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1048On a vu hier (le 11 janvier 2013) l’importance politique que pourrait prendre le débat sur les armes à feu aux USA, si le gouvernement s’engage sur la voie de mesures concrètes dans ce domaine (notamment des mesures de confiscation). Nous ajoutons aujourd’hui à cette documentation un article de Andrew P. Napolitano, ancien juge à la Cour Supérieure du New Jersey, et analyste juridique de la chaîne de TV Fox.News. Napolitano est bien entendu d’une tendance nettement conservatrice, mais pas de tendance neocon comme on trouve souvent chez Fox, et plutôt sympathique vis-à-vis de Ron Paul qu’il a largement soutenu durant la campagne électorale. De toutes les façons, on donne ici une appréciation juridique de la question des armes à feu, c’est-à-dire essentiellement du Second Amendement de la Constitution et de ce qu’il recouvre.
Le débat est intéressant car il concerne, finalement, le principe de la souveraineté, vu du point de vue de l’Amérique originelle, plutôt que de l’américanisme tel qu’il a évolué. Le titre est d’ailleurs indirectement lié aux armes à feu, et beaucoup plus aux principes… «The right to shoot tyrants, not deer – The Second Amendment is the guarantee of freedom» (dans le Washington Times, du 10 janvier 2013)
«The right of the people to keep and bear arms is an extension of the natural right to self-defense and a hallmark of personal sovereignty. It is specifically insulated from governmental interference by the Constitution and has historically been the linchpin of resistance to tyranny. Yet the progressives in both political parties stand ready to use the coercive power of the government to interfere with the exercise of that right by law-abiding persons because of the gross abuse of that right by some crazies in our midst.
»When Thomas Jefferson wrote in the Declaration of Independence that we are endowed by our Creator with certain unalienable rights, he was marrying the nation at its birth to the ancient principles of the natural law that have animated the Judeo-Christian tradition in the West. Those principles have operated as a brake on all governments that recognize them by enunciating the concept of natural rights. […]
»The essence of humanity is freedom. Government – whether voted in peacefully or thrust upon us by force – is essentially the negation of freedom. Throughout the history of the world, people have achieved freedom when those in power have begrudgingly given it up. From the assassination of Julius Caesar to King John's forced signing of the Magna Carta, from the English Civil War to the triumph of the allies at the end of World War II, from the fall of communism to the Arab Spring, governments have permitted so-called nobles and everyday folk to exercise more personal freedom as a result of their demands for it and their fighting for it. This constitutes power permitting liberty.
»The American experience was the opposite. Here, each human being is sovereign, as the colonists were after the Revolution. Here, the delegation to the government of some sovereignty – the personal dominion over self – by each American permitted the government to have limited power in order to safeguard the liberties we retained. Stated differently, Americans gave up some limited personal freedom to the new government so it could have the authority and resources to protect the freedoms we retained. Individuals are sovereign in America, not the government. This constitutes liberty permitting power.
»Yet we did not give up any natural rights; rather, we retained them. It is the choice of every individual whether to give them up. Neither our neighbors nor the government can make those choices for us, because we are all without the moral or legal authority to interfere with anyone else's natural rights. Since the government derives all of its powers from the consent of the governed, and since we each lack the power to interfere with the natural rights of another, how could the government lawfully have that power? It doesn't. Were this not so, our rights would not be natural; they would be subject to the government's whims. […]
»The principal reason the colonists won the American Revolution is that they possessed weapons equivalent in power and precision to those of the British government. If the colonists had been limited to crossbows that they had registered with the king's government in London, while the British troops used gunpowder when they fought us here, George Washington and Thomas Jefferson would have been captured and hanged.
»We also defeated the king's soldiers because they didn't know who among us was armed, because there was no requirement of a permission slip from the government in order to exercise the right to self-defense. (Imagine the howls of protest if permission were required as a precondition to exercising the freedom of speech.) Today, the limitations on the power and precision of the guns we can lawfully own not only violate our natural right to self-defense and our personal sovereignties, they assure that a tyrant can more easily disarm and overcome us…»
Ce qui est intéressant dans la plaidoirie de Napolitano, c’est de constater combien cette question des armes à feu, en apparence triviale (et d’ailleurs le plus souvent présentée comme telle, on comprend pourquoi, avec la tarte à la crème de la “culture de la violence”), outre d’être politiquement très intéressante (on l’a vu hier), est également structurellement (juridiquement) très importante pour les USA. L’explication de Napolitano rejoint, par l’autre aspect de l’analyse, ce que nous avions développé le 15 décembre 2012 à propos de la question de la possession des armes à feu, dans le contexte du massacre de Newtown. Nous écrivions notamment…
«…Alors, nous proposons, nous, une autre explication pour la violence, et, par conséquent, pour la libre disposition des armes, qui ne serait nullement, dans ce cas, un monument symbolique élevé à la gloire de la liberté américaniste et du deuxième Amendement de la sainte Constitution des États-Unis. Cette explication tient simplement au fait de l’absence totale, depuis l’origine, de la puissance publique aux USA, en tant que puissance régalienne fondée sur l’approche principielle du gouvernement des hommes, en principe et par force transcendantale hors d’atteinte de tous les intérêts particuliers et autres domaines déstructurants des forces principielles. (De même, en Europe, serait-il intéressant d'observer les variations de la violence, y compris aujourd'hui avec la montée de l'insécurité, à l'aune de l'effondrement de la légitimité de nos élites dirigeantes et de nos directions politiques.)»
…Le fait est que Napolitano cite la Constitution, le Second Amendement, etc., éventuellement comme des icônes saintes comme nous dénonçons qu’il est fait d’habitude, mais surtout comme les applications d’un principe fondamental et extrêmement concret. Dans ce cas, la chose est beaucoup plus intéressante et rejoint effectivement notre démarche à cet égard. Napolitano explique, ou rappelle c’est selon, combien l’“expérience américaine”, à la fois nourrie des principes protestants et de l’idéologie des Lumières, est totalement, souverainement individualiste ; et l’on comprend d’autant mieux qu’il est par conséquent impossible que le gouvernement, précisément le gouvernement central (on ne parle pas d’État américain, ou américaniste, justement par définition), dispose de sa propre souveraineté comme de la disposition et la représentation d’un principe transcendantal, lui donnant à la fois légitimité et autorité. Aux USA, rappelle Napolitano, c’est l’individu qui est totalement souverain et qui délègue ce qu’il lui plaît de déléguer, et qui retire ou annule cette délégation si cela lui plaît, au besoin par la force (d’où la nécessité de disposer d’armes) ; il s'agit d'un concept qui va bien au-delà de la souveraineté démocratique, laquelle apparaît alors comme un compromis fragile et boiteux entre le Principe et la modernité intégrale : «Here, each human being is sovereign, as the colonists were after the Revolution. Here, the delegation to the government of some sovereignty – the personal dominion over self – by each American permitted the government to have limited power in order to safeguard the liberties we retained. […] Individuals are sovereign in America, not the government. This constitutes liberty permitting power.»
Cette situation explique évidemment la fragilité extrême des USA du point de vue de ses structures, et le fait que le spectre de la sécession reste toujours vivace puisque la structure de l’État de l’Union est, par essence présente au départ de la fondation des USA et renforcée au long de l’histoire des USA, l’antithèse du centralisme fédéraliste imposé par le fer et par le feu, par la Guerre de Sécession, et l’alternative souverainiste évidente à l’affaiblissement constant du pouvoir central mettant en évidence l’imposture de ce pouvoir du point de vue de la souveraineté. Quant à l’analogie de 1776 de la révolte des “colonies américaines” contre l’Angleterre (analogie présente implicitement chez Napolitano comme elle l’est explicitement chez Ron Paul), elle est évidente puisque la situation tend à évoluer vers l’identique selon l’évolution du gouvernement central vers une autorité de plus en plus policière et contraignante, avec son absence de légitimité devenant de plus en plus visible, et son autorité décroissant à mesure qu’augmente la pression policière. Il faut signaler, dans la chronique de cette querelle sur les armes à feu que, certains États de l’Union évoluent vers la possibilité de législations interdisant toute législation fédérale, ou action fédérale, contre la possession d’armes à feu ou le contrôle de la vente de ces armes (cas du Wyoming, avec une législation de “nullification”, la loi HB. 0104, ou Firearms Protection Act). Cette orientation conduit la querelle au niveau de la possible institutionnalisation de désaccords entre des États de l’Union et Washington, avec la possibilités d’affrontements puisqu’il serait question d’actes de police pour l’application de consignes fédérales, entraînant des actes de police d’État de l’Union pour empêcher cette application.
On l’a donc compris : l’intérêt de cette querelle est qu’on s’approche de plus en plus directement du domaine du principe fondamental (la souveraineté) dans son application la plus dramatique (non pas “culture de violence” mais “souveraineté du citoyen”). Bien évidemment, on peut et on doit identifier des choses fondamentales à reprocher au système américain originel qui a le germe de l'américanisme en lui, c'est-à-dire le Système (la “révolution” américaine est l'un des événements du “déchaînement de la Matière”) ; particulièrement cette conception de l’individualisme, qui est l’une des causes effectivement fondamentales de la catastrophe moderniste, qui interdit l’établissement de toute situation transcendantale pouvant se structurer dans le cours du développement de l'Histoire. Cela est un constat de fondement, pour bien conduire une appréciation critique de la catastrophe moderniste. Mais il n’empêche nullement, et c’est le cas ici, que se forment des situations tactiques où les positions doivent être appréciées relativement à leur efficacité contre l’“ennemi principal” (dans ce cas, le Système né du “déchaînement de la Matière”, et s'exprimant dans la modernité) ; il s’agit de l’occurrence classique apparaissant selon les évolutions habituelles des dynamiques enchaînant successivement ou (de plus en plus) parallèlement la surpuissance à l’autodestruction… Ainsi, une situation qui est par définition déstructurante et favorable au renforcement du Système (l’“individualisme souverain”) se retourne, à cause de circonstances précises et pressantes, en une situation antiSystème parce qu’elle heurte de front une entité-Système d’une extrême puissance et d’une très grande importance, qui est le centre washingtonien.
Mis en ligne le 12 janvier 2013 à 14H26
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