dedefensa.org, ou l'esprit de la chose

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dedefensa.org, l'esprit de la chose

On pourrait dire que le dixième anniversaire de 9/11 était aussi, un peu, notre anniversaire à nous, dedefensa.org. Nous avons fait ressurgir de nos archives-décombres à nous les chiffres, fantômes du passé. Nous avons ouvert dedefensa.org en août 1999. Nous avons eu 93 visites pour l’année 1999, puis 90 pour l’année 2000. (Ces chiffres, selon la technique de comptage initiale, que je conserve jusqu’à aujourd’hui pour permettre d’apprécier l’évolution.) A part l’un ou l’autre texte cette année-là, rien ne bougeait, – c’est-à-dire désintérêt complet pour cette formule ; j’avais ouvert ce site un peu sous l’empire de l’imitation, parce que j’avais constaté l’intérêt de certains sites qui s’affirmèrent durant la guerre du Kosovo, laissant voir toutes les possibilités de ce nouveau medium ; mais je ne m’y faisais pas…

Les choses commencèrent à changer en 2001, avec le début de la véritable vie du site, avec le début d’une véritable activité rédactionnelle. Il y eut 9.005 visites pour toute cette année, avec un changement entre juillet et août (de janvier à juillet, progression de 23 à 382 visites/mois successivement, puis 1.526 en août et 1.452 en septembre, etc., jusqu’à ces 9.005 pour 2001). Ensuite, 53.758 visites en 2002, 261.667 en 2003 et ainsi de suite. Les derniers chiffres sont 1.728.568 en 2010 et 1.371.166 en 2011, jusqu’au 11 septembre. Ainsi peut-on dire que le 11 septembre 2011 était aussi, un peu, notre dixième anniversaire.

Toute cette “quincaillerie”, l’“anniversaire”, les chiffres, les situations, cela m’a donné au moins l’argument et le détail de l’argument pour l’entame de ce texte. Pour cette fois, je le précise avec force, l’état d’esprit ne recèle guère de sentiment particulier pour cet exposé quantitatif de la progression du site ; ni sentiment du succès si c’est le cas, ni rien de ce genre ; simplement, le sentiment du temps qui passe, avec certaines illusions qui s’effacent.

On voudra bien comprendre que je prenne la plume en tant que tel, à la première personne, dans cette occasion, parce que certaines des circonstances et états d’esprit qui sont rapportés dans ce texte l’exigent. J’engage les lecteurs qui se sont arrêtés à ce texte à le poursuivre jusqu’à son terme, sans désemparer. S’il y est question d’abord de comptabilité, c’est assez accessoire ; il y est question ensuite de sujets plus fondamentaux et, je pense d’un plus grand intérêt pour celui qui s’intéresse au destin de ce site et à ce qu’il est capable de donner. Il est en effet de mon intention de situer à ce point la situation de dedefensa.org et surtout son évolution, au travers de diverses appréciations, – un tout petit peu de comptabilité, essentiellement de la méthodologie et ses effets, – qui permettent d’apprécier les questions de fond, les questions essentielles des nouvelles, chroniques et analyses qu’on trouve sur le site.

Les donations dedefensa.org : “ainsi soit-il”

Il s’agit d’abord du sujet des donations, dans la nième formule de financement que nous avons lancée depuis le mois de mars. Je n’en dirais pas un mot de plus, dans la précision comptable et la situation de la chose, ayant détaché la portion de ce texte qui leur était consacrée pour en faire un texte autonome qu’on trouve ce 19 septembre 2011, en rubrique Notre Situation (également, même texte dans notre rubrique Bloc Notes). Simplement, j’en garde l’un ou l’autre paragraphe pour situer l’humeur de la chose. Du coup, il s’agit là de citations de cet autre texte référencé.

Les considérations sur la situation des donations conduisent «à des observations bien peu encourageantes pour defefensa.org, pour la forme de développement suivie jusqu’ici, avec les formules envisagées, – on les comprendra sans que j’ai besoin de les détailler, ces observations. Il n’y a plus guère de “solutions” alternatives à explorer, et je n’en ai d’ailleurs plus guère ni la force ni, surtout, le goût. La lassitude s’est installée, d’autant que l’essentiel de mon énergie est consacrée au contenu du site et non pas au moyen de faire la promotion de ce contenu, et à la nécessité de soutenir le site pour cette raison. Même cette énergie pour le contenu du site connaît parfois quelques faiblesses, dans tous les cas dans le chef de qui s’y emploie; la psychologie se fatigue là aussi. Dans ces conditions, réserver une partie de cette énergie précieuse à rechercher une “stratégie de marketing” efficace, comme ils disent, ne présente aucun attrait dans la mesure où c’est trop sacrifier aux pratiques du Système. (Cela pouvait se concevoir lorsque les réactions des lecteurs étaient encourageantes; ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.) […]

»Le “long terme”, justement. En toute franchise, je n’ose plus rien en dire de précis. Dans les conditions actuelles, je ne sais plus où nous allons, et, surtout, jusqu’où nous pouvons aller, ici à dedefensa.org. L’abondance du lectorat, qui reste constante, n’a rien à voir avec ce pessimisme, c’est-à-dire qu’il ne peut guère le combattre. Curieusement et à l’inverse, il y a ma résolution, qui est de poursuivre, certes, – et je dis “curieusement”, parce qu’il s’agit d’un facteur d’une telle force (c’est mon privilège ambigu de le mesurer) que je croirais souvent qu’il suffit à balayer le pessimisme éprouvé précédemment, irrésistiblement…

»Je devrais ajouter un sentiment personnel, qui vaut ce qu’il vaut, et que j’ai quelque réticence à exposer, mais sans doute faut-il que cela soit dit. Un facteur important dans le désenchantement qu’on distinguera peut-être dans ces lignes, c’est l’interprétation à laquelle je cède parfois de penser que cet échec des donations, c’est aussi la faiblesse de la réaction de la solidarité que j’espérais. A côté de cela, ou plutôt au contraire, je comprends parfaitement que, dans les conditions de la crise, et dans une situation où rien ne permet d’espérer une éclaircie, – c’est même l’essentiel du thème central des réflexions de ce site, avec l’idée explicite complémentaire que ce rien est signe d’espoir, – on soit contraint à une attitude de réserve, voire d’abstention dans ce domaine financier. Tout cela est juste d’un côté comme de l’autre, tout cela est absolument contradictoire, et je ne puis rien ajouter sinon que nous sommes dans les termes d’un constat absolument irréfutable, – et, après tout, “ainsi soit-il”…»

Mais passons outre. Il est un autre domaine où des prévisions peuvent être proposées, qui est celui de l’évolution autre qu’économique de dedefensa.org. C’est le domaine pour moi essentiel de l’esprit de la chose qu’est dedefensa.org, portant bien entendu sur sa philosophie, sur ses conceptions, etc.

L’esprit de dedefensa.org

Vous savez lecteurs, nous avons beaucoup changé, dedefensa.org et moi. Cela a un rapport évident, écrasant, irrésistible, avec les changements qui secouent le monde, le déstructurent et le dissolvent, selon des expressions qui sont souvent employées dans nos textes divers. Ces changements vont se poursuivre et vont aller en accélérant, exactement comme la situation du monde elle-même, qui se développe à l’aune d’une véritable contraction du temps historique.

Tout cela conduit à des impulsions nouvelles, à des incurvations de la “ligne” que nous suivons à dedefensa.org, dans le sens d’une accentuation des tendances qui s’affirment de plus en plus dans le contenu du site. Je veux dire par là, pour être plus clair et d’une netteté sans ambiguïté, que ce contenu va se concentrer encore plus, il va se densifier si vous voulez, il va “s’enrouler” autour du thème de plus en plus exclusif du Système, et de la lutte à mort contre le Système, pour en explorer toutes les facettes. Je dirais que c’est une fatalité absolue, cette tendance, et qu’elle se ressent chaque jour dans les angoisses, dans les fureurs, dans les résolutions que nous ressentons et prenons tous, d’une façon plus ou moins consciente, et que nous exprimons tous d’une façon ou d’une autre.

Je suis bien conscient qu’énoncer tout cela, c’est d’une certaine façon, énoncer l’évidence que l’on constate d’ores et déjà, chaque jour, sur le site. Je crois simplement qu’il est bon, lorsqu’on a pris nettement le chemin de cette évidence, de l’affirmer d’une façon explicite, de la présenter pour ce qu’elle est, et de dire, comme une image qu’on comprendra : Ecce Homo (ou Ecce Res ?). Je crois qu’il est bon, lorsqu’on est en train de rompre avec des pratiques qui se situaient, même si d’une manière absolument dissidente, dans le cadre de situations internes au Système, de l’écrire d’une façon très nette : nous sommes en train de rompre.

Pour illustrer l’idée générale du propos, il est bon de reprendre cette note qui figurait au terme du texte du 29 août 2011. Cela porte sur une méthodologie plus que sur un sujet du grand désastre du monde, mais, au travers de cet énoncé méthodologique, cela indique parfaitement le sens de ce que je veux exprimer ici, – cette nécessité de rupture, non pas avec le monde, mais avec le monde tel qu’il est emprisonné totalement par le Système, – donc, cette nécessité de rupture pour mieux affronter le Système dans sa globalité, dans sa monstruosité totalitaire… Il s’agissait, à la suite du texte sur “la globalisation et la mondialisation” de répondre à une intervention qui qualifiait dedefensa.org d’“intellectualisme”.

«Ainsi en avons-nous terminé avec notre analyse… Celle-ci qui, sans doute, représente un exemple (pas le plus flagrant, certes…) de ce que certains estiment être l’“intellectualisme de ce site”, – c’est-à-dire dedefensa.org. (Nous citons la phrase sans citer la source par indifférence pour l’inutile polémique. Ce qui compte est de s’expliquer, et de bien s’expliquer, selon le sens des mots. C’est une bonne chose lorsqu’une appréciation critique vous en donne l’occasion.)

»Selon la définition courante (Wikipédia fait l’affaire) du mot, – “Le second [sens d’intellectualisme] est courant, il désigne la ‘tendance à sacrifier la vie et l'instinct aux satisfactions de l’intelligence’”, – que nous corrigerions, nous, en parlant de “sacrifier la vie et l’intuition aux satisfactions de la raison”. (Le premier sens d’“intellectualisme”, qui désigne une théorie, n’est pas concerné ici. Il est manifeste que la critique porte sur la méthodologie de dedefensa.org.)

»Pour nous, aujourd’hui, l’“intellectualisme” consiste effectivement à nier la crise générale du monde au profit du réductionnisme, pour la satisfaction de la raison qui, subvertie comme elle est, ne comprend strictement rien à cette “crise générale du monde”, – donc pour la satisfaction de la vanité de la raison. “Réductionnisme” devient ainsi le nom désignant le simulacre qu’est l’intellectualisme. Il revient à réduire cette crise générale à tel ou tel de ses composants, selon le choix des caprices et des spécialisations des partisans de la méthode – la crise financière, les complots, l’omniprésence de la CIA, les “guerres humanitaires”, la querelle sur la crise du climat, la “guerre pour le pétrole” et la fin des ressources pétrolières et ainsi de suite. Ainsi chacun est satisfait parce qu’il a satisfait sa raison, et personne n’a rien compris ni embrassé de l’essentiel.

»Aujourd’hui, c’est dans la conscience de la crise centrale, de l’effondrement du Système et de la Grande Crise de la Contre-Civilisation (GCCC), qu’on trouve “le sens de la vie et la puissance de l’intuition”, – notre correctif à nous de ce que l’intellectualisme ignore et dédaigne. “Le sens de la vie et la puissance de l’intuition”, qui sont les véritables inspirateurs d’une raison ramenée à la raison, sont le contraire de l’intellectualisme qui n’est que la vanité d’une raison subvertie.»

… C’est ce qui est désigné, dans le prochain numéro de dde.crisis (à paraître le 10 octobre 2011), comme “l’art du non-parti pris”. (L’argument initial du thème de ce numéro, c’est de tenter de définir quelle doit être l’attitude de l’“honnête homme” face au Système, – l’expression “honnête homme” au sens du XVIIème siècle, dont l’attitude impérative, aujourd’hui, serait, – non, est de se dresser contre le Système, de lutter contre lui.) Quelques extraits du début du propos, dans la rubrique de defensa, permettront de situer les termes du débat, avant d’en aborder le fond comme on le fera plus loin dans cette chronique du prochain dde.crisis

»…Paradoxalement, – c’est-à-dire volontairement, sans aucun doute, – nous avons proposé, dans le sous-titre du passage précédent, l’idée que l’“honnête homme”, aujourd’hui, a le devoir impératif de “prendre parti”... Et nous présentons le passage présent sous le titre de “L’art du non-parti pris”... Paradoxe, si l’on veut, mais nullement contradiction et, encore moins, inconséquence. […]

»[Q]ue doit faire aujourd’hui l’honnête homme, nécessairement face au Système, – en position évidemment et absolument antagoniste du Système, – s’il veut être réellement un “honnête homme”? C’est là que nous proposons notre réponse générale, que nous allons ensuite expliciter en profondeur, qui se résume très vite par l’expression “ne pas prendre parti”, – mais qui se révèle effectivement trop rapide dans cet énoncé à l’emporte-pièce, par conséquent ambigüe, trompeuse, peut-être faussaire. La réponse s’énoncerait précisément de cette façon: “l’honnête homme doit résolument proclamer qu’il choisit le ‘non-parti pris’”. […]

»[L]’“honnête homme” se définit exclusivement comme celui qui est nécessairement contre le Système ; et le Système se définit, lui, dans ce cas, par le caractère le plus exclusif et le plus absolutiste qu’on puisse lui trouver. Cette position générale qui implique les définitions fondamentales, aussi bien de soi-même que de la chose que nous combattons pour être soi-même, passe tout aussi nécessairement par cette “fonction” opérationnelle du refus du parti pris puisque le parti pris recèle dans ce cas l’inéluctable position d’utiliser les références du Système et d’accepter de se trouver à l’intérieur du Système, donc soumis aux règles et aux normes de cette chose dont la puissance nous dépasse tout aussi nécessairement…»

C’est bien là l’orientation, dans cette volonté ferme et constructrice de refuser l’enchaînement des partis pris dans les querelles diverses, les crises variées, les invasions spasmodiques de tel ou tel territoire dont notre chronique soi disant “politique” est pleine. Ce que je réclame pour notre compte, c’est d’aller au plus puissant, au plus efficace, au plus dévastateur pour le Système. Je réfute absolument l’intérêt de soutenir, selon la logique politique “rationnelle” (y compris pour des opposants au Système, bien entendu), une cause jusqu’à son terme, dans les événements terrestres, par le seul entraînement de sa logique de combat et en croyant que le résultat sera une avancée contre le Système. La raison est que cette cause, nécessairement composée d’éléments du Système en plus ou moins grand nombre, évoluera de telle façon qu’en avançant vers sa victoire, – en prenant ce cas qui paraît le plus avantageux, – à un moment ou l’autre le Système pourra s’écrier : “mais c’est ma cause !”, et ainsi la récupérer… (Si, un jour, on s’avisait que ce n’est pas le cas, alors c’est que nous serions sorti de cette organisation en système, ou que le Système serait assez affaibli dans son effondrement pour permettre à une opposition de s’extraire de son influence et de le frapper décisivement de l’extérieur ; nous serions alors au bout de nos peines, et nous pourrions fêter la prochaine mort du Système, – et je serais le premier à le faire.)

Vous connaissez l’exemple significatif de cette forme de pensée, – exemple pour l’instant parfaitement satisfaisant de mon point de vue puisque la situation paradoxalement dommageable n’est nullement accomplie… Imaginez qu’une démocratie “satisfaisante” ait été établie en Egypte, sans coup férir et sans à-coup, sans incident, sans pression, sans résultats très déséquilibrés et pas trop dérangeants, disons ce mois-ci, comme c’était prévu (en février, on envisageait les élections en septembre), – c’est-à-dire, un résultat qui serait l’archétype de la démocratie “satisfaisante”. Vous verriez tous les dirigeants-Système défiler au Caire, phagocyter le nouveau pouvoir, le flatter, l’acclamer, – bref, le récupérer ; et lui, le “nouveau pouvoir” évidemment démocratique, de roucouler en accueillant tous ces dirigeants-Système. Au contraire, il y a la situation actuelle, avec des militaires faiblards et couards qui tiennent l’essentiel du pouvoir, des aspirants-présidents démocrates qui ont besoin de la rue pour les soutenir contre les militaires, des opposants démocrates qui distillent leur amertume, etc. ; personne n’est satisfait de rien et tout le monde se méfie de chacun… Au bout de ce désordre, vous avez la tension actuelle qui favorise les puissantes évolutions naturelles qui nous dépassent, où la dynamique même de la situation contribue massivement, après la déstructuration initiale (chute de Moubarak), à dissoudre les liens établis par l’Égypte avec Israël et les USA, à rapprocher l’Égypte de la Turquie, à favoriser l’affirmation de la Palestine, à isoler Israël et à transformer sa stratégie belliciste de projection de force en une tactique médiocre d’accommodement, de retraites négociées, d’humiliations acceptées, etc. Voilà une situation qui permet, qui recommande et qui satisfait le “non-parti pris”, qui reflète ce qu’il est exactement souhaitable d’attendre de l’évolution de la situation pour qu’elle soit précisément anti-Système ; dans cette sorte d’inaccomplissement dans un environnement qui reste celui du Système, ce qui conduit nécessairement toutes les insatisfactions à exprimer à un moment ou l’autre une logique anti-Système (c’est le cas avec les tensions des liens de l’Egypte avec Israël et les USA).

Je m’arrête à ce point, pour ce jour. Dans les jours suivants, et désormais dans le courant de dedefensa.org, nous allons poursuivre et approfondir ce chemin qui est d’observer et de commenter les événements de plus en plus selon cet éclairage fondamental que j’ai tenté de définir, et de plus en plus selon des textes généraux tentant de décrire et d’expliquer ce qu’est cet éclairage fondamental qui porte des possibilités inédites pour l’avenir. Je pense qu’il était bel et bon que les lecteurs en soient avisés de cette façon explicite, en plus du constat qu’ils peuvent faire eux-mêmes de cette évolution. L’exposé d’une méthodologie permet aussi bien de faire comprendre le sens que l’on donne à l’objet de cette méthodologie, et ainsi de se faire mieux comprendre.

Philippe Grasset