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773Tout le monde parle d’une deuxième phase dans la crise ukrainienne, avec la situation en forte aggravation dans la partie russophone, Sud et Est de l’Ukraine. Dans ce rangement, le référendum de la Crimée constituait la première phase. Nous suivons cette comptabilité, mais selon un contenu tout à fait différent. Pour nous, la phase-I a commencé en novembre 2013, avec la rencontre de Vilnius entre l’Ukraine (Ianoukovitch) et l’UE, avec les conséquences qu’on sait. Cette phase, c’est la phase-UE. Désormais commence la phase-II, avec l’OTAN remplaçant l’UE (cela, sans préjuger que l’on pourrait passer à une nouvelle phase où l’UE serait à nouveau sur l’avant-scène). Pour l’instant, en effet, l’UE est quelque peu, sinon “sur la touche” du moins en retrait très net à cause des dissensions sévères entre ses membres (voir le 8 avril 2014).
... Et nous sommes bien loin de dire qu’il y a coordination, non plus qu’il y ait un plan général, machiné ici ou là (les USA, le bloc BAO & tutti quanti, en plus des organisations susnommées). Il y a des opportunités, des maladresses, des occasions, des revers, des aveuglements, des contre-pieds, qui impliquent les uns et les autres, en même temps ou à tour de rôle, mais ce n’est que pure tactique d’occasion et d’opportunité, et en général plutôt de la communication. La vrai dynamique est entièrement une dynamique-Système, opérationnalisée par les deux bureaucraties (UE et OTAN) dans un processus d’enchaînement automatisé où l’on retrouve idéal de puissance et politique-Système, et cela sans aucune stratégie, sans aucun plan préétabli, sans coordination, etc., mais simplement la poussée aveugle et furieuse, d’une stupidité aussi extrême que la force qui l’anime, la dynamique de surpuissance bien connue. Les circonstances ayant de plus en plus écarté l’UE du premier plan, l’OTAN se précipite dans le vide ainsi créé, d’autant que les événements lui permettent de “militariser” la crise aussi vite que possible. En fait de stupidité, l’extrême de l’OTAN a sur l’UE l’avantage de l’antériorité et de l’expérience dans le domaine, et les pantins-Système qui en sont la voix, Rasmussen en premier, sont à la hauteur de la tâche, – c’est-à-dire au sous-sol de l’esprit.
• M.K. Bhadrakumar fait un court article (ce 8 avril 2014) pour nous signaler cette installation de l’OTAN au-devant de la scène, avec la tonitruance habituelle, les bons mots historiques, les serments et les valeurs, là aussi dans le chef du Rasmussen en question. Pas étonnant qu’il ait éructé dans ce sens à l’Elysée où il était en visite, en présence de notre président-poire, tout auréolé de sa retentissante relégitimation des dernières élections. Bien entendu, Bhadrakumar ne suit pas notre classement et s’en tient aux conceptions habituelles des relations internationales, mais la substance de la position de l’OTAN, et de ses ambitions implicites par conséquent, sont visibles.
«The Western assessment seems to be that things are getting dangerously close to a flashpoint in Ukraine. The NATO secretary-general Anders Fogh Rasmussen used exceptionally strong language on Tuesday while warning at a press conference in Paris after talks with President Francois Hollande that “further Russian intervention [in Ukraine] would be a historic mistake and would have grave consequences for our relationship with Russia.” Significantly, Rasmussen touched on NATO’s ties with Ukraine. Last week in an article, he had done kite-flying about NATO membership being open to Ukraine. A momentum appears to be building up as the NATO summit in September in Wales draws closer.
»Clearly, the Founding Act on Mutual Relations, Cooperation and Security (1997) between the NATO and Russia has become a relic of history. That accord served the purpose of getting the then Russian President Boris Yeltsin on board the decision taken by the Bill Clinton Administration in 1996 to give NATO membership to the Warsaw Pact countries (contravening an understanding given to the Soviet leader Mikhail Gorbachev by then US secretary of state James Baker that the western alliance wouldn’t move an inch eastward in the post-cold war era.) Rasmussen said in Paris today, “As regards the NATO-Russia Founding Act from 1997, we are right now reviewing the whole of our relationship with Russia… And foreign ministers will take decisions in that respect when they meet in June.”
»For students of Russian-American relations, the archives will present a fascinating speech at the Atlantic Council on May 20, 1997 made by the then US deputy secretary of state Strobe Talbott, acknowledging that “the issue is NATO enlargement is acutely neuralgic in Russia, especially for the political elite there.” History has come full circle. In an article in Sunday Telegraph newspaper Rasmussen wrote, “Nobody in NATO wants a return to the Cold War, but we see the Kremlin trying to turn back clock and carve up Europe into spheres of influence. We must stand up for our values.”
• Bhadrakumar termine son commentaire en précisant qu’en cette occurrence, Rasmussen est comme d’habitude “la voix de son maître”, c’est-à-dire la voix de Washington. Comme on a vu, ce n’est pas notre analyse, et nous dirions plutôt que Washington, quand Washington parle, est “la voix du chaos” qui constitue l’ersatz de la non-politique enfanté par sa propre usine à gaz du système de l’américanisme, Kerry étant éventuellement la voix de Nuland, laquelle n’est rien d’autre, bien entendu, que la voix du Système ; quant à Rasmussen, certes “voix de son maître” (que pourrait-il être d’autre ?), mais en notant que son maître, pour lui aussi, c’est le Système, rien d’autre et rien de moins. Là où Bhadrakumar a raison, c’est lorsqu’il termine en orientant son attention sur l’Allemagne : «Primarily, the challenge [for Washngton and NATO] is to coax Germany to take a hard line toward Russia. Germany, however, is truly finding itself in a predicament, as an insightful piece in the Spiegel magazine explains...»
• Passons donc au Spiegel, puisque Bhadrakumar nous y invite. Dans un long article ce 7 avril 2014, l’hebdomadaire allemand étudie les aspects militaires de la situation actuelle autour de la crise, c’est-à-dire l’équilibre des forces entre l’OTAN et la Russie, etc. Mais le cœur de l’article, le véritable sujet, d’ailleurs contenu dans le titre lui-même («Ukraine Crisis Exposes Gaps Between Berlin and NATO»), est bien d’opposer in fine la voie diplomatique aux préparatifs militaires, ce qui revient en poussant ces deux logiques à leurs extrêmes à opposer la thèse de la recherche de la réparation des bonnes relations avec la Russie à la thèse de la préparation à un affrontement avec la Russie. L’article semblerait, in fine toujours, et d’une façon assez ambigu, – pour ne pas perdre contact avec la partie dure (Otanesque) tout en mettant implicitement en évidence les avantages de la partie “arrangement”, – exposer implicitement que la voie de la raison est celle du ministre allemand des affaires étrangères qui est l’homme en pointe dans la recherche d’un arrangement avec la Russie (cela, sans surprise certes, – voir le 3 février 2014). Il faut donc lire les premiers paragraphes de l’article du Spiegel, et notamment le premier exprimant l’ambiguïté en question...
«Once the Cold War ended, Western militaries reduced their focus on military deterrence in Europe. As a consequence, the Ukraine crisis has caught NATO flat-footed as it rushes to find an adequate response to Russia. Germany has been reluctant to go along.
«Frank-Walter Steinmeier wasted little time after returning to Berlin from the NATO foreign ministers' meeting in Brussels last week. He went straight to parliament to inform German lawmakers of the decisions reached. And he did so in the manner which he would like to be perceived as he negotiates the ongoing Crimea crisis: calm, reserved and to-the-point. Indeed, the only time he showed any emotion at all during last Wednesday's meeting of the Foreign Affairs Committee was when he spoke of NATO General Secretary Anders Fogh Rasmussen.
»Earlier, Rasmussen had published an op-ed in the German daily Die Welt saying that the path to NATO membership was fundamentally open to Ukraine. “The right of sovereign states to determine their own way forward is one of the foundations of modern Europe,” he wrote. That, though, marked a significant departure from Germany's own focus on de-escalating the burgeoning confrontation with Russia. “NATO membership for Ukraine is not pending,” Steinmeier huffed. He said that foreign policy was in danger of becoming militarized, adding that it was about time for political leaders to regain the upper hand.
»Steinmeier, though, is fully aware that the course Rasmussen is charting won't disappear any time soon. Already, preparations have begun for the next NATO summit of alliance heads of state and government in September. Thus far, there is only one item on the agenda: a new strategy for NATO. Berlin is skeptical. And concerned.»
• On ajoutera un élément à ce dossier, qui est une lettre ouverte de centaines de citoyens allemands représentant les milieux artistiques, universitaires, scientifiques, journalistiques, experts, juridiques, etc., selon une initiative lancée par un ancien lieutenant-colonel de la Luftwaffe à la retraite, Jochen Scholz, qui s’est déjà signalé depuis plusieurs années par un activisme antiaméricaniste (antiSystème). Russia Today, qui a interviewé Scholz, fait grand cas de ce document, le 9 avril 2014. (Pour ne pas être soupçonné, c’est-à-dire condamné et exécuté, de faux et commentaire de faux, par un BHL ou une Victoria Nuland-Fuck en maraude, nous nous empressons de référencer le lien renvoyant au texte de la lettre et aux noms des signataires.)
« Retired German Air Force Lieutenant Colonel Jochen Scholz wrote an open letter to the Russian leader in response to the speech Putin made on March 18, 2014 at the reunification of Crimea with Russia. The letter was cosigned by hundreds of Germans including lawyers, journalists, doctors, servicemen, scholars, scientists, diplomats and historians. In that letter the German intellectuals said that Putin’s speech “appealed directly to the German people” and deserved a “positive response that corresponds to the true feelings of Germans.”
»The letter acknowledges that the Soviet Union indeed played a decisive role in the liberation of Europe from Nazi Germany and supported the reunification of Germany and its ascension into NATO after the fall of the Berlin Wall and the dissolution of the Warsaw Pact. Then US President George Bush Sr. had given assurances to Russia that NATO will not expand eastward, and yet despite Moscow's show of trust, the US and its allies violated that commitment, Scholz says. “NATO expansion into the former Soviet republics, the creation of military bases in the former Warsaw Pact countries and the setup of an umbrella missile defense system in Eastern Europe, while unilaterally withdrawing from the ABM Treaty by the US is a flagrant violation of promises,” the letter reads. [...]
»In an interview with RT, Scholz elaborated on his position claiming that the US interests and vision of the world order, where the continent is allocated the role of Washington’s “vassals”, differs from European interests. “During the Cold War, the interests of United States and Europe where almost 100 percent identical. But since 1990 this has changed. European interests are objectively different than those of the US,” he told RT. “So our task here in Europe, and off course Russia belongs to it too, is to take our affairs in our own hands. To work with each other in peace and cooperation with respect for human rights.” [...]
»Commenting on the position of the German government towards Russia at the moment, Scholz told RT that Berlin is in a “very difficult position” as a member of EU and NATO as goals of these blocs contradict German desire “to develop closer relationship with Russia.” “We should develop our neighbor policy together with Russia and on that way we can move forward. But in any case there should be no further expansion of NATO towards the Russian borders,” he told RT.»
... En temps normal de Guerre froide, puisque tout ne monde ne parle que de ça, nous dirions que les problèmes abordés ici (posture de mobilisation de l’OTAN, position de l’Allemagne vis-à-vis de l’OTAN) n’en seraient guère. Les questions posées seraient résolues d’avance : l’OTAN en pleine expansion mobilisatrice sous les applaudissements unanimes de nos “valeurs” ainsi soulagées, l’Allemagne rentrant dans le rang. Mais, nous l’avons dit, nous ne sommes pas dans une “nouvelle Guerre froide” (voir le 20 mars 2014). De même, lorsque le Spiegel pose la question de savoir si la dissuasion de l’OTAN (du bloc BAO) face à la Russie joue encore comme elle a joué durant la Guerre froide, il se trompe d’époque, – “nous ne sommes pas dans une ‘nouvelle Guerre froide’”. Il n’est pas question de dissuasion de la Russie, mais bien de confrontation avec la Russie... Si la voie otanienne est suivie, la confrontation est garantie dans tous les cas et de toutes les façons (et l’OTAN, qui calcule en années pour préparer ses forces, ne se rend pas compte sur quelle voie dangereuse elle s’engage). C’est à ce niveau qu’il faut situer le jugement, au niveau de la pensée-OTAN – l’effort n’est pas très exigeant, et la hauteur requise ne donne pas le vertige.
Mais certes, la pensée-OTAN n’est plus du tout assurée, sinon pour l’immédiat (ce qui est déjà discutable dans les circonstances présentes) dans tous les cas pour le terme assez rapproché, d’être encore majoritaire en Europe, parce qu’il n’est plus question, au terme de cette logique de fou, d’une guerre ratée en Afghanistan ou d’une défaite maquillée en massacre démocratique et déstructurant en Irak, ou d’une hystérie pour des massacres syriens si éloignés de nos week-ends de Pâques et de nos débats fondamentaux sur le “mariage pour tous”. Il est question, au terme de cette logique de fou, d’une guerre possible en Europe, avec la Russie engagée pour sa survie de vieille nation et qui a déjà montré plusieurs fois dans l’histoire qu’elle sait retrouver dans les moments ultimes de la métahistoire la voie de l’héroïsme et du sacrifice. La perspective est notablement différente et les allégeances arrangeantes faites à la peste américaniste, les fidélités honteuses à l’OTAN, tout cela au nom du Système dont la finalité n’est rien d’autre que la destruction du monde, trouveront cette fois à qui parler, sinon à quoi parler. Par conséquent, le constat, dans cette deuxième phase qui voit l’accélération de la bureaucratie-OTAN, un échelon plus loin que l’UE dans la philosophie du “fauteur de guerre”, est que la partie est totalement inédite, sans précédent dans la période-Système organisée depuis 1945, – avec, par exemple et pour le cas envisagé, une véritable incertitude sur l’orientation que pourrait prendre l’Allemagne en cas d’aggravation décisive de la situation, où l’allégeance transatlantique ne serait plus le réflexe pavlovien qu’on a connu depuis 1949-1954.
Les positions habituelles, les arguments sempiternels et les narrative sur nos “valeurs” ne suffisent plus à nous donner la clef de ce qui serait un scénario écrit d’avance. Cette fois, nous sommes placés devant une énigme, – toujours cette même sacrée énigme de la crise du monde, – et nous reprenons, en l’aménageant selon l’actualité du jour, la phrase qui terminait notre texte du 29 mars 2014 : «Cette question de la vision métahistorique, [de notre avenir immédiat...] est, pour l’instant, l’équivalent de ce que Churchill disait en 1939 du pouvoir soviétique : «“it is a riddle, wrapped in a mystery, inside an enigma...”» Cela signifie qu’avant d’en arriver au pire que nous réserverait le “scénario écrit d’avance” de la logique de fou de l’OTAN, et du Système, pourraient s’intercaler les circonstances de mésententes et de catastrophes successives au sein du bloc BAO nous conduisant à l’accélération décisive de la crise d’effondrement du Système, – si l'on veut, avant même que le Système ait pu cracher son ultime venin.
Mis en ligne le 9 avril 2014 à 11H06
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