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1699Dans une première partie (« De Joseph de Maistre… »), qui n’était initialement destiné à n’être qu’un post pour le forum, je réagis au F&C du 3 janvier 2012, «Nous et “l’énorme poids du Rien”», à la lumière et dans le cadre des thèses de M. Grasset (lesquelles me conviennent par ailleurs parfaitement, en toute indépendance d’esprit).
Dans une deuxième partie (« … à sortir du Système »), j’enchaîne librement sur le thème des nouveaux dialogues, «Sortir du Système», en profitant de la forme plus libre de cette rubrique. (L’essai est une forme qui doit permettre d’aller rapidement quelque part, de suivre une pensée sans s’alourdir par les pesantes formes académiques. On trouvera néanmoins d’abondantes notes, qui sont donc inutiles à l’essentiel du propos, mais qui constituent autant de pistes suivies précédemment ou ouvrant ailleurs…)
(Le lecteur se référa à l’article «Nous et “l’énorme poids du Rien”», et plus particulièrement à ces quelques lignes [1].)
De Maistre voyait grand, pensait grand - cherchant à se libérer du boulet de «l’énorme poids du Rien», pour enfin voler haut dans le ciel, distinguer de ces hauteurs à la fois les conditions psychologiques existentielles des humains et les courants métahistoriques dans lesquelles ils sont plongés (ou mieux : distinguer à partir de ces « conditions psychologiques existentielles », vécues dans sa chair, les courants métahistoriques… de Maistre, cousin de Nietzsche ? Je le pense !)
Mais quid de son interprétation ? Savoir que « la joute grandiose [qui] emportait soudain l’Histoire devenue métahistoire » (suite à l’éclatement de la Révolution Française) était «destinée à purger le monde de la déviation où s’était enfoncé le temps monarchique »…
Si on ne peut qu’être que d’accord avec « la déviation des temps monarchiques » (voir Ferrero, sur la dissolution du principe de légitimité monarchique au cours du XVIIIè siècle [2]), le monde fut-il pour autant, après la Révolution, « purgé » de toute déviation ? S’en trouva-t-il, pour autant, mieux ?
Il est indéniable qu’il y eut par la suite (j’entends temporellement, au cours des XIX et XXè siècle) des progrès, et des héritages qu’il nous faut aujourd’hui sauvegarder et utiliser (en exerçant droit d’inventaire, intelligence et vie).
Mais globalement, l’épisode de la Révolution française sur lequel l’œil de faucon de Maistre plane ne fut qu’une étape dans l’émergence et la diffusion de « l’idéal de puissance » et sa condensation ultérieure en esprit moderne, deuxième civilisation occidentale, Contre Civilisation puis Système (thèse même de La grâce de l’histoire [3]).
La fatigue, l’épuisement, la déviation du « Génie de l’Ancien Régime », auquel de Maistre attribue cet « énorme poids du Rien », furent-ils ainsi réellement corrigés par cet épisode de la Révolution ? Ce qui déboucha par la suite (l’idéal de puissance brûlant de son nihilisme la planète entière) ne fut-il pas, métahistoriquement, pire encore ? [4]
La question est purement rhétorique bien sûr, tant la réponse ne fait pas de doute. Mais alors il eut fallu que le regard d’aigle de De Maistre pris encore de la hauteur (ce que cet esprit métaphysique dû faire, je n’en doute pas) pour embrasser deux siècles en amont pour la cause du problème et, surtout, deux siècles en aval pour voir le point où le monde pourrait avoir enfin, après l’avoir totalement épuisé, l’occasion de rompre avec cette « fatigue psychologique » qui a atteint l’Europe autour du XV-XVIè siècle et qui est la cause de la domination totale et absolue aujourd’hui de l’idéal de puissance et de son nihilisme achevé (ha, le dernier homme nietzschéen !)…
Revenons sur cette « fatigue psychologique », laquelle est ce qui permit l’installation de l’idéal de puissance au cœur de la première civilisation européenne (thèse présentée dans le dde.crisis de juillet 2010 [5]).
D’où vient-elle, cette fatigue psychologique ? De l’absence d’une culture capable d’offrir à la psychologie et aux humains un « monde », un cosmos au sens grec du terme, c’est-à-dire un lieu qui permet de vivre de manière dense et ample, un lieu où vivre en intelligence et connivence avec la terre et les formes vivantes et intelligentes. Bref : un lieu où vivre, c’est-à-dire être vivant, présent, attentif, acteur, auteur ! (Tout le contraire, précisément, de « cet énorme poids du Rien » que de Maistre exprime de manière bien plus incisive que le malaise qui pousse tant de nos contemporains vers le développement personnel, l’usage quasi généralisé de médicaments psychotropes, etc., qui signalent tous une société où l’on étouffe).
Pour cette acceptation du terme « monde », je renvoie à Kenneth White et sa définition : « Un monde, c’est ce qui émerge de la relation entre les humains et la terre. Si ce rapport est sensible, intelligent, complexe, le monde est un endroit sensible, intelligent, complexe ; le monde est monde au sens profond du mot : un bel espace où vivre pleinement. Si, par contre, ce rapport est inepte, insensible, pour ne pas dire brutal et exploiteur, le monde est inepte, insensible, brutal et exploiteur, un monde stérile et vide, un im-monde » [6]. En ce qui concerne mot « terre », il faut bien sûr l’entendre au sens large : l’ensemble des vivants et des éléments présents en un lieu donné, ou le flux de la Vie et des Vivants, ou le Sauvage, ou le Dehors etc., bref tout cet « immense contexte non humain » qui dépasse de loin l’acceptation galvaudée du terme « nature » aujourd’hui, et qui n’est bien sûr pas un « contexte » mais un bout concentré d’univers.
Quant au rôle de la culture, « culture au sens profond du terme », c’est ce qui permet à un monde d’exister, de perdurer (et non un im-monde sans relation, sans contact, sans culture), en mettant en son cœur ce que l’intelligence poétique aura exprimé de cette relation première entre les humains et la terre, et la vie (voir le même auteur [7]). En son centre, une culture haute possède donc une intelligence poétique [8], à savoir l’expérience première puis l’expression (en une forme culturelle centrale) d’une relation inédite, vivante, riche, réelle, avec la terre (ou la flux de la Vie et des Vivants, ou le Sauvage, ou le Dehors etc.) [9]. Cette intelligence poétique première irrigue ensuite le reste du champ des activités intellectuelles et pratiques des hommes (arts, politique, médecine, nourriture, économie, science, écologie, commerce, droit, conflits, etc. etc.). C’est ce cœur de la culture (cette intelligence première, cette sagesse, ce contact vivant), qui permet, qui structure, qui cadre tout le reste des activités. Non le contraire.
On peut parler de cultures cosmopoétiques, de cultures qui font mondes. Les exemples sont là (cf. l’essai « Le projet postmoderne », dans la troisième partie de L’Esprit nomade [10]). Gary Snyder [11] est un autre auteur de la même dimension, qui outre un obligatoire cheminement personnel, inscrit sa démarche dans une pratique théorique, une riche réflexion vécue sur la culture, sur ce faire communauté qui n’est pas qu’une communauté entre humains (le social : trop humain !) mais avec le reste de l’univers également… Un Pierre Rabhi qui veut « replacer l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations » [12], et qui abondamment pratiqué ce qu’il dit là en développant l’agroécologie et en fondant diverses associations concrètement impliquées dans cette pratique d’agriculture écologique pour la paysannerie [13], est à placer dans la même voie. Mais il faut l’inscrire dans ce cadre plus grand encore de culture cosmopoétique…
Comme le dit un maître zen à son disciple dépité qui lui demandait si cela était tout : Tout est là !
Tout est là, et c’est cette relation, ce contact, ce cœur que nous avons commencé à perdre en Europe, graduellement, itus et reditus (avec des aller et retour) autour du XV-XVI siècle, au moment où l’ancienne culture européenne aurait dû se réinventer, réactualiser son génie pour créer une culture nouvelle, à même de faire un monde ouvert, c’est-à-dire d’entrer en relation intelligente, subtile avec cette Amérique nouvellement découverte, avec ces autres êtres humains, cultures, animaux, végétaux, intelligences, milieux de vie et espaces rencontrés à l’échelle du globe… (Lesquels n’entraient assurément pas de manière satisfaisante dans l’ancien « cadre de référence », méditerranéo-centré, ou du « monde en T »).
C’en fut trop pour cette culture européenne, dont les « sages », emportés par cette dynamique trop rapide de découvertes d’un globe entier, d’une planète entière ! (chose totalement inconnue jusqu’alors !!) puisèrent dans les ressources intellectuelles les plus immédiatement disponible pour eux, celle de ce monde urbanisé et littéraire de la Méditerranée, et ce fut ainsi que l’on prit la raison humaine seule comme référence centrale et que naquirent le rationalisme et l’humanisme. C’est la thèse développée dans dde.crisis de juillet et septembre 2010 [14] : la raison humaine fut mise (par une sorte de coup d’état philosophique ou idéologique a posteriori) à la première place des différentes facultés de la pensée, récusant toutes les autres façons d’écouter, de voir, de regarder, d’entendre, de rencontrer, de sentir, de comprendre, de penser, de faire intelligence – comme le dit D.H. Lawrence (qui l’a appris au contact d’autres), « la pensée, c’est le surgissement de vie inconnue dans la conscience ». Ce rationalisme fut incapable de créer un monde et une culture haute au sens donné précédemment, ayant évacué tout contact (sensible, intelligent, subtil, vivant) avec la terre et les non-humains, ayant surtout coupé toute référence extérieure à la « société humaine »…
Humanisme et sciences modernes nous livrèrent assurément moult conceptualisations, savoirs et connaissances riches, inédites, merveilleuses et belles [15]. Il ne faut, simplement, pas attendre d’eux ce qu’ils sont incapables de donner (et que ne les a-t-on accusés d’avoir été incapables d’éviter les génocides et l’arme atomique au XXè siècle !), à savoir fonder une culture haute et faire un monde vivant. Certains grands esprits, depuis la Renaissance, essayèrent assurément de s’inscrire dans une approche, une intelligence plus complète, en puisant dans d’autres ressources que celle d’une raison coupée de sa source vive. Ces tentatives, isolées et restées sans lendemain, sont cependant là comme autant de pistes à reprendre…
Le reste de l’histoire est connue : en l’absence d’une culture profonde et adéquate, le système d’éducation supérieur et les sciences modernes finirent par laisser l’efficacité technologique atteindre une puissance telle qu’elle acquit une dynamique propre (les fameux systèmes anthropotechniques laissés à eux-mêmes), incontrôlable, qui fit succomber toutes les autres cultures et mis à mal plus d’une surface vivante de la Terre. (J’ai écrit « le système d’éducation supérieur et les sciences modernes », mais aucun autre segment de cette deuxième civilisation occidentale ne fit mieux, au contraire même, certains justifiant ou travaillant à promouvoir activement l’emploi absolument inconséquent de cette puissance).
Ainsi, la tâche que ces « sages » et grands esprits entreprirent alors au point de rupture de la première civilisation européenne (faire un nouveau monde, fonder une culture sur une relation intelligente à la terre devenue Terre), elle nous est dévolue à nous, maintenant, par-delà cette première tentative malheureuse ayant abouti à l’actuel Système hermétique, surpuissant et insensé.
***
Dans le passé, chaque groupe d’humains avait « son » monde (sa manière de vivre dans une relation intelligente, durable avec la terre et les vivants). Ce monde pouvait être plus ou moins isolé (tel celui, incroyable, des Inuits ; on en citera beaucoup d’autres du même acabit) ou chevauchant celui d’autres cultures voisines, se mélanger à celui-ci, s’accommoder de celui-là pour en créer un autre, adopter celui de voisins plus dynamiques, etc. Aujourd’hui, à l’échelle où les techniques, les savoirs, les connaissances, les interactions nous ont mis, osera-t-on dire que le monde qui émergera sera un monde à l’échelle de la planète ? C’est-à-dire à l’échelle de ce que tous les hommes ont aujourd’hui tous en commun : essayer d’habiter sur cette Terre…
(Quant à la question initiale, un peu théorique, un peu provocatrice, « sortir du Système », le lecteur aura compris où je veux en venir. Il s’agit de laisser le Système s’évanouir de lui-même – que cette thèse s’avère réelle ou pas [16] ; nul besoin d’espérer ou d’attendre pour entreprendre ! – en étant assez lucide et capable de distinction pour ne pas entraver ce qui l’affaiblit ni étayer ce qui le renforce. Mais surtout, à côté de cette position, il s’agit de travailler individuellement aux éléments qui permettent de revenir au contact avec la vie, la terre, les rythmes essentiels etc., et de travailler collectivement aux éléments et pratiques théoriques (qu’ils soient culturels, agroécologiques, énergétiques, éducatifs etc.) qui permettront de s’inscrire dans une intelligence capable de faire monde, et ce à partir de chaque espace libre que laissera le Système qui trébuche et se fend. [17]).
Christian Steiner
[1] « Maistre ne fut jamais, ni un monarchiste entêté, ni un conservateur borné, ni un réactionnaire exalté ; il fut un métaphysicien, un homme de l’intuition haute, comprenant à l’exposé sanglant de la Révolution française, quelle joute grandiose emportait soudain l’Histoire devenu métahistoire ; la tenant pour un acte indirect de la volonté divine, destiné à purger le monde de la déviation où s’était enfoncé le temps monarchique, mais sans évidemment aucunement en partager le fondement qui est absolument l’inversion même, le double diabolique, du Principe de la Tradition. La Révolution française débarrassa Maistre de «l’énorme poids du rien»… »
[2] Pouvoir. Les génies invisibles de la Cité. Guglielmo Ferrero, New-York : Brentano’s, 1942. Les « Génies de la Cité » sont ici les principes de légitimité qui, d’après Ferrero, sont à la base de la pensée et de la pratique politique et du gouvernement des hommes, de manière tellement radicale qu’ils en sont implicites et méconnus à la plupart d’entre nous, et qu’ils nous régissent inconsciemment. Il y a le principe de légitimité monarchique, le principe de légitimité démocratique, et d’autres. Ferrero aborde également le point du processus historique complexe par lequel un principe se légitimise (phase de prélégitimité). Il distingue également légitimité, illégitimité et quasi-légitimité.
Une approche partielle en est donnée dans un article qui traite incidemment d’un autre sujet (le 23 septembre 2011).
[3] Pour la thèse centrale de La grâce de l’histoire, voir cette introduction, le 18 décembre 2009. Voir aussi cet article du 14 août 2009.
Quant à la Révolution française, elle fut bien d’autres choses également. Mais elle fut indéniablement une étape clé de la diffusion dans monde de « l’idéal de puissance » (voir par exemple La première guerre totale, de David A. Bell, édition Champ Vallon, 2007), et c’est ce phénomène « métahistorique » (éclatement et diffusion de l’idéal de puissance) qui constitue aujourd’hui l’élément essentiel, majeur, écrasant de cet épisode.
Le livre de David A. Bell donne une bonne idée du passage de la guerre telle que pratiquée et vécue par les hommes dans le cadre de « l’idéal de perfection » (mœurs, idéaux, formation, éducation) puis dans le cadre de « l’idéal de puissance ». A un niveau plus macrohistorique, il met en lumière le passage de conflits limités à la guerre d’attrition illimitée. Si ce deuxième aspect n’apporte que peu de surprises depuis les écrits de et sur von Clausewitz, le premier aspect est bien plus intéressant, car moins connu et se rapporte concrètement à l’échelle des individus et de la culture dans laquelle ils vivent.
Pour Philippe Grasset, l’idéal de puissance et tout ce qui s’en est suivi, découle de l’interaction des conséquences de trois révolutions, dans trois domaines différents : la Révolution française, la Révolution américaine et la révolution thermodynamique (en ce qui concerne notre puissance énergétique). À ce titre, on pourra utilement considérer le livre de David A. Bell comme l’équivalent, en ce qui concerne la Révolution française, du Choix du feu d’Alain Gras [Paris : Fayard, 2007] en ce qui concerne la révolution thermodynamique. Les deux ouvrages mettent à mal bien des idées « courantes » et truismes du Système (ainsi, la technique n’est pas ce qui dicte une psychologie… C’est une certaine psychologie qui est à la base de l’innovation, de la diffusion et de l’utilisation à grande échelle d’une technique particulière – ainsi celle de la combustion généralisée qui consiste à brûler certaines ressources ; alors que le choix eut pu être fait d’utiliser, sans les détruire, d’autres types de ressources).
[4] Evacuons ici la question du principe de légitimité démocratique qui est apparu et s’est développé par la suite, parce qu’il est encore dans son enfance et qu’il ne fut, pour l’instant, pas à la hauteur de l’enjeu… (Même si les authentiques germes plantés…, dans un futur proche…ici ou là…)
[5] « La raison face à elle-même », dde.crisis, 25 (20), 10 juillet 2010. Résumé accessible en ligne.
[6] Librement adapté des vidéos de Kenneth White (voir ci-dessous) et de la page de présentation de son site [Page web].
[7] Kenneth White (1994). Considérations premières. À propos de culture. In Cahier de l'Atelier du héron (1). Bruxelles : L’atelier du Héron
[8] Pour l’intelligence poétique (noûs poïtikos), voir Kenneth White. J’ai essayé sur ce site d’effleurer le sujet, bien incomplètement [le 4 juillet 2010]. Voir cette vidéo, qui dure dix minutes et qui condense énormément des propos de Kenneth White :
[9] Cette forme ou ce motif culturel central, issue de l’expérience et de la traduction par une intelligence poétique de ce rapport premier avec la terre et la vie (s.l.), c’est ce à quoi « le savant dans son cabinet aussi bien que le paysan dans son champ » se réfèrent en commun (K.W.). C’est ce qui fait le centre d’une culture, c’est ce qui traduit le monde, c’est qui donne orientation, sens et motivations, c’est ce qui donne espace de respiration, ressourcement, champ des possibles, c’est ce qui permet aux énergies de se déployer au quotidien aussi bien que dans les moments extraordinaires.
[10] Kenneth White, L’esprit nomade. Paris : Grasset & Fasquelle, 1987. Le livre de Poche.
Ceux qui veulent écouter plus avant Kenneth White peuvent regarder ces deux vidéos (Une heure chacune environ) : «Le grand paysage de l’esprit», conférence à la Bibliothèque Municipale d’Angers, en mars 2011. Entretien par Philippe Lapousterle, à la Comédie du Livre 2009, Montpellier.
[11] Gary Snyder. Les Aristocrates sauvages (Paris : Wildproject editions, 2011) pour une brève introduction, Montagnes et rivières sans fin (Monaco : Editions du Rocher, 2002) pour un approfondissement poétique et, pour la même chose mais exprimées sous forme de prose et d’essais, La pratique sauvage (Monaco : Editions du Rocher, 1999).
[12] Pierre Rabhi. La part du colibri. L’espèce humaine face à son devenir. La Tour d'Aigues : éditions de l’Aube, 2009.
[13] http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Rabhi. Voir aussi son dernier ouvrage, Eloge du génie créateur de la société civile. Arles : Edition Actes Sud, 2011.
[14] «La raison face à elle-même», dde.crisis, 25 (20), 10 juillet 2010 ; «Par delà le bien et le mal», dde.crisis 26 (1), 10 septembre 2010. A défaut d’acheter les numéros de dde.crisis (pour soutenir l’auteur !), on trouvera les résumés qu’il a la grâce de mettre en libre accès, respectivement : le 18 juillet 2010 et le 10 septembre 2010.
[15] Voir Jean-François Mattéi pour la spécificité de la culture de l’Europe « classique » (Le procès de l’Europe. Grandeur et misère de la culture européenne. Paris : Presses universitaires de France, 2011).
Je suis moi-même géologue, et en tant que tel totalement héritier des ces sciences modernes et de cette éducation ; et bien que je me sois sorti de cette deuxième civilisation occidentale pour aller… ailleurs, je ne voudrai pas ne pas posséder ces beaux savoirs et belles pratiques que sont la géologie, la biologie, l’éthologie, l’écologie, la paléontologie, l’anthropologie, l’océanographie, l’astronomie, etc. ; elles font partie de moi. Simplement, je les place dans un cadre plus vaste encore, dans une relation autrement plus riche au monde, dans laquelle elles ont toutes leur place, mais en complémentarité, en connivence avec une pratique qui me met en contact avec… la vie, les présences, le Dehors, l’intrinsèquement irréductible [à notre raison seule])
La conceptualisation, l’abstraction, le recul critique, la médiation (logos) que cite Jean-François Mattéi dans son ouvrage comme spécialité de la culture européenne classique, doivent s’allier, se conjuguer, laisser de la place à une pratique, un accès à la vie, à l’instant (éros) qui nous permette de revenir à la terre, à ce proche et cet im-médiat (non médiat) duquel nous nous étions éloignés, bref, de faire monde (cosmos).
J’ai déjà effleuré ce sujet de la relation entre abstraction et retour à la vie, cette tension entre médiat (médiatisé par l’activité mentale) et im-médiat (accès à la vie brute, à l’instant libre) – qui n’est pas étranger à la pratique du poète, à toutes les formes de méditations, d’éveil, etc., dans cet article le 27 septembre 2011.
(Là où la civilisation européenne a peut-être le mieux réussit ce « retour au monde » après l’abstraction la plus haute, cette alliance entre médiat et immédiat, entre logos et éros, pour atteindre cet état au-delà, c’est dans sa musique. Mattéi cite bien sûr la musique à la plus haute place dans son ouvrage. Et voilà que je découvre à l’instant ces lignes, qui disent bien mieux ma pensée :
« Commençons par noter que la musique est, de tous les lieux, le plus haut des arts. Pourquoi ? Parce qu’elle unit, le nombre et l’âme, la proportion et l’émotion, le chiffre et l’extase, l’intelligible et le sensible. Elle est absolument précise, et pourtant ne raisonne point, ni n’édicte, ni ne légifère ; elle est absolument ferme et pourtant n’oblige point, ni ne limite, ni ne désigne ; elle est sans concepts, sans idées, sans thèse, sans morale, mais elle sonde les âmes au plus profond. Elle est absolument immatérielle pourtant elle vit dans notre sang. Elle bat aux tempes de notre intelligence, et c’est de volonté qu’elle nous gonfle le cœur. »
Magnifique extrait d’Etienne Barilier (Piano chinois. Duel autour d’un récital, Genève : Editions Zoé, 2011. Barilier parle de la musique pendant une heure dans cette émission d’Espace 2 (où a été lu cet extrait), et il vaut la peine de l’écouter en entier, ici, le 5 janvier 2012).
16] Sur la probable dynamique de surpuissance et d’autodestruction à l’œuvre dans le Système, voir le 13 juin 2011 et le 23 septembre 2011.
[17] Et pour être tout à fait clair : une culture haute au sens profond du terme, un monde, ce n’est pas un système. Systèmes et écosystèmes sont des représentations de choses, pas les choses elles-mêmes, qui sont bien plus riches, bien plus complexes.
Un monde, c’est une pratique et un vécu, une rencontre et un jeu entre plusieurs formes vivantes, une rencontre et un jeu entre plusieurs esprits vivants qui impliquent précisément le recours et l’usage d’autres pratiques que celle de la seule raison ; c’est un espace d’énergies qui se déploient et vivent. (C’est pour ça qu’un monde requiert une intelligence poétique ! C’est pour ça qu’elle est affaire de sages tous poètes, puisque la première qualité du poète est l’écoute (l’écoute des autres, humains et non-humains), l’interaction, puis l’expression de ceci dans une parole vivante !)
Un monde, ça se vit d’abord, et c’est donc irréductible à la seule représentation mentale, irréductible à la seule raison (Vielle critique de Wittgenstein : « il y a les chose qui s’énoncent, et il y a les choses qui se montrent »). Au contraire, un écosystème est une notion scientifique qui cherche à représenter un nombre fini et quantifiable de relations réduites à leurs aspects mesurables, pas le vécu ni le sentiment de vie, ni les motivations des vivants, ni ce qu’ils font avec leur liberté. Les représentations mentales explicites (notions, concepts, modèles théoriques) ont une utilité et un champ d’application définis. Hors de ceci, elles n’ont plus la même pertinence, elles deviennent même parfois handicapantes, aveuglantes, nous rendent sourds.
Et donc ce n’est pas un système (surtout avec son sens courant d’ingénierie sociale réduisant la chose à une représentation explicite, formalisable, modélisable, et maîtrisable par les seuls humains) qui doit remplacer « le » Système (MI>sensu