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90426 mars 2010 — C’est une occasion intéressante de constater que les deux présidents dont nous avons confronté déjà les destins (voir notre F&C du 11 mars 2010), se trouvent eux-mêmes confrontés, le même jour, à deux événements majeurs de leur présidence.
• Pour Sarkozy, c’est le deuxième tour des régionales avec une défaite considérable de son parti, avec un vote que Jean-François Kahn, un de nos commentateurs emportés, qualifie de farouchement “anti-Sarkozy”… Citons JFK sur le thème : “que peut-il faire pour s’en sortir ?” (cela, après avoir détaillé la situation catastrophique que tout le monde sait et nous-mêmes ayant à l’esprit le remaniement ministériel de mardi, qui semble la “réaction décisive” de Sarko), – cela sur le blog de JFK, Tourner la page, du 22 mars 2010.
«Alors comment peut-il s’en sortir ?
»Eventuellement de deux façons. La première : en prenant de la hauteur, de la distance, en se mettant en retrait, en conduisant, enfin, en président républicain qui ne cherche plus à tout contrôler, de la justice à la télévision en passant par les grands groupes industriels, laisse un gouvernement gouverner et un Parlement légiférer. Il en est absolument incapable.
»La deuxième : en décidant de dissoudre l’Assemblée nationale. La révolte attendue, dès mardi, des caciques UMP peut lui en donner le prétexte. Il peut même pousser l’astuce jusqu’à proclamer qu’il refuse la droitisation de sa politique que la plupart des élus UMP exigent. Dissolution, donc élections anticipées. La gauche les gagnerait. Largement. Elle formerait le gouvernement. Comme en Grèce, elle devrait alors assumer toutes les mesures anti-populaires imposées par la gravité de la situation. Les Verts, de leur côté, imposeraient des décisions, peut-être justes, mais qui provoqueraient la colère d’une majorité de couches sociales, et, dans deux ans, Sarkozy devenant leader de l’opposition gagnerait éventuellement l’élection présidentielle. Comme Mitterrand a gagné, en 1988, après une cohabitation, comme Chirac a gagné, en 2002, après une cohabitation. Sans quoi, le chef de l’Etat risque désormais de vivre un cauchemar.»
On ajouterait en guise de conclusion la conclusion précédente de JFK, pour l’autre formule: «Il en est absolument incapable.» Ainsi Sarko, ayant fait la démonstration de la fausseté de la formule qu’il suit, qu’il doit à son absence du sens du devoir d’Etat au profit du conformisme de la communication présentant un président faussement rassembleur, faussement réformiste, faussement national, – bref, tout-faux, – ainsi décide-t-il donc de la poursuivre à grandes enjambées.
• Pour Obama, c’est la “victoire historique” du passage à la Chambre de la loi sur les soins de santé. Etrange victoire, acquise à l’arraché, après un engagement partisan affirmé, du type qu’il avait banni précisément, accumulant douze mois d’échec dans cette bataille. Mais on se rassure aussitôt: la leçon de cette victoire basée sur un engagement pourtant bien timide est que la formule de l’engagement n’est pas la formule pour gagner, – parce qu’elle risquerait d’écorner lesystème. Ainsi Michael Tomasky nous explique-t-il, comme nous le citons dans notre commentaire du 23 mars 2010: «It's my bet that Obama, to the disappointment of progressives, won't take away from this fight the lesson that he needs to give up on bipartisanship once and for all. He went to the partisan mat when he had to, but his instinct is and will continue to be to try to find common ground…»
Ainsi l’esprit fermé, l’intelligence prisonnière raisonnent-ils, et Tomasky traduit bien la démarche intellectuelle du président US. (Par “to find common gound”, comprenez: garder le système washingtonien en l’état.) Obama a remporté sa “victoire historique” avec une formule qu’il prendra désormais un soin jaloux à tenter à toute force de ne pas employer à nouveau, – la formule de la rupture, de l’affirmation, – et encore, si timidement appliquée, avec toutes les ficelles du système, les compromissions, les prébendes, les promesses. Peut-être le fera-t-il au bout du compte, pour telle ou telle bataille, toujours du bout des lèvres et contraint et forcé, et il obtiendra une issue laborieusement victorieuse au prix d’une polarisation encore plus grande, empêchant encore plus la formule bipartisane qu’il appelle de ses vœux fervents, et à laquelle il reviendra aussitôt. Pour trouver plus contradictoire, il faut chercher… Sur le fond, on l’a vu, la conséquence immédiate de cette “victoire historique” est d’approfondir de façon dramatique la principale perversité de sa présidence, qui est l'accroissement du fossé entre le “centre” et les Etats de l’Union en pratiquant un interventionnisme centraliste dont le caractère immédiat est d’accroître les ponctions dans les budgets exsangues des Etats.
@PAYANT = Les deux hommes, Sarko et Obama, obtiennent donc des résultats de polarisation qui, quelles que soient les circonstances, victoire ou défaite, auraient dû être pour eux l’occasion de lancer une attaque extrémiste contre le système. Au contraire, ils concluent que tout doit continuer comme si rien ne s’était passé…
Les deux hommes se croisent donc, l’un avec sa “défaite historique”, l’autre avec sa “victoire historique”, pour finalement se retrouver; chacun doté d’un remarquable enfermement et entêtement d’autiste, pour ne rien voir, ne rien entendre et ne rien apprendre. Ils poursuivent la voie de présidences, également encalminées dans des formules dites “consensuelles”, “modernistes”, “bipartisanes”, tous ces mots qui claquent au vent de la communication et impliquent de réduire les politiques aux orientations conformistes de cette même communication. Ils satisfont ainsi les quelques milliers ou dizaines de milliers de personnes travaillant dans cette branche étrange de la communication, aux dépens des dizaines de millions de personnes qui composant ce qu’on nomme “le peuple” et qui constatent avec régularité l’absence de compréhension des dirigeants politiques pour les péripéties tragiques que rencontre leurs destins.
Pour ces dirigeants, victoires et défaites, consensus, etc., se mesurent selon la comptabilité du système dont on sait qu’elle n’a de rapports qu’avec une réalité construite autour du seul système de la communication. C’est la coutume de ce nouveau monde politique, et ce fut notamment la coutume durant les deux campagnes électorales des deux présidents, aboutissant à leur élection. L’extraordinaire de ces situations de Sarkozy et d’Obama se trouve bien dans ce qu’ils continuent à développer leurs politiques selon des schémas qui renvoient à cette situation de leurs élections, toujours selon les thèmes de la communication, comme s’ils n’avaient pas été au pouvoir avant les derniers événements qu’ils ont eux-mêmes provoqués.
Chacun à leur façon, ils ont été élus par la crise, dans un système en crise, et tout se passe comme s’ils n’avaient aucune responsabilité, aucun rôle joué, dans les développements de cette crise depuis leurs élections. La “défaite historique” (Sarko) et la “victoire historique” (Obama) ont ceci de commun qu’elles dépendent de domaines qui semblent, eux, dépendre de leurs seules priorités, de leurs seuls choix, dont ils refusent qu’ils aient un rapport avec la réalité et qu’ils soient influencés par la réalité. Obama a centré son action sur le système de soins de santé et conduit toute sa politique fondamentale autour de cette obsession, et c’est sa réponse à la colère populaire qui rejette un système privilégiant ses propres structures contre les structures de la communauté (par exemple, privilégier les banques contre la situation catastrophique du chômage et de l’économie). Le titre en forme de commentaire que Le Monde faisait mercredi à propos de la première déclaration de Sarkozy après sa “défaite historique”, qui résume effectivement l’attitude de Sarkozy, pourrait être repris pour l’attitude d’Obama poursuivant cette bataille des soins de santé en affirmant implicitement que son issue sera celle de la réconciliation bipartisane à l’intérieur du système rénové: “Je vous ai entendu mais je ne changerai rien” (« Sarkozy a entendu les Français mais ne changera rien»).
Face aux deux événements qui les affectent, – et nous disons même cela pour la “victoire” cousu de fil blanc d’Obama, – ni l’un ni l’autre n’ont le sens des positions extrêmes (en marge du système pour mieux s’en dégager) ni des positions en retrait (au loin ou au-dessus du système pour mieux s’en dégager), ces positions qui tendent à extraire un dirigeant suprême des rets du système lorsqu’il ressent combien il en est dépendant et aveuglé. C’est le cas des deux, Sarko par sa défaite qui sanctionne une chute continue, Obama par sa “victoire à la Pyrrhus” qui nous susurre que, née d’une déroute de douze mois par l’absence de rupture, elle poursuivra évidemment cette voie de l’absence de rupture.
S’il avaient ces attitudes de retrait et de marginalité par rapport au système, les deux hommes montreraient qu’ils ont compris le sens tragique de l’événement qui les a touchés, c’est-à-dire tout ce qui entoure cet événement, et dont ils sont comptables, bien plus que le reste, et qui est bien plus important que le reste. Mais non, l’un et l’autre ont bien l’intention de rester où ils sont, au centre du cirque qu’on nomme système, cultivant l’illusion de faire croire qu’ils en sont, chacun pour leur cirque, le Monsieur Loyal. Cela nous paraît moins significatif d’une politique que d’une psychologie dont nous croyons qu’elle est profondément influencée par le système de communication. Dans ce cas, l’analyse la plus intéressante concerne effectivement cette singularité psychologique, bien plus que toute spéculation à propos de leur politique. C’est à ce domaine qu’il nous semble donc préférable de nous attacher.
Pour compléter notre précédent texte sur ces deux hommes qui se ressemblent sans s’assembler, qui sont proches sur l’accessoire à une époque où l’accessoire est devenu l’essentiel, nous allons donner ci-dessous un extrait de notre dde.crisis du 25 mars 2010, dont les huit pages de la rubrique dedefensa sont consacrées au pouvoir comme crise intrinsèque (“le pouvoir est une crise”). L’extrait que nous donnons ci-après concerne, justement à partir des cas Sarko et Obama, la dissolution des psychologies des dirigeants politiques dans le système de la communication, qui empêche évidemment toute attitude de révolte contre ce système, sans pour autant donner à ce système les chefs exécutants énergiques dont il aurait bien besoin dans ces temps difficiles pour lui. (Cela n’implique nullement un jugement qualitatif sur les deux individualités. Par ailleurs dans la même rubrique, nous écrivons: «Il ne faudrait certes pas que le lecteur reste sur l’impression que nous traçons le portrait de deux hommes que nous jugeons dénués de toute vertu, de la moindre qualité, etc. Ce n’est pas le cas.» Nous ne parlons ici que des situations des psychologies profondes et des effets des pressions du système sur ces psychologies.)
« Les cas de Sarkozy et d’Obama sont exposés ici comme exemplaires et démonstratifs, on l’a bien compris, et nullement pour esquisser une analogie ou pour présenter une critique de leurs politiques et de leur exercice du pouvoir. L’exemple et la démonstration pour décrire l’exercice du pouvoir en général aujourd’hui sont d’autant plus frappants que les deux hommes n’ont guère de similitudes de caractère et de psychologies; leurs similitudes sont fonctionnelles, comme si l’on parlait effectivement de deux pièces d’une mécanique... Et c’est effectivement de cette façon que nous voulons les considérer: “deux pièces d’une mécanique”. (Dans ce cas, les différences de caractères et de psychologies sont un avantage pour la démonstration, parce que nous n’avons rien à faire dans notre jugement du caractère et de la psychologie de “deux pièces d’une mécanique”. Tant pis pour eux, puisqu’ils acceptent d’être “deux pièces d’une mécanique”...)
» L’intérêt de leurs (très) courtes carrières de dirigeants politiques au plus haut niveau, – “très courtes” jusqu’à maintenant et peut-être en vérité définitivement, cette hypothèse n’est pas absurde, – est qu’elles sont du plus grand intérêt pour illustrer le fonctionnement du système. Le fait est que, chacun à sa façon, chacun selon sa méthode, son caractère et sa psychologie (cette fois, ces choses importent), les deux dirigeants étaient armés pour affirmer des politiques fortes, pour susciter des processus d’une importance non négligeable. (Encore une fois, en bien ou en mal, selon le point de vue qu’on adopte, etc., ne nous attardions pas à ces aspects alors que ce qui nous importe implique plutôt une dynamique.) On pouvait également, avec des arguments très valables (ce ne fut pas notre cas, mais nous apprécions la valeur de la position), argumenter que ces deux dirigeants allaient suivre les lignes du systèmes, ou “la ligne du Parti” si vous voulez, et qu’ils allaient ainsi se révéler comme des dirigeants extrêmement efficaces pour le bien de ce système.
» Le fait est, finalement, que les deux choses s’avèrent inconciliables. L’aventure, ou les mésaventures de Sarkozy et d’Obama, nous conduisent à avancer le constat qu’en suivant “la ligne du Parti’”, le dirigeant qui paraît au départ le plus efficace possible à cause de vertus qui lui sont propres, sombre rapidement dans l’impuissance, dans l’inefficacité, dans le désordre même. Il cesse d’avoir une existence intéressante, il se dissout littéralement. Au contraire, on observera que, dans les rares cas où ces deux hommes semblèrent dévier de “la ligne du Parti”, ou en dévièrent effectivement même si temporairement, ils semblèrent retrouver leurs qualités, leur efficacité, les vertus qui semblaient les caractériser au départ. (Cas de Sarko durant sa présidence européenne; d’Obama de janvier à août 2009...) […]
» Avec ces deux cas, – Sarkozy et Obama, – représentant les deux systèmes d’organisation politique les plus caractéristiques, on peut dire qu’on embrasse l’entièreté du pouvoir de ce que nous nommons “le système américaniste et occidentaliste”, qui assure l’inspiration et le leadership de la civilisation. (Même s’il en perdait le leadership, “le système de l’américanisme et de l’occidentalisme” continuerait à assurer l’inspiration de la civilisation, ou bien nous nous trouverions plongés au cœur de la crise de notre civilisation alors que nous n’en sommes encore qu’aux marges brûlantes.) Dite autrement, cette remarque revient à admettre l’idée que ce même système assure le contrôle du pouvoir politique en général; avec l’expérience Sarkozy et l’expérience Obama, il a fait la démonstration de sa complète omnipotence dans ce domaine.
» Nous nous trouvons alors devant une étrange démonstration. Tournons la fameuse formule, – “le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument”, – qui est une formule qui devrait, à notre sens, s’avérer complètement trompeuse et faussaire. C’est la formule type qu’emploierait le système, s’il était une personne et s’il avait une voix, pour pouvoir discréditer puis éliminer le pouvoir politique et l’annexer à son profit, notamment par la puissance d’une de ses deux armes qu’est le système de la communication. Ce que nous dirions aujourd’hui en présence du phénomène que nous tentons de décrire, parlant de cette situation du pouvoir politique tombé sous l’omnipotence du système, c’est que “le pouvoir dissout [et que] le pouvoir absolu dissout absolument”. Ou bien encore, singeant une formule dont la publicité, une des branches du système de la communication, fit ses choux gras, nous dirions que le pouvoir politique placé devant la pression omnipotente du système s’avère absolument “psycho-dégradable”. La psychologie des dirigeants est totalement pervertie. C’est, nous semble-t-il, ce qui est en train d’arriver à Sarkozy et à Obama.
» Or, ce processus a un revers terrible, que le système n’a point prévu. S’il dissout le pouvoir politique en dégradant la psychologie des dirigeants, jusqu’à la dissolution absolue, il en fait des créatures inaptes à servir ses desseins une fois qu’elles sont dans la place. De là cette perception d’insignifiance grandissante des deux personnages en question, donc jusqu’aux plus brillants (Obama, sans aucun doute). Cette insignifiance se situe surtout au niveau de leur place dans le théâtre et l’action de la politique, dans leur poids politique, dans leur faible capacité psychologique à imposer certains actes, certaines orientations, etc.
» Il faut absolument se convaincre que notre propos concerne la psychologie profonde par excellence. Il n’est pas question de corruption, d’influence, etc., selon les méthodes coutumières que chacun connaît. Par exemple, le cas Sarkozy nous convainc de la véracité de cette remarque générale. En un sens, certains observateurs critiques pourraient considérer Sarkozy comme un corrompu, selon certains de ses comportements, qui n’ont guère changé avec l’élection; mais justement, le système attendait, exigeait qu’il changeât, qu’il devînt un véritable président pour appliquer la politique du système. Echec complet. »