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1203Le sort de DSK est pour l’instant considéré comme perdu corps et bien dans un appartement new-yorkais au loyer mensuel de $50.000 (combien ? autour de €40.000 par mois ?), avec notamment salle de projection, salle de bains sauna et salle de musculation. (Voyez The Independent, qui perd son flegme à ce propos, ce 27 mai 2011.) Mais DSK est-il tout à fait perdu ? Certains commentateurs voudraient croire que non, et vont jusqu’à faire la supposition en forme de pression amicale, pour que tel ou tel juge new-yorkais comprenne qu’avec un “DSK perdu” le sort du monde libre, de la globalisation, de l’attitude de la Chine, c’est-à-dire du “consensus de Disneyworld” en un mot, est en jeu.
Est-ce le cas de Francesco Sisci d’être un de ces commentateurs, le 26 mai 2011 sur Atimes.com ? Correspondant-chroniqueur en Chine et dans ses alentours du quotidien économique fort proche du patronat italien Il Sole 24 Ore, Sisci apporte son expertise globalisante et sa vertu supposée de sinologue pour nous présenter une thèse à la fois étrange et sans surprise. Le principe est qu’il “faut sauver le soldat DSK”, pour en faire un candidat à l’élection présidentielle française (il semble que Sisci y croit encore), donc un vainqueur, donc un président français et le véritable chef de l’Europe, et un chef de l'Europe qui apporterait en plus toute satisfaction d’apaisement à Washington…
La première partie de l’article de Sisci consiste à montrer que, tant qu’il n’est pas démontré que DSK a fait quelque chose de pendable, il doit être tenu pour acquis qu’il n’a rien fait de pendable. (Cela s’appelle, rappelons-le, la “présomption d’innocence”.) Là-dessus, il nous semble bien qu’on soit persuadé, du côté de Sisci, que DSK n’a rien fait, car un dragueur, ou un séducteur, n’est pas un violent, ou un violeur. Vieille thèse rajeunie, en vogue dans les salons du parti des salonnards.
Ensuite, Sisci se désole que l’Europe semble aller à hue et à dia. Il en attribue la responsabilité à la piètre habileté de Sarkozy et à la conduite quelque peu impérative d’Angela Merkel, cette Allemande venue de l’Est qui n’aurait pas le complexe de culpabilité de ceux de l’Ouest, laquelle culpabilité les empêchait de nous refaire le coup de la puissance allemande. («She came from a different upbringing, in former Soviet satellite East Germany, and thus was unhindered by the convulsions of conscience assailing her former West German colleagues, who were still steeped in the guilt for Germany's role in two world wars. She was therefore less timid than her predecessors in transforming Germany's economic muscle into political leverage.»)
Dans ce cadre déplorable, c’est DSK, en tant que directeur du FMI, qui vint remettre de l’ordre, et, notamment, imposer quelque attitude plus retreinte à l’impérative Allemagne d’Angela Merkel. D’où l’on, en déduit, Sisci dixit, que DSK est le meilleur choix possible, notamment pour les milieux d’affaires qui comptent en Europe, pour devenir le nouveau président français et le véritable “patron” (ou PDG, ou CEO) de l’Europe. Il ne reste plus qu’à en aviser le juge new yorkais, les électeurs français et ceux qui, en politique française, se sont arrangés de la “liquidation” de DSK…. Tout cela doit être réalisé vite fait, sans quoi la Chine, qui va décider l’année prochaine de son “nouveau cours” pour les 10 prochaines années, se détournera de l’Occident…
«In this situation, Strauss-Kahn at the IMF played a significant role in reining in German impulses and coordinating a more pan-European economic strategy, which had global implications since the IMF actions de facto pushed Europe for greater political unity. If he were to become France's president, he could bank on this experience and lead not only France but also Europe. He could also rely on the US's trust, gained at the IMF and before, that he would not turn the European Union into an anti-American stronghold.
»Without him, this project is not impossible but certainly less likely. History does not move in a straight line, men and countries are taken by hubris, and s... happens. Yet it is very important to dismiss suspicions that there is any conspiracy in these sexual abuse charges.
»This is not simply a domestic French issue; it is globally relevant. If China, traditionally fond of conspiracy theories, were to come to believe that Strauss-Kahn was put away to eliminate a possible future political scenario for Europe and the world, this could move Beijing further away from the West. It is a critical moment when at its 2012 Communist Party Congress China will decide its strategic course for the next 10 years.
»Therefore, judgment should be suspended until Strauss-Kahn is proven guilty to cast away any conspiracy theories. If he is innocent he should be allowed to choose to run for president, even as a womanizer - that is not against the law and not even against his wife's knowledge. There have been many other womanizing presidents. He won't be the first and won't be the last, provided he has not broken the law.
»Perhaps the court in New York should take all this into consideration, strongly recommending the public not to pass judgment on Strauss-Kahn before the jury does. In this confusing moment, perhaps only that judge in New York can remind Westerners and the world that, yes, Strauss-Kahn might have his faults, and these should be known to his potential voters, but he is innocent until proven guilty.»
Eh bien, théorie du complot ou pas, c’est un bien étrange article, à moins qu’il ne reflète un de ces efforts qu’on définirait finalement comme “l’énergie du désespoir”… Que signifie cette affirmation selon laquelle la Chine, “traditionnellement friande de théories du complot”, pourrait en venir à croire que DSK a été éliminé pour empêcher que se réalise un scénario politique du type globalisé et américaniste-occidentaliste, et que cela pourrait “la détourner encore plus de l’Occident” ? L’argument est étrange, naïf ou complexe, ou bien désespéré. L’appel au tribunal new-yorkais ne l’est pas moins, et pas moins non plus cette hypothèse selon laquelle DSK, “présumé innocent”, ou bien relaxé qui sait, n’aurait plus qu’à confirmer aux Français qu’il est candidat, et ainsi attendre dans son appartement new-yorkais à $50.000 par mois le moment de prendre ses fonctions (à l'Elysée, où le loyer est plus décent) en mai 2012.
Essayons donc de faire plus simple… Cet article signifie, certes indirectement puisque Sisci est un honorable journaliste, que DSK était (pardonnez l’emploi de l’imparfait) évidemment le candidat des milieux de la globalisation, de l’Europe qui va avec, de l’entente américaniste-occidentaliste (bloc BAO, ou américaniste-occidentaliste), tout cela dans l'opinion des élites transatlantiques et globalisées. Qu’il ait connu un sort malheureux ne peut ni ne doit pour autant effacer cette perspective.
On ajoutera que le ton de l’article, ses hypothèses à la fois audacieuses et farfelues, sa prospective un petit peu surréaliste, traduisent une inquiétude extrêmement forte, peut-être de la panique de la part de ces milieux, que DSK ne puisse plus se trouver dans la course qui le conduirait évidemment à la présidence française. Cette inquiétude, ou cette panique, porte effectivement sur deux points essentiels, dont on aurait attendu que la présence de DSK là où il doit être (à l’Élysée, en 2012) les écartât de façon décisive :
• La cohésion de l’Europe, qu’on voit, dans ces mêmes milieux, extrêmement mise à mal, notamment par les maladresses de Sarkozy et l’impérialisme d’Angela Merkel. Ainsi semble-t-on en juger à la lumière des péripéties économiques et financières en cours.
• L’évolution chinoise, avec la crainte de plus en plus forte que la Chine décide, notamment en 2012 en son vaste Congrès du Parti, de prendre une orientation absolument différente de celle que le bloc BAO voudrait lui voir prendre.
Que tout cela puisse dépendre de la présence de DSK à l’Elysée montre la profondeur du désarroi de ces milieux (notamment du point de vue de l’optimisme mis dans cet espoir, pour ce qui concerne les capacités supposées de DSK à changer l'Histoire, si la situation pouvait changer de cours, et le juge new-yorkais d'avis sur la question). Qu’on puisse encore lancer des hypothèses sur la libération quasiment anticipée de DSK d’une peine de prison à laquelle il ne serait pas condamnée finalement, tout cela toujours avec l’aide du fameux juge de New York, confirme encore plus ce désarroi auquel nous faisons allusion. Dans tous les cas, l’“accident” DSK-Sofitel, d’où qu’il vienne et quoi qu’il en soit, représente certainement un singulier tournant dans le destin de la politique du bloc américaniste-occidentaliste ; “singulier”, dans le sens où il s’agit d’un tournant qui serait diablement inattendu et diablement serré ; “singulier”, dans le sens où sa chronologie (le moment où il a lieu), ses caractères avec les conséquences (New York, inculpation, etc.) et le poids politique qu’il en acquiert, apparaissent bien mystérieux… Toutes les théories complotistes du monde ne suffiraient pas à nous en expliquer assez de ce point de vue.
Mis en ligne le 27 mai 2011 à 15H04
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