Destruction du monde en source unique

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1894

Destruction du monde en source unique

Parmi les guetteurs des nouvelles du monde qui nous montrent les effets parfois surprenants des convulsions du monde, on trouve Tony Cartalucci, qui dirige et développe un blog nommé LandDestroyed. Le 4 juin 2012, Cartalucci nous décrit le plus aisément du monde la structure, l’organisation et le fonctionnement du Syrian Observatory for Human Rights (disons SOHR, pour faire encore plus sérieux), basé à Coventry (on allait dire Londres, pour faire toujours plus sérieux) ; le SOHR, la principale source, voire la source quasiment unique jusqu’à il y a peu, de notre information sur les horreurs commises unilatéralement par le régime Assad en Syrie selon la narrative en vogue, et donc la cause de cette énorme crise qui secoue la contre-civilisation éventuellement occidentale, ou bloc BAO… Car, SOHR, superbe exploit, se limite à une personne, installée dans un petit bureau bricolé dans une maison de Coventry, dont le rez de chaussée est occupé par un magasin de vêtements constituant l’activité de subsistance de cette personne…

«However, astoundingly, the Syrian Observatory for Human Rights is none of these things. Instead, it is merely a single man, sitting behind a computer in a British apartment, who alleges he receives “phone calls” with information always incriminating the Syrian government, and ever glorifying the “Free Syrian Army.” In fact, Reuters even admitted this in their article, “Coventry – an unlikely home to prominent Syria activist,” and even concedes that this man, “Rami Abdulrahman,” is openly part of the Syrian opposition who seeks the end of the Syrian government. Abdulrahman admits that he had left Syria over 10 years ago, has lived in Britain ever since, and will not return until “al-Assad goes.” […]

»The opportunity for impropriety seems almost inevitable for a man who openly reviles a government long targeted for “regime change” by the very country he currently resides in, and who's method of reportage involves dubious phone-calls impossible for anyone to verify. When Abdulrahman isn't receiving mystery phone calls from fellow opposition members in Syria (like "Syrian Danny") or passing on his less-than-reputable information to the Western press, he is slinking in and out of the British Foreign Office to meet directly with Foreign Secretary William Hague – who also openly seeks the removal of Syrian President, Bashar al-Assad…»

…Effectivement, en suivant le lien obligeamment offert par Cartalucci, on tombe sur une dépêche Reuters, de Mohammed Abbas, du 8 décembre 2012. Abbas nous emmène dans le monde bigarrée, couturé de coups de téléphone expéditifs mais précis, de descriptions “comme si on y était”, de précisions incertaines mais tonitruantes, – et parfois de descentes au rez-de-chaussée pour vendre un pantalon ou un tricot à un client de passage. Enter Rami Abdulrahman, Syrien expatrié depuis 2000 au Royaume-Uni, fondateur, gérant, directeur et personnel complet du SOHR qui informe le monde sur la tragédie syrienne.

«“Are there clashes? How did he die? Ah, he was shot,” said Rami Abdulrahman into a phone, the talk of gunfire and death incongruous with his two bedroom terraced home in Coventry, from where he runs the Syrian Observatory for Human Rights. When he isn't fielding calls from international media, Abdulrahman is a few minutes down the road at his clothes shop, which he runs with his wife.

»Cited by virtually every major news outlet since an uprising against the iron rule of Syrian President Bashar al-Assad began in March, the observatory has been a key source of news on the events in Syria. Most foreign media have been banned from reporting in Syria.

»“The calls come 24 hours a day, you've seen how many I've had in the last hour,” Abdulrahman, 40, told Reuters as he answered reporters' calls, as well as calls from his network of sources in Syria. “My job, my clothing business, my nerves have all been affected due to the pressure. Some nights I only get three hours sleep,” he said. Surrounded by the trappings of family life – a glitter-spangled card made by his young daughter, a monkey doll with “Best Dad” on its belly – Abdulrahman sits with a laptop and phones and pieces together accounts of conflict and rights abuses before uploading news to the internet.

»After three short spells in prison in Syria for pro-democracy activism, Abdulrahman came to Britain in 2000 fearing a longer, fourth jail term. “I came to Britain the day Hafez al-Assad died, and I'll return when Bashar al-Assad goes,” Abdulrahman said, referring to Bashar's father and predecessor Hafez, also an autocrat…»

Cette intéressante trouvaille sur la principale, sinon l’unique source des médias occidentaux, et également de nombreux services officiels occidentaux, pendant une bonne partie sinon l’essentiel de l’année 2011 sur la situation humanitaire des troubles syriens, jette un éclairage non moins intéressant sur la question de l’information dans les crises dans ces temps post-“westphalien”, comme les qualifierait avec amertume Henry Kissinger. Au reste, malgré l’aspect extraordinaire de cette situation, elle ne présente rien de vraiment étonnant dans la situation extraordinaire d’absence de références politiques hautes évidentes, dans une époque si complètement subvertie. Nous allons observer cette information qui nous est présentée, telle qu’elle nous est présentée, sans faire intervenir des hypothèses pour l’instant gratuites de manipulations chronologiquement fondatrices. Plusieurs traits sont à noter.

• Telles qu’elles sont présentées et sous la réserve de développements convaincants, la personnalité et les activités de Rami Abdulrahman n’ont en soi rien de complexe et de manipulateur selon les normes de l’époque. Il s’agit d’un opposant au régime syrien, sous Assad père et fils, qui a souffert de l’action de ce régime fort peu enclin pour la tolérance pour les oppositions à lui-même. L’exil de Rami Abdulrahman, son installation au Royaume-Uni et sa décision de poursuivre la lutte selon les moyens de communication disponibles, avec l’autonomie qui lui permet de s’institutionnaliser, n’ont rien non plus d’extraordinaire ni rien de détestable ou de politiquement condamnable. Cela représente un type d’action courante, de la catégorie de la dissidence, qu’on trouve dans tous les camps, au niveau des activités non officielles du système de communication. Le militantisme électronique de communication est une activité courante, qu’on soit d’un bord ou de l’autre, dans un sens ou l’autre, et il par ailleurs normal que ce militantisme s’exerce dans un sens souvent quasi-exclusif, relayant des bruits et des témoignages allant dans le sens du militant qui l’exerce. C’est un engagement et nullement un témoignage objectif.

• Certains pourraient avancer l’interprétation qu’il s’agit au départ d’un montage, opéré notamment par les autorités britanniques avec lesquelles Rami Abdulrahman semble désormais en contact. (On se trouve alors devant une opération classique d'information orientée, techniquement de type “complot”.) On objecterait qu’un “montage” considéré comme l’organisation de départ du phénomène, justement, aurait été réalisé selon des normes donnant l’apparence d’une organisation sérieuse et structurée, pour donner un SOHR un crédit d’apparence. L’hypothèse d’une rencontre entre un militant isolé et une tendance politique (celle des pays du bloc BAO) qui s’est soudain développée en une politique effective à l’occasion du “printemps arabe”, puis des troubles en Syrie après l’épisode libyen, doit être considérée comme très sérieuse et comme complètement acceptable.

• Dans ce cas, ce qui devient réellement impressionnant et constitue un évènement remarquable, c’est la place que le SOHR a pris dans la construction de communication de la crise syrienne, c’est-à-dire le rôle qu’il a joué dans la dynamique menant à l’établissement de la politique que l’on sait. A notre sens, cela est du à deux phénomènes : un phénomène psychologique et idéologique, qui est le basculement complet de la communication de présentation de la politique vers le modèle “droitdel’hommiste”, c’est-à-dire un modèle hors des normes et structures habituelles de la diplomatie, de l’analyse officielle, dépendant d’initiatives “sociétales” ou individuelles, sans le moindre contrôle politique, hors de tout cadre régalien et principiel. De ce point de vue, après tout, le cas de Rami Abdulrahman pour la Syrie peut se comparer, en dynamique et en orientation du processus, à celui de BHL pour la Libye. (Là s’arrête, bien entendu, la comparaison entre les deux personnages, cela pour ne pas trop accabler Rami Abdulrahman… On dira que le travail de militant de Abdulrahman, constant et opiniâtre, a joué dans ce cas, le rôle de la notorité médiatique de BHL.) La presse-Système, totalement infectée par ce modèle “droitdel’hommiste”, a totalement accepté, par aveuglement, lâcheté, paresse intellectuelle et parti-pris systématique inspiré par le Système, cette aubaine de cette “source unique” qui remplissait tous les critères de l’image avantageuse pour elle qu’elle se fait de la situation du monde.

• Le second phénomène est la confirmation, une fois de plus, de l’extraordinaire relativisation de l’information, à la fois à cause de la fin de l’information officielle comme référence objective qui ouvre à l’information non officielle la possibilité d’être créditée du statut de référence, à la fois à cause des moyens disponibles de communication pour des individus ou des entreprises à mesure. Le cas de Rami Abdulrahman pose donc la question du choix qu’on doit faire des informations diffusées, placés devant cette relativisation qui empêche toute certitude quant au crédit de ces informations. (Ce choix est d’ailleurs une mise à jour des réelles difficultés de l’information qui existaient auparavant, lorsque l’information officielle était encore considérée comme une référence objective : dans la période de l’époque actuelle où existait encore la position de référence objective de l’information officielle, c’était le plus souvent pour se trouver devant une référence qui utilisait des informations trompeuses, compliquant encore plus le travail de détermination de la vérité.) La seule issue est d’installer pour soi-même un cadre de jugement global sur la situation, de déterminer sa propre voie à suivre en appuyant son choix sur des références de ce cadre, qui devront être et seront nécessairement des structures intellectuelles solides et sérieuses éventuellement éclairées par l’intuition haute, et de considérer les informations disponibles à cette lumière ; pour notre cas, la référence principale est le choix de la structuration contre la déstructuration, ou, d’une façon plus générale, la référence du Principe, qui est à notre sens la voie principale et essentielle pour tenter d’approcher la vérité du monde. Il est évident que cette référence nous conduit à juger négativement l’action de Rami Abdulrahman, qui se fait le complice objectif des forces déstructurantes et dissolvantes du Système qu’il n’a aucune chance de manipuler à son avantage (à l’avantage de sa cause) ; au contraire, ces forces finiront, si ce n’est déjà fait bien sûr, par le manipuler en prenant argument de ses informations pour appuyer, voire justifier leur politique déstructurante et destructrice du Principe.

• …Car il nous apparaît évident que le “succès d’influence” de Rami Abdulrahman tel qu’il est présenté et dans le cadre où il est présenté n’est concevable que parce que son action rencontre et nourrit la principale tendance de la politique-Système, qui est la tendance déstructurante et dissolvante. Le résultat, pour son pays, si cette tendance triomphait, serait un chaos pire que le régime Assad. Objectivement considéré, le manipulateur involontaire ou pas du Système que fut Rami Abdulrahman à l’origine, est donc devenu un manipulé au service du Système. Le dissident éventuellement honorable est devenu un “idiot utile”. Peut-être a-t-il conscience de la chose, qui lui attire des privilèges-Système, et s’en satisfait-il, peut-être n’en a-t-il pas conscience ; cela, c’est son problème personnel.


Mis en ligne le 6 juin 2012 à 06H35