Déglobalisation, démondialisation, altermondialisation, etc...

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Déglobalisation, démondialisation, altermondialisation, etc...

Une mise au point venue de gauche dans une querelle politico-lexicale : une tribune de Bernard Cassen, dans Marianne2, le 23 août 2011.

[…]

«[U]n nouveau concept […] vient de faire irruption dans le lexique politique français : celui de “démondialisation”. Il est développé dans au moins trois livres récents : celui de Georges Corm, Le Nouveau Gouvernement du monde (La Découverte, 2010) ; celui de Jacques Sapir, La Démondialisation (Seuil, 2011) ; et celui d’Arnaud Montebourg, Votez pour la démondialisation, préfacé par Emmanuel Todd (Flammarion, 2011). Ces deux derniers auteurs font remonter le concept au Philippin Walden Bello, figure de proue des Forums sociaux mondiaux, dans son livre publié en 2002 Deglobalization : Ideas for a New World Economy.

»En fait, il avait déjà été proposé par l’auteur de ces lignes dans un article publié en novembre 1996 “Et maintenant… démondialiser pour internationaliser”, publié dans le n° 32 (novembre 1996) de “Manière de voir”, publication bimestrielle du Monde diplomatique. A l’époque, il n’avait pas pris pied dans le débat public. Les mots aussi doivent attendre leur heure… Et celle de la démondialisation semble venue…

»Si l’on en doutait, il suffit de voir la virulence des réactions que ce concept a suscitées dans des secteurs que l’on attendait (les libéraux de toute obédience), mais aussi dans d’autres que l’on n’attendait pas (certains altermondialistes d’Attac). La raison est la même dans les deux cas : dans la mesure où Arnaud Montebourg en a fait l’un des mots d’ordre de sa campagne des “primaires” du Parti socialiste en vue de la désignation de son candidat à l’Elysée, le thème de la démondialisation cesse d’être confiné aux débats au sein de la gauche critique pour s’installer dans le panorama électoral national et acquérir ainsi une légitimité et une “respectabilité” politiques dépassant le cercle des convaincus.

»On peut se demander si ce n’est pas la raison pour laquelle, dans une tribune publiée le 6 juin 2011 sur le site Médiapart et intitulée “Démondialisation et altermondialisme sont deux projets antagoniques”, neuf membres du Conseil scientifique d’Attac – en fait les principales figures de la direction de l’association –, ont cru pouvoir affirmer, sur un ton polémique et sentencieux, que la démondialisation était “un concept superficiel et simpliste”. En n’hésitant pas, au passage, à mettre en scène la grosse – et scandaleuse – ficelle d’une prétendue convergence avec les thèses du Front national.

»Sans jamais les nommer ou les citer, ils s’en prenaient, en les travestissant, aux thèses de Jacques Sapir, Arnaud Montebourg et Emmanuel Todd. Ce qui leur a valu deux répliques d’un nouvel intervenant dans le débat, Frédéric Lordon : l’une dans son blog du Monde diplomatique, “Qui a peur de la démondialisation” ; l’autre dans le numéro d’août 2011 du mensuel : “La démondialisation et ses ennemis”.

»Derrière un mot, une orientation stratégique

»Contrairement à ce qu’affirment les dirigeants d’Attac, altermondialisme et démondialisation ne sont pas des concepts antagoniques, mais appartiennent à la même famille. Dans le premier cas, il s’agit d’un faisceau de revendications et de propositions très diverses (en raison même de l’hétérogénéité des protagonistes) et dont le principal dénominateur commun, tel qu’on peut le reconstituer de l’extérieur, est l’impératif de l’accès universel aux droits.

»La démondialisation, elle, est une orientation stratégique visant, par l’action aussi bien politique (élections, institutions et gouvernements) que citoyenne (luttes des mouvements sociaux notamment), à reprendre concrètement à la sphère économique et financière les énormes pouvoirs que l’instance politique lui a délibérément abandonnés, et qui sont à la source de la crise systémique actuelle du capitalisme. Sans cette orientation, pratiquement aucune des propositions altermondialistes n’a la moindre chance d’aboutir.

»L'objectif de la démondialisation est simple à formuler, mais autrement difficile à atteindre : tendre à ce que le périmètre de la prise de décision démocratique coïncide le plus possible avec celui de la capacité de régulation des flux économiques et financiers. Ce qui pose la question du statut de l’espace national.

»Le national : un levier et pas un “repli”

»Même s’il faut s’efforcer de se donner des objectifs convergents pour des mobilisations sociales à l’échelle régionale (européenne pour nous) et mondiale, ce périmètre est seulement national pour l’instant. Il faut en exploiter toutes les potentialités en utilisant les failles ou les faiblesses de l’adversaire. Et cela sans se laisser impressionner par la dénonciation de l’“unilatéralisme”, poncif d’une partie de l’extrême-gauche et du mouvement altermondialiste, et qui revient à reporter tout changement de cap en France aux calendes européennes ou mondiales, c’est-à-dire à un futur dont on sait qu’il n’adviendra pas. Après tout, le 29 mai 2005, les citoyens français n’ont pas attendu que les autres le fassent pour voter “non”.

»Toutes les expériences de rupture concrètes de ces dernières années ont montré que ce n’est pas aux niveaux mondial ou régional, mais bien au niveau national, qu’il a été possible de faire bouger les lignes et même de remporter des victoires. Cela, soit par les actions de gouvernements soutenus par les mouvements sociaux (comme en Amérique latine), soit par la pression sur des Etats de mouvements populaires capables de mobiliser les populations (comme dans le monde arabe).

[…]

»Un “Grenelle” de l’UE pour faire sauter le verrou européen

»Dans la mesure où les décisions européennes surplombent et encadrent toutes les autres, et que 75 % des textes qui nous régissent ne sont que des transpositions d’actes législatifs décidés par les instances de l’Union, la question européenne se situe en première ligne de toute démarche de démondialisation. Dans la perspective des élections présidentielle et législatives, le citoyen doit savoir quelles marges d’action tel parti ou tel candidat voudront bien se donner pour mettre en œuvre un véritable programme de transformation sociale, donc incompatible avec le traité de Lisbonne.

»En cas de verrouillage par les institutions européennes, sont-ils oui ou non disposés à prendre des décisions unilatérales de rupture ou au moins, afin d’imposer une négociation, à menacer de les prendre à une date proche et annoncée à l’avance ? Le tollé à attendre de la Commission, de la Cour de justice et de la plupart des dirigeants de l’UE pourrait être rapidement compensé, et au-delà, par le ralliement de nombreux mouvements sociaux d’autres pays, qui feraient à leur tour pression sur leurs gouvernements.

»Tout ce qui fait de l’UE un agent actif de la mondialisation libérale devrait être mis sur la table : liberté de circulation des capitaux ; libre-échange ; appartenance à la zone euro, plans de “sauvetage” ; pouvoirs de la Commission et de la Cour de justice de Luxembourg ; statut de la Banque centrale européenne ; dumping social, fiscal et écologique ; primauté de la concurrence, etc. Pour aller, vers une sorte de “Grenelle” (version 1968) au niveau européen.

»On objectera, non sans raison, que cela ferait entrer l’UE dans une zone de turbulences sans précédent, et dont les débouchés ne sont pas garantis à l’avance. Ce qui, en revanche, est garanti à l’avance en l’absence de correction de trajectoire à 180 degrés de la construction européenne, c’est l’austérité à perpétuité, l’explosion des inégalités et de la précarité, la dislocation accélérée du tissu social, la poussée de l’extrême-droite et de la xénophobie.

»Les libéraux n’ont aucun état d’âme à ce sujet et ils ont déjà fait leur choix, avec comme seul garde-fou la crainte de troubles sociaux majeurs. Par pusillanimité, par confusion mentale entre nation et nationalisme et par européisme béat, la majorité de la gauche social-démocrate et une partie de la gauche critique semblent bien parties pour faire le même, mais par défaut. Elles libèrent ainsi un vaste espace pour les forces qui refusent de se laisser enfermer dans le piège d’une alternance factice.»

Laissons de côté les espoirs politiques formulés et gardons à l'esprit la certitude de turbulences majeures à bref délai en europe, avec ou sans la gauche.

GEO