De “Yes, we can” à “No, we can’t

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 442

La “crise du Golfe”, – qui désigne aujourd’hui le Golfe du Mexique et non le Golfe Persique, comme les temps changent…, – s’est installée comme une crise nationale fondamentale aux USA. Obama a supprimé une importante tournée dans le Pacifique et en Asie, y compris une visite symbolique en Indonésie, premier pays musulman du monde, où il séjourna une partie de sa jeunesse. Mais les événements décident.

…Et ils décident, comme le note Rupert Cornwell dans The Independent le 6 juin 2010, sans tenir compte des dégâts terribles qu’ils infligent à la psyché américaniste.

«The President was not responsible for the spill. Neither he nor his government had any means of stopping it once it began, nor did they claim to. But his political fortunes have tumbled only slightly less rapidly than BP's share price, for a simple reason. He has violated one of his country's basic assumptions about itself. Throw any problem in America's direction, this belief goes, and America will solve it – fast. But not, at least not yet, the calamity of the Deepwater Horizon well.

»The disaster has unleashed many emotions. But the strongest emotion has been frustration. “Plug the damn hole,” Obama fumed to his aides last month. But they couldn't. Not BP and the collective expertise of the oil industry; not America's legions of boffins; and certainly not the government.

» “Yes, we can,” was the rallying cry of Obama's brilliantly executed presidential campaign, and the same spirit propelled the 2009 economic stimulus package and this year's healthcare reform, in the teeth of Republican opposition. Obama has already done enough to go down as one of the most consequential presidents of the modern era. But, suddenly, he risks being remembered above all as the man in the Oval Office when the oil slick was spreading, the man whose mantra had become, “No, we can't”.

»The calamity offends much of what America takes for granted. Hardly a speech by a politician here fails to extol the US as the best, the cleverest and the most resourceful country on Earth. But, in the lack of technology to staunch the spill, the emperor is seen to have no clothes.»

• Dans une veine assez proche pour notre commentaire (ci-dessous), nous placerions les remarques de l’amiral Allen, commandant le U.S. Coast Guard (USCG), répondant lors d’une émission de CNN à des questions à propos de la catastrophe. Huffington.Post du 6 juin 2010 en rapporte des extraits. «[Coast Guard Adm. Thad Allen, t]he government's point man on the Gulf oil Spill, calls it “an insidious enemy that's attacking our shores” and “holding the Gulf hostage.” […] “I think everybody is anguished over this,” Allen told host Candy Crowley. “You know, I've been working on the water for 39 years. This is just completely distressing, and it's very frustrating.”»

Notre commentaire

Les conceptions américanistes décrivent l’Amérique souvent en se référant, indirectement ou directement, à la “philosophie du sublime”. (Le “sublime” est une extension du concept esthétique de “beauté” caractérisé par la grandeur et la puissance de la nature, dont la beauté, dans ce cas, engendre un sentiment d’intense admiration qui n’est pas dépourvu d’une certaine frayeur, voire d’une certaine terreur.) Ce qui est intéressant, dans le cas américaniste, est moins dans la définition du “sublime” que dans l’extension que prend ce “sublime” lorsqu’il devient “sublime américaniste”. Il englobe dans une même nomenclature les grandioses beautés de la nature de l’Amérique et les réalisations, essentiellement technologiques et tout aussi évidemment grandioses, de l’américanisme. C’est ainsi que le “sublime américaniste” désigne dans sa nomenclature aussi bien le Grand Canyon du Colorado, le Parc National de Yosémite ou la Vallée de la Mort du Nevada, que le fameux pont de la Golden Gate qui traverse la baie de San Francisco ou l’Empire State Building de New York. Ainsi existe-t-il dans la mystique de l’américanisme une intégration de la nature nécessairement américaniste et des grandes réalisations technologiques de l’américanisme. Autant qu’élever la technologie de l’américanisme au rang de beautés et de puissances naturelles, ce qui renforce évidemment le caractère exceptionnel de nation élue des USA que s’attribue l’américanisme, cette conception place dans un autre sens la nature aussi bien que la technologie comme des phénomènes nés de l’humanité américaniste.

Dans ce cadre d’une pensée instinctive et inconsciemment assimilée selon une psychologie spécifique, plus pavlovienne en un sens qu’élaborée d’une façon consciente et dans toutes ses conséquences, la catastrophe du Golfe du Mexique est une épouvantable épreuve. D’une part, elle est la conséquence négative de la puissance technologique de l’américanisme (dans ce cas, même s’il s’agit de BP et puisqu’il s’agit d’en faire implicitement l’éloge, la technologie est annexée par l’américanisme, – le reste, l’erreur de manipulation, la “conséquence négative”, étant laissé à British Petroleum, avec l’accent mis sur le premier mot) ; d’autre part, elle attaque le sublime naturel de l’Amérique avec la dévastation des côtes du Golfe du Mexique et au-delà. La situation est effectivement terrible dans la mesure où l’action humaine ne peut empêcher cette dévastation, et elle entraîne effectivement une épouvantable frustration («But the strongest emotion has been frustration. “Plug the damn hole,” Obama fumed to his aides last month. But they couldn't»)

Certes, il y a déjà eu des dévastations du sublime naturel par des actions du sublime technologique, y compris en Amérique, mais les circonstances n’avaient jamais été aussi graves ni, surtout, aussi fortement mises en évidence par le système de la communication. Si elles le sont cette fois, c’est certes à cause de la gravité et de la durée de la catastrophe, mais c’est aussi parce que l’Amérique est dans une crise existentielle et que chaque “accident”, catastrophe ou crise sectorielle est perçue et donc définie très vite en fonction de la référence inconsciente de cette “crise existentielle”.

C’est évidemment pour cette raison si profonde que l’on peut sentir combien la catastrophe du Golfe a pris une dimension si grande, si explosive et presque métaphysique. Cela vaut particulièrement pour un Obama dont l’élection se fit selon certaines références irrationnelles dans le chef de ceux qui le suivirent et assurèrent son élection, et que lui-même se garda de démentir. Il y eut une dimension messianique (BHO comme “messie”) dans cette élection, contrastant singulièrement avec le caractère froid et très maîtrisé d’Obama. A l’occasion de cette catastrophe, cette singularité apparaît fortement, en passant mais d’une façon horriblement négative, comme le note sarcastiquement Cornwell, du “Yes, we can” au “No, we can’t”, – “non, nous ne pouvons pas empêcher la dévastation du sublime américaniste des côtes du Golfe”…

Du coup et par une sorte d’instinct défensif de cette psychologie si spécifique, le “oil spill” devient un “Ennemi” insidieux parce que dissimulé, presque une personne ou une puissance humaine maléfique (comme l’URSS ou l’islamisme), qui a pris le Golfe “en otage” («an insidious enemy that's attacking our shores and holding the Gulf hostage»). C’est une façon pour la psychologie américaniste, facilitée par cette tendance schizophrénique d’assimiler les phénomènes naturels et les réalisations humaines au nom de l’américanisme, de tenter, en désespoir de cause, de faire de la tragédie du Golfe un phénomène sur lequel la puissance américaniste pourrait éventuellement et finalement avoir prise. (En effet, les plaintes de l’amiral Thadden pourrait implicitement se poursuivre par l’affirmation que l’Amérique finira par reprendre le dessus pour vaincre l’Ennemi extérieur qui l’attaque.) Là encore, on voit dans quel état de crise est plongée la psychologie américaniste, car cette schizophrénie assimilatrice ne fonctionne que dans ces circonstances de gravité exceptionnelle. Le reste du temps, les aléas catastrophiques, en général facilitées par la puissance ou les déficiences de l’américanisme, passent aux pertes et profits sans plus solliciter cette interprétation symbolique presque officielle de la psychologie du système (cas de Katrina et de la destruction de La Nouvelle Orléans, qui n’a guère conduit, du côté officiel, à des alarmes symbolistes de la sorte qu’on entend aujourd’hui alors que la catastrophe avait des dimensions systémiques évidentes, mais qui ne déplaisaient pas aux conceptions en vogue).


Mis en ligne le 7 juin 2010 à 08H47

Donations

Nous avons récolté 1240 € sur 3000 €

faites un don