pour poursuivre d’une façon imagée, nous disons que ce qui nous arrête dans ce texte, certes, ce sont des expressions, des passages tels que «Longer-term Russian calculations are linked with the steady emergence of Germany as a twenty-first century great power and Europe's de facto leader...», «This calculus however, is for the distant future...», «The competition [...] is likely to be hard and long...» ; c’est-à-dire une notion de temps long très présente dans cette prospective, qui semble devoir se mesurer, pour conserver la cohérence du propos, en années pour le moins, bien plus qu’en mois par exemple. C’est là un des grands problèmes que nous pose cette crise ukrainienne qui a surgi d’une façon si inattendue et qui est devenue si rapidement le facteur essentiel des relations internationales, et le centre grondant des relations internationales. Il suffit que l’on se souvienne qu’avant le 20 février, il n’y avait rien de sérieux qui laissât prévoir une secousse sismique d’une telle formidable ampleur, et même après le rattachement de la Crimée à la Russie, les commentateurs étaient nombreux pour considérer que les choses allaient approximativement et progressivement rentrer dans l’ordre, qu’on “ferait avec”, que le désordre sous un vernis relationnel acceptable se poursuivrait comme il allait jusqu’alors. Il n'en est rien parce qu'un élément fondamental est apparu, qui est le facteur absolument déstabilisant. Il s’agit de la volonté américaniste de ne céder sur rien, de développer une narrative confondante d’impudence et de fabrication bâclée pour accuser la Russie dans un procès dont on se préoccupe à peine de l’image publique de distorsion et de simulacre qu’il peut donner, d’orienter sa surpuissance héritée du Système vers l’épreuve suprême, vers la confrontation fondamentale, vers l’antagonisme belliciste directement affirmé avec la Russie, – et, ne peut-on s'empêcher de penser, le plus vite possible tout cela...
Il nous semble que ce facteur éclipse absolument tous les autres, et qu’il n’est certainement pas propice à une certaine “normalisation” de la situation, même pour normaliser des rapports de confrontation ouverte. Ce facteur pressant, qui semble absolument inéluctable, inarrêtable, réduit, atrophie littéralement les possibilités de structuration de la nouvelle situation, fût-ce justement la structuration de cette situation de confrontation. Il transforme littéralement cet axe fondamental des relations internationales (les relations Russie-USA, ou Russie/Chine/éventuellement BRICS-bloc BAO) en une matière fluide, volatile, insaisissable. Les situations locales participent très largement à cette fluidité/volatilité : comment espérer une “structuration de la confrontation” alors que, pour s’en tenir aux dernières nouvelles, la bataille du Donbass se transforme en raclée magnifique de l’armée ukrainienne tandis que les mères des appelés ukrainiens, en territoire-BAO de l’Ukraine de Kiev, réclament leurs enfants et dénoncent la “sale guerre”, comme aux USA durant la guerre du Vietnam. (Voir ce même 4 août 2014.)
L’observation principale que nous sommes alors conduits à faire est bien qu’avec le développement de l’antagonisme Russie-USA, nous ne passons pas d’une époque à une autre, mais nous entrons dans le processus d’accélération finale de la dissolution de l’époque où nous nous trouvons (disons, pour notre propre comptage, depuis 2008 où s’est formellement constitué ce que nous nommons bloc BAO). Et l’on sait que cette perspective, dans notre esprit, implique l’étape ultime de ce que nous désignons comme crise d’effondrement du Système... Nous ne parvenons pas à envisager que s’installe une nouvelle situation que nous pourrions identifier par de simples hypothèses rationnelles dont nous comprenons d’ailleurs la pertinence dans l’esprit de ceux qui la font, une situation qui permette la durée, alors que le temps ne cesse de se contracter et l’Histoire d’accélérer. (Et nous ne parlons pas seulement, ici, de l’hypothèse extrême de la montée aux extrêmes que constituerait un affrontement nucléaire. Ce que nous prévoyons comme l’étape ultime de “la crise d’effondrement” présente bien d’autres possibilités que l’hypothèse nucléaire, et nous irions jusqu’à dire que cette hypothèse nucléaire est très loin d’être une prospective probable, – au contraire du fait de sa possibilité prise comme facteur spécifique, certes, qui pèse, d’une façon ou l’autre, de tout son poids sur la psychologie.) ... Nous ne parlons que de l’extension accélérée du désordre mais dans une brutalité grandissante, qui touche désormais le centre même, l’axe central des relations internationales. Autrement dit, nous serions placés devant une énigme complète quant aux caractères de l’évolution de cette situation, avec la seule certitude de l’accélération soudaine du rythme pourtant déjà si rapide de ce processus.
Alors que tout semblerait pouvoir être interprété comme si nous entrions dans une période de “glaciation” des relations (entre Russie et bloc BAO, essentiellement), effectivement un peu à l’image d’une “Guerre froide 2.0”, nous penserions qu’il s’agit en vérité de l’exact contraire. Au lieu de l’immobilité de la glaciation, il s’agit de la volatilité explosive de l’éruption volcanique, qui arrive à son point explosif après une préparation grondante de secousses diverses et sismiques des quelques dernières années. Dans ces conditions, bien entendu, nous ne parvenons pas une seconde à envisager un phénomène de structuration, et encore moins à envisager une prospective sur plusieurs années, et d’ailleurs nous écartons résolument pour notre compte cette sorte de spéculation. Pour autant, il n’est pas sans intérêt de consulter ceux qui ont une autre perception et qui, au contraire, envisagent des prospectives à ce terme, surtout quand ils proposent une réflexion qui n’est pas trop marquée par l’emprisonnement total et l’infécondité de l’esprit du bloc BAO. Dans certains cas, en un sens, il suffit pour en tirer profit si l'on a notre perception d’apprécier au moins certains éléments de cette sorte de réflexion selon un paramètre temporel extrêmement contracté, et un paramètre historique extrêmement accéléré. L’important est de faire un choix judicieux des éléments qui peuvent être soumis à un tel exercice.
Mis en ligne le 4 août 2014 à 05H52
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