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1699La situation est grave: l’économie US s’est beaucoup plus “contractée” au premier trimestre 2009 qu’il n’était prévu (6,1% au lieu d’un peu plus de 4%). La situation est prometteuse: Wall Street enregistre une hausse significative, qui traduit l’optimisme dévastateur des “investisseurs”, conduit par les prévisions prometteuses de la Federal Reserve. Tout cela se passe le même jour, pour les mêmes objets, dans les mêmes circonstances.
Le site WSWS.org résume effectivement, ce 30 avril 2009, l’étonnant chassé-croisé.
«The Commerce Department reported Wednesday that US gross domestic product (GDP) plunged 6.1 percent on an annual basis in the first quarter of 2009, a far deeper decline than had been predicted by economists. Following a 6.3 percent decline in the last three months of 2008, the Commerce Department report registered the biggest six-month economic contraction in more than 50 years. The first quarter decline also marked the third straight quarterly contraction, the first time this has occurred in 34 years.
»The bleak figures herald a continuing surge in unemployment, already officially at 8.5 percent. More than 5 million jobs have been wiped out in the US since the recession began in December of 2007, and more than 600,000 jobs are disappearing every month. Next month the current slump will become the longest since the Great Depression of the 1930s.
»The report spells a deepening social disaster for tens of millions of Americans, but it did not deter the big investors who drive the stock market from continuing the rally that has brought share prices 22 percent higher than their low point early last month. All three major exchanges closed sharply higher, with the Dow Jones Industrial Average gaining 168 points, the Standard & Poor’s 500 Index rising 18 points, and the Nasdaq Composite Index gaining 38 points. In percentage terms, all three picked up more than 2 percent on the day. Financial stocks led the rally.»
En termes plus conformistes, la même addition de faits conduit à considérer la nouvelle d’une contraction plus forte que prévue comme une bonne nouvelle puisque, par ailleurs, la Fed nous annonce le printemps et le renouveau, – comme le Stavinski du Sacre du printemps à la sauce postmoderne. On obtient donc ceci, de Reuters, le 29 avril 2009:
«The U.S. economy shrank by a surprisingly steep 6.1 percent in the first quarter, hit by a record plunge in business inventories and sinking exports, but investors read signs of recovery in the report. The economy remained on track to emerge from recession in the second half of the year, analysts said, pointing to the run down in inventories that helped boost U.S. stock prices. […]
»“The larger-than-expected decline in first-quarter GDP is good news for the upcoming quarters. We expect that the recession will be over in the second half of the year,” said Harm Bandholz, an economist at Unicredit Markets and Investment Banking in New York.»
…Tout cela puisque, en effet, les prévisions de la Fed, ou les prédictions c’est selon, vont dans le sens du printemps et d'une sortie de la crise vers la fin de cette année («The Federal Reserve, in a statement following a regular two-day meeting, said the pace of deterioration in the economy appeared to be slowing...»). Il semble inutile de se demander pourquoi, si les prévisions, très techniques et mécaniques, sur la contraction de l’économie au premier trimestre se trouvent être fausses d’un bon 50% sur trois mois de temps, celles de la Fed, éventuellement plus poétiques, qui vous annoncent que la reprise se dessine d’un trait un peu plus ferme, ne seraient pas soumises à la même contingence.
Mais on n’entend plus désormais raison, puisque la logique devient celle que la destruction de l’économie permettra un meilleur départ, par ailleurs promis par le mage Bernanke, qui s’est avéré si bon devin in illo tempore. C’est parfaitement retrouver l’esprit de la Grande Dépression, côté face, on veut dire côté Hoover, en 1931; c’était lorsque le président Hoover s’inquiétait tout de même de la montée accélérée du chômage, à l’intention de son secrétaire au trésor Mellon (une des plus riches familles de Wall Street); Mellon lui répondait qu’au contraire cela permettrait une certaine purge, éliminant les éléments asociaux, les marginaux, les inutiles et les tire-au-flanc, pour repartir du bon pied, c’est-à-dire du bon salaire minimum revue à la baisse.
WSWS.org donne une analyse “de classe”, à-la-Marx, de cette différence entre la jubilation de Wall Street et la situation économique crépusculaire, agrémentée de l’explication centrale de l’aide à 100% de Washington pour la pourriture de Wall Street. Certes, l’explication existe mais elle n’est pas nouvelle. Tous les gouvernements US, y compris celui de Franklin Roosevelt, ont soutenu d’une façon ou l’autre à 100% la pourriture de Wall Street. L’habitude est pérenne, pratiquement vitale sinon virale si l’on veut, aussi solide qu’un virus de la grippe porcine. Nous préférons nous tourner, pour expliquer le phénomène actuel d’une manière plus fondamentale qui explique les élans collectifs, vers la psychologie. Qui nous en voudrait, lorsqu’on sait l’importance qu’il est de bon ton d’accorder à la psychologie dans le fonctionnement des marchés boursiers?
Pour résumer notre sentiment par une image moins innocente qu’elle n’en a l’air, nous dirions que l’épisode actuel correspond bien à une phase maniaque de l’affection générale de la maniaco-dépression qui caractérise la civilisation occidentale dans sa phase ultime, dite américaniste. Les traders et autres banquiers sont absolument épuisés par une campagne dépressive (phase dépressive) qui a duré près de six mois, avec des annonces apocalyptiques dix fois par jour, la référence constante à la Grande Dépression (le comble pour un maniaco-dépressif) et ainsi de suite. Ils ont été forcés, par la dépression justement, de tremper le bout du doigt de pied dans l’eau glaciale de l’“économie normale” et, décidément, ils ne supportent pas. La phase maniaque se marque ainsi par une affirmation péremptoire du malade de se détacher de la réalité, c’est-à-dire de cette “économie normale” qu’on l’a forcé à côtoyer et qu’il exècre, pour retrouver son univers propre, plus compréhensif et plus compréhensible. Le pool de psychiatrie commis au chevet du malade, les docteurs Geithner, Summers, Barnanke et accessoirement Obama, se trouvant devant des échéances inévitables, a obligeamment cédé à l’insistance du malade.
La direction générale du système, éventuellement élargie d’ailleurs au-delà des USA, au-delà des trois-quatre psychiatres nommés car la tendance est générale, se trouve absolument désarmée devant les événements. Elle s’est laissée convaincre que la psychologie, justement, est la clef de la crise; qu’en donnant à Wall Street un prozak chiffré quelque part entre $1.000 et $2.000 milliards, agrémenté d’une prospective robuste du docteur Bernanke, on devrait rétablir l’optimisme bouillonnant des bourses et, dans la foulée, ranimer le moral défaillant des guerriers de la consommation, – nous, vous, moi, les citoyens en général, dont le civisme se mesure désormais à la volonté de consommer. Ainsi la machine serait-elle relancée et pourrait-on se tourner vers la résolution de la crise climatique accélérée par le fonctionnement de la machine.
…Tout cela qui semble être écrit sur le ton de la plaisanterie, – à peine. Il va de soi que nous croyons fermement à ce facteur psychologique, tant pour expliquer les réactions boursières que la politique de communication des dirigeants divers et politiques. Il est possible sinon probable, c'est-à-dire certain, que nos dirigeants n’imaginent effectivement plus autre chose pour relancer la machine que cette “main invisible” de la psychologie ranimant les espérances et les ambitions en se transportant de la phase dépressive à la phase maniaque. Il s’agit, à leur niveau, d’un remède eschatologique à une crise et à une époque également eschatologiques.
Mis en ligne le 30 avril 2009 à 11H53
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