Débat en Iowa : Ron Paul et l’enrayement du Système

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Ce week-end se déroule dans l’Etat de l’Union de l’Iowa une compétition pré-électorale dont l’incroyable complexité du système électoral US a le secret, avec une sous-complexité arrangée par les stratèges des partis concernant les votants, les conditions du vote, etc. Nous n’essaierons pas de l’expliquer, n’y comprenant rien nous-mêmes sinon qu’il s’agit d’une des manœuvres sans fin du Système pour contrôler les élections. Il suffit de savoir qu’il s’agit des candidats républicains à la désignation républicaine pour les présidentielles, seul champ d’intérêt pour l’instant puisque les démocrates semblent “calés” sur la candidature à la réélection du président Obama.

Dans le Guardian du 12 août 2011, Richard Adams fait un compte-rendu du débat télévisé qui a mis en présence ces “candidats à la candidature” qui s’affrontent dans l’Iowa ; compte-rendu très détaché et hautement ironique, avec juste ce qu’il faut de cynisme, très typiquement britannique tout cela, lorsque le commentateur britannique parle des “cousins” d’Outre-Atlantique en mode critique. Nous allons suivre essentiellement le destin de Ron Paul, qui fait partie du lot, et la façon dont le journaliste l’apprécie.

D’abord, un jugement de Adams sur les divers candidats, sauf Ron Paul, que nous nous réservons plus loin. Adams offre ces jugements après le long compte-rendu des débats où ses remarques ironiques, cyniques et pleines de dérision sont manifestement tout le sel de la chose.

«Mitt Romney: currently the Front-Runner In Name Only (FRINO), the former Massachusetts governor leads the polls. But if you've got a poll, throw it away, it's worthless. After Saturday the polls will just say: “Rick Perry. The end.”

»Michele Bachmann: Bachmann was said to be the winner of the last debate, which was roughly a million years ago in June, so no-one cares. Currently on the cover of Newsweek looking a bit mad.

»Jon Huntsman: A first appearance for the former governor of Utah, who graciously left his governor's mansion to serve his country as the US ambassador to China. Naturally he's as popular as anthrax.

»Newt Gingrich: Less popular than anthrax.

»Rick Santorum: Is he still running? I forget.

»Herman Cain: Pizza guy. Meh.

»Gary Johnson: According to NPR: “the former New Mexico governor will be a curiosity since most people still don't know who he is”. I know he was governor of Mexico. Sorry, New Mexico. (Actually, he'd have more chance of becoming president of Mexico. Maybe he should try?) In fact Johnson is smart, sensible, was a very good governor and seems like a nice guy. Obviously: zero chance.

»Tim Pawlenty: Still running. May as well not bother. Seriously, have you seen his latest poll ratings? He's now less well-known than when he started. That's quite an achievement: negative publicity.»

Maintenant, voyons ce que Admas dit de Ron Paul. Parmi les diverses remarques dans le cours du compte-rendu du débat, l’un ou l’autre exemple qui concerne Ron Paul …

«The crucial debate-within-a-debate was between Bachmann, Pawlenty and Paul, for the Iowa straw poll on Saturday, and Bachmann probably crushed Pawlenty's chances tonight. As for Ron Paul, he may have rallied enough voters to make it a contest. But outside Ames he's simply too far off on the fringe of the party to be a contender. […] Ron Paul now whaling on Michele Bachmann for denying Miranda rights (“you have the right to remain silent..” etc) to terrorists. “Who judges that they are terrorists?” asks Ron Paul, correctly… […] Rick Santorum just accused Ron Paul of “seeing the world like Barack Obama does”. There are lies told by politicians – andf then there's stuff like that, which is so wrong that it isn't even wrong, if that makes sense. “When Rick Santorum is president,” says Santorum, refering to himself in the third person – always a dangerous idea – Iran will never get nuclear weapons. Ron Paul returns to the attack, saying: “You've heard the war propaganda ... [but] Iran can't even make enough gasoline.”»

…Pour en finir par ce jugement sur Ron Paul, qu’on trouve parmi ceux qu’Adams a donnés sur les autres candidats (ci-dessus) : «Ron Paul: Iconic, veteran congressman, principled, intelligent. He has no chance. Quite the libertarian, except for abortion and gays. Then he's not. Seriously, he would win the nomination but for a secret alliance of the Mainstream Media, Wall Street and Republican voters who insist on not voting for him in large numbers…»

Très curieusement, Adams écrit sur Ron Paul, à la fois de l’extérieur, observant, d’une plume qu’on sentirait presque accusatrice du complot, que Paul n’a aucune chance parce qu’il a contre lui l’alliance mentionnée ci-dessus, dont celle de la presse-Pravda, ou presse-Système ; à la fois de l’intérieur, comme si lui-même, en martelant que Ron Paul ne peut être désigné candidat républicain alors que c’est lui qui mérite de l’être, nous montrait de facto qu’il fait partie de “l’alliance secrète” (dont la presse-Système) qui s’est nouée contre Ron Paul. Tout cela se concentre dans l’espèce de cynisme tranquille, très britannique, à la fois fait de dénonciation de la perversité et de perversité, qui dit : Ron Paul est le meilleur, donc il n’a aucune chance («Iconic, veteran congressman, principled, intelligent. He has no chance»).

D’autre part, les sondages, dont Adams nous disent qu’ils ne valent que leur capacité à désigner ce que le “goût du jour”, qui dure moins d’une journée, nous dit des caprices d’une opinion qui est de l’ordre du réflexe pavlovien. L’un d’eux, de CNN/ORC International, dit pourtant (le 11 août 2011, sur Politico.com) que cinq candidats, ou “possibles candidats”, se trouvent en tête, rassemblés dans un mouchoir de poche d’autant plus étroit que la marge d’erreur est de 2%, pour indiquer les choix d’un candidat républicain dans un échantillonnage de votants républicains et d’indépendants : 17% pour Romney, 15% pour le gouverneur du Texas Perry, 12% pour Giuliani, Palin et Ron Paul. Un résultat sans aucune signification pour les positions des uns et des autres, sinon l’incertitude générale entre les cinq noms («…the more striking thing in the network's poll is just how unsettled the Republican primary field continues to be»).

Nous n’en sommes certainement pas, ici, à mesurer ce que serait un programme Ron Paul, qui réserverait bien des surprises, d’autant qu’il y a l’argument supplémentaire et finalement essentiel que si le fait extraordinaire de sa désignation survenait, les remous seraient tellement forts au sein du Système que tout le processus normal de l’élection en serait bouleversé, jusqu’à la possibilité d’évènements également extraordinaires. Nous en sommes également à mesurer, au travers de son destin, la situation extraordinaire de dissolution auquel est arrivé le “processus démocratique”, aux Etats-Unis et ailleurs, mais certainement aux Etats-Unis plus qu’ailleurs. S’y affrontent, à visages découverts, d’autant plus nécessairement que la crise centrale presse à la fois au verrouillage du Système et à des tentatives de déverrouillage du Système, le processus de glorification de la médiocrité et du vide abyssal de la pensée que favorise le Système, et la résistance de certaines initiatives marginales au Système et mettant en cause le Système. C’est cette occurrence du “à visages découverts” qui est particulièrement intéressante. L’urgence de la situation, la pression des événements ne permettent plus, ni de prendre des gants, ni d’être trop exigeants, notamment dans la sélection des candidats-Système. Le niveau des Gingrich, Palin, Santorum, etc., est absolument terrifiant, – et même celui des chefs de file, Romney et Perry, d’une bassesse rare dans certaines appréciations. Par contraste, on reconnaît de plus en plus la qualité d’un Ron Paul, tout en exposant sans fioritures qu’“il n’a aucune chance” justement à cause de cette qualité, parce que quelques centres de pouvoir, dont la direction républicaine, en ont décidé ainsi. Ce n’est pas une surprise, une telle situation, mais le fait qu’elle soit exposée aussi crûment que le fait un Adams en est une.

Le problème (pour le Système), et la nouveauté, et la fragilité de la situation, se trouvent dans ce que l’on nous disait exactement la même chose, dans l’esprit de la chose, du sort de Tea Party, puis des candidats Tea Party, puis des élus Tea Party depuis la mi-2009 jusqu’aux élections mid-term de novembre 2010 : ils ne pourront rien faire, ils seront enkystés, absorbés, noyés dans les rets du Système, version républicaine, dès qu’ils parviendront à Washington, où tout se décide. (Cela revient au même, pour ce qu’on nous annonce de Ron Paul.) Le résultat, on l’a vu, c’est exactement le contraire, ce sont les éructations de malédiction de Ullman à propos de “la dictature de la minorité”, après que Tea Party ait, lors de la crise de la dette, tenu tout le monde en otage, de la majorité républicaine de la Chambre au Système lui-même.

Le défi que doit relever Ron Paul, c’est de rester en position acceptable dans le déroulement de l’époque pré-électorale, malgré le rideau systématique d’ignorance qui entoure sa candidature. S’il parvient en position acceptable lors des primaires, s’il parvient à remporter une victoire dans l’une ou l’autre des primaires, il pourrait alors se trouver dans une position idéale pour jouer son rôle d’interférence majeure dans le fonctionnement du Système. C’est là en effet la véritable valeur de la candidature Ron Paul, ou, comme on pourrait également le dire, sa “mission” éventuellement historique de système antiSystème : le grippage du Système, l’enrayement comme l’on dit d’une arme qui ne fonctionne plus.


Mis en ligne le 12 août 2011 à 15H06