Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
18425 novembre 2011 – Ci-dessous, on expose deux appréciations du mouvement Occupy Wall Street (OWS), ou Occupy en général, par deux commentateurs US de gauche qui soutiennent d’une façon générale le mouvement. Ils donnent directement des indications sur l’avenir du mouvement Occupy, et indirectement sur l’avenir du mouvement de protestation que représente Occupy dans un contexte plus général, c’est-à-dire global (les USA et le reste). On mentionne également certains aspects de la situation du mouvement, que nous avons de plus en plus tendance à nommer Occupy tout simplement, plutôt qu’Occupy Wall Street, – cela, pour des raisons autres que de simple sémantique.
• Sur Aljazeera.net, Danny Schechter dessine un tableau de la situation d’Occupy sans vraiment chercher à offrir une ligne de pensée pour son avenir, mais en rendant compte plutôt à la fois de son caractère extrêmement déstructuré, d’un éventuel durcissement des autorités contre lui, des succès qu’il a remportés. L’effet est extrêmement insaisissable. Il parvient néanmoins, peut-être sans l’avoir voulu, à suggérer quel est l’avenir du mouvement, – de plus en plus dur, de plus en plus tendu, avec à la fois des aspects de plus en plus incertains et d’autres de plus en plus certains. (Sur Aljazeera.net, le 4 novembre 2011.)
«Many New Yorkers seem obsessed with the protests. […] In other cities, there have been violent attacks on the Occupy Movement. Activists in Oakland, California, called for a general strike to defend their right to peacefully and non-violently protest.
»Musician Boots Riley who is part of the organising effort said: “We're ushering in a new phase in organising. It's a one-day general strike. It's a warning shot. It's beyond saying that 'we are the 99 per cent'. This is showing that the 99 per cent can be organised, that we won't be limited to the rules and regulations that unions have confined themselves to in the last 60 years.” The general strike, as a tactic, has not been that successful in the United States - because it requires a major organising effort, far more than appeals on the internet or in press releases. Noam Chomsky was sympathetic but cautioned protesters “to build and educate first, strike later”. […]
»If the Occupy movement had not been as successful as it has been in broadening the national conversation to include the issues of economic equality, it would not be drawing as much hostile flack from the press or politicians. Many Democrats fear an activist movement can hurt their re-election prospects by focusing on unsolved problems. Others see it as a direct challenge to months of debate on the need to cut deficits and impose austerity.
»To date, this movement has survived snowstorms and police attacks. Its tougher challenges may have just begun.»
• Pour autant, la situation du mouvement en général est extrêmement diverse et complexe, comme on peut le voir notamment dans la définition que nous tentons d’en donner entre globalisation et localisme, qui fait de ce mouvement une cible très difficile à situer et à toucher pour le Système. Des articles (les 4 novembre 2011 et 5 novembre 2011) de Russia Today, qui suit avec pusillanimité et constance le mouvement, témoignent effectivement de la fluidité et de l’incertitude de la situation, où l’on ne peut certainement pas parler d’un “tassement” d’Occupy ou de difficultés insurmontables pour lui. Ces constats sont là pour pondérer l’analyse de Schechter, qui reste néanmoins très fondée d’un point de vue général ; ils ne font que lui donner une tonalité encore plus dramatique.
• Sur son site le 4 octobre 2011, et sur CommonDreams.org le même 4 novembre 2012, Robert Reich donne une analyse plus générale. Economiste beaucoup plus qu’activiste, et membre de l’establishment économique et universitaire malgré ses positions assez radicales, Reich a le mérite de décrire la situation washingtonienne plus que la situation d’Occupy, suggérant par son titre que Washington est déjà “occupé”, qu’il l’était en fait bien avant le mouvement Occupy, par le Système lui-même. Il termine en revenant à la situation des protestations populaires en général, – Occupy et tout le reste dans le monde, pour estimer qu’un affrontement majeur se dessine pour 2012. Il s’agit, selon lui, de ce qu’exprime l’expression de la langue anglo-américaine de collision course, quelque chose d’inévitable, de pré-déterminé.
«The disconnect between Washington and the rest of the nation hasn’t been this wide since the late 1960s.The two worlds are on a collision course: Americans who are losing their jobs or their pay and can’t pay their bills are growing increasingly desperate. Washington insiders, deficit hawks, regressive Republicans, diffident Democrats, well-coiffed lobbyists, and the lobbyists’ wealthy patrons on Wall Street and in corporate suites haven’t a clue or couldn’t care less.
»I can’t tell you when the collision will occur but I’d guess 2012.
»Look elsewhere around the world and you see a similar collision unfolding. The details differ but the larger forces are similar. You see it in Spain, Greece, and Italy, whose citizens are being squeezed by bankers insisting on austerity. You see it in Chile and Israel, whose young people are in revolt. In the Middle East, whose “Arab spring” is becoming a complex Arab fall and winter. Even in China, whose young and hourly workers are demanding more – and whose surge toward inequality in recent years has been as breathtaking as is its surge toward modern capitalism.
»Will 2012 go down in history like other years that shook the foundations of the world’s political economy – 1968 and 1989?»
»I spent part of yesterday in Oakland, California. The Occupier movement is still in its infancy in the United States, but it cannot be stopped. Here, as elsewhere, people are outraged at what feels like a rigged game – an economy that won’t respond, a democracy that won’t listen, and a financial sector that holds all the cards.
»Here, as elsewhere, the people are rising.»
Dans ce commentaire de Reich, dans le paragraphe où il mentionne divers mouvements de contestation dans le monde, la phrase la plus intéressante, peut-être par inadvertance, est celle qui concerne la Chine : «Even in China […] as is its surge toward modern capitalism.» Ainsi Reich déroge-t-il à la règle partout en vigueur dans le bloc BAO et alentour, dans tous les milieux, y compris les milieux dissidents, en mentionnant les risques de révolte sociale en Chine en les liant non pas au reproche de l’absence de démocratie qui permet de restituer en général un peu de sa vertu-simulacre perdue au bloc BAO, mais à l’intégration accélérée et puissante du capitalisme le plus avancée (le plus destructeur) en Chine. Cette remarque résume la caractéristique essentielle de tous ces mouvements de protestation, Occupy et le reste dans le monde, dont certains attendent l’extinction “naturelle” par la durée, la lassitude, l’hiver, la division, le fatalisme, etc. ; cette remarque qui implique le basculement définitif dans le diagnostic de la crise générale, désormais de tous les côtés de la contestation, dans l’application du “capitalisme moderne”… En face, le Système, qui ne peut accepter ce diagnostic, parce que c’est celui de sa mort.
Le principal facteur de situation conjoncturelle est cette existence des deux mondes, celui du service du Système, notamment les directions politiques, et celui de l'insurrection contre le Système ; deux mondes aussi éloignés psychologiquement que peuvent l’être deux univers séparés par des années-lumière, et pourtant aussi proches jusqu’à l’assimilation intime que peuvent l’être un incendie sur lequel les pompiers qui sembleraient avoir pour fonction de lutter avec ardeur pour l’éteindre déversent des flots de combustible hautement inflammable. L’analyse passe donc de la fable de la lassitude révolutionnaire au constat de la permanence de la tactique “révolutionnaire” de l’huile jeté sur le feu. Par ailleurs et ce faisant, le mouvement Occupy perd sa spécificité américaine, contre le système de l’américanisme, pour s’intégrer dans l’incendie général, contre le Système. Cela s’exprime, d’une part par le refus, ou l’incapacité c’est selon, d’Occupy d’exprimer des revendications précises, d’autre part par la radicalisation des psychologies puis des analyses à l’intérieur du mouvement et autour du mouvement.
Occupy a évidemment la vertu fondamentale d’avoir rencontré un Moment d’ouverture de la psychologie collective à la contestation générale des conditions de la crise (aux USA, dans le bloc BAO, dans toute notre contre-civilisation). Cette rencontre qui est de type métaphysique et concerne effectivement les psychologies et nullement les consciences et les esprits, – comme on a pu le voir au départ (à partir du 17 septembre) où tout le monde ignorait ce qui se passait, y compris les initiateurs du mouvement, – mène d’une façon irrésistible à la contestation du Système, d’une façon si naturelle et si évidente que, là aussi, la psychologie précède la pensée elle-même et la perception suit cet ordre. (Tout le monde sent, avant de le réaliser, que ce mouvement est anti-Système, et le sera jusqu’à ce que mort [d’un des protagonistes au moins] s’ensuive, quelles que soient les voies et moyens empruntés, les soupçons, les explications, les théories...)
Ainsi, le principal verrou psychologique a sauté, ce verrou du fait fondamental de l’“isolationnisme psychologique” des USA, pour ce cas très spécifique du jugement scandalisé et suffoquant de fureur, non seulement à propos des conditions monstrueuses créées par le Système, mais surtout à propos et contre le Système lui-même. Alors que l’isolationnisme en tant que politique naturelle des USA est perçu comme un sacrilège et un anathème par le Système parce qu’il bloque la globalisation qui est nécessairement la globalisation des conditions monstrueuses mentionnées ci-dessus, l’“isolationnisme psychologique” est par contre favorisé par ce même Système parce qu’il empêche (empêchait) non pas une prise de conscience de l’unité des opprimés du monde (rengaine marxiste et moderniste) mais la perception collective et activiste au niveau planétaire de l’unicité justement de ces conditions monstrueuses. (Nous ne parlons pas ici de la perspective d’une “Révolution mondiale”, – comme toutes les perspectives globalisées spécifiques, structurées et quasi institutionnalisées, – qui est un traquenard de plus parce qu’il s’agit d’une rhétorique intra-Système, donc éventuellement manipulée par le Système et certainement manipulable par le Système à un moment ou l’autre ; nous parlons justement de la réalisation de la perception globalisée et active, sinon activiste, avec une sorte de coordination des psychologies collectives, du caractère pervers, inverti et absolument mauvais, et absolument irréversible dans ce sens, du Système ; l'enjeu est alors d'imprimer une poussée supplémentaire, très forte, peut-être décisive, dans la dynamique d'autodestruction du Système.)
Pendant ce temps, – “heureusement”, serait-on tenté d’écrire, selon une logique a contrario qui semblerait à certains cruelle, mais qui est simplement, impérativement nécessaire, – les pompiers-incendiaires continuent leur travail. Ils ne savent d’ailleurs rien faire d’autre puisque, devant l’incendie qui ne cesse de grandir, ils sont plus incendiaires que pompiers, et comme ils se sont institués pompiers pour conserver leurs positions de privilège, ils en deviennent doublement, triplement incendiaires. On veut parler du G20, dont le résultat a été de démontrer, par révolte contenue et référendum liquidé, contrainte et prise en otage doublées et triplées, combien le sort de la Grèce est plus que jamais, comme démonstration in vivo des conditions de survivance dans le Système, celui d’un asservissement total au Système (inutile de parler d’“Europe” et d’euros, ces farces totalement dissoutes dans le Système) ; et qu’après la catastrophe grecque, qui va évidemment poursuivre sa course catastrophique, nous passons “selon le plan prévue” des enchaînements catastrophiques, à la catastrophe italienne, et cela dans le cadre évidemment animé d'une dynamique irrésistible, de la catastrophe mondiale. (A moins de surprise(s), entretemps, dans le sens d’une nouvelle aggravation venant selon un autre angle d’attaque contre le Système, ce qui est très possible sinon probable, la surprise étant l’arme naturelle des grands courants métahistoriques qui gouvernent désormais la marche du monde.) Le G20 type-Festival de Cannes est donc salué par des titres du type «Global recession grows closer as G20 summit fails, – IMF to monitor Italy to ensure austerity as leaders fail to agree plan for financial aid for distressed countries» (le Guardian du 5 novembre 2011), tandis que Sarkozy deviendrait, comme une anecdote passagère, presque pathétique de médiocrité énergique avec son discours assurant qu’il s’agit d’un succès, avec lui à la barre, avec, espère-t-il, quelques points de sondage en plus. (Le Guardian : «It was a fiasco from start to finish. Ambushed by Greece, dogged by the threat of looming disaster in Italy, overshadowed by the rapid deterioration in the global economy, this was the bleakest global meeting since the World Trade Organisation talks broke down in riot-torn Seattle in 1999.»)
Les pompiers-incendiaires ne changeront pas leur technique d’alimentation de l’incendie parce qu’ils ne peuvent pas changer ; ils assurent donc, par simple enchaînement des réactions, la pérennité du mouvement de protestation et sa transformation en une réaction de vouloir la mort du Système, ce qui est bien plus intéressant que la mise en place d’une “Révolution” pour prendre un pouvoir qui serait d’ores et déjà corrompu et corromprait nécessairement les révolutionnaires, puisqu’il viendrait d’un Système non encore trépassé. L’essentiel, dans cet étrange affrontement, est effectivement, pour les contestataires, des “Indignés” à Occupy, de refuser absolument le pouvoir, d’obliger (inconsciemment souvent, parce que l’exercice est difficile dans son apparente contradiction) le Système à aller jusqu’au bout de lui-même dans toutes les extrémités de ses contradictions, jusqu’à ce qu’il atteigne, le Système, le terme de sa course autodestructrice.
…Là-dessus, pourquoi citer nous-mêmes 2012 (nous le faisons souvent), pourquoi s’attacher éventuellement au 2012 de Reich ? Non pas pour attendre tel ou tel résultat, telle ou telle élection surprise, tel ou tel état de siège, telle ou telle insurrection magique, telle ou telle prédiction accomplie du calendrier des Mayas… N’attendez rien de spécifique, de fixé, de suivi dans ces propos et dans nos propos. Nous sommes dans le domaine de la métahistoire, ou de la métaphysique, qui ne dépend certes pas des événements terrestres, mais qui les induit évidemment. Ce dont nous voulons parler avec 2012, c’est des psychologies, si sensibles, avec leur rôle essentiel, qui vont pénétrer dans une année rendue excessivement fragile, du point de vue du Système, par les nécessités de renouvellement de ses cadres politiques, de servilité plus ou moins grande comme on peut le comprendre (changements de directions suprêmes notamment en Russie, en France, au Mexique, en Chine, aux USA) ; ici n’importe pas la servilité et son degré, y compris ceux qui sont à la limite, un pied dans le Système, un pied en dehors et contre lui (la Russie, la Chine), mais bien la fragilité soudaine, comme par une usure brutale, de la maille et de la densité du tissu politique dont le Système a nécessairement besoin. Cela suscitera une atmosphère incertaine, affectant le seul pan qui reste d’une certaine rigueur dans le Système en crise, de la pensée-Système absolument cloisonnée, du langage qui n’est même pas de bois mais qui est totalement hermétique, du comportement enfermé dans une sorte de cuirasse robotisée, – tout cela, dans le chef de nos directions politiques, essentiellement celles du bloc BAO, certes. L’année 2012 est un gaz insaisissable et à potentialité irrémédiablement mortelle, une énigme informe enrobée dans un mystère lui-même enveloppé dans un halo de brumes épaisses, tout cela dans un cadre général de fureur et de rage, d’incompréhension, de rupture et d’éloignement jusqu’à l’inexistence réciproque des univers entre dirigeants et publics sur le plan psychologique, et paradoxalement jusqu'à leur collision par la seule fatalité de leurs courses réciproques ; l'année 2012 est quelque chose d’absolument inconsistant pour le Système, au moment où le Système en cours d’effondrement et de Chute aurait le plus besoin d’appui solide, de la fermeté même de la Matière dont il est issu… C’est le moment que choisirait la Matière ferme et dense pour se gazéifier, pour jouer la fille de l’air.
Forum — Charger les commentaires