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1140…Cela écrit sur la No Fly Zone (on parle de toutes les spéculations du côté de “la communauté internationale”, c’est-à-dire le bloc américaniste-occidentaliste et principalement, bien entendu et comme on vient de le lire, au Pentagone), il se trouve que les Arabes ne l’entendent pas précisément de cette oreille et n’entendent nullement que “des étrangers” décident d’une No Fly Zone ou pas au-dessus de la Libye, ni ne l’assurent eux-mêmes, ou dans tous les cas en prennent la direction. La charge en revient aux pays arabes et aux voisins de la Libye, en l’espèce la Ligue Arabe, en coopération avec l’Union Africaine des pays africains, – ainsi en a décidé la Ligue Arabe, réunie au niveau des ministres au Caire, hier 2 mars 2011, selon le rapport qu’en fait AlJazeera.net.
«The Arab League has said it may impose a “no fly” zone on Libya in co-ordination with the African Union if fighting continues in Libya. Wednesday’s Arab League ministers' meeting in Cairo rejected any direct outside military intervention in Libya, where Muammar Gaddafi is trying to put down a revolt threatening his four decades in power. They reiterated their condemnation of his use of force. The Arab resolution called on the Libyan government to respond to the “legitimate demands of the Libyan people” and to stop bloodshed.»
Amar Moussa, le secrétaire général de la Ligue et aussi homme politique égyptien qui s’est imposé comme un candidat potentiel réformiste important pour les futures élections présidentielles post-Moubarak, a fortement condamné la Libye officielle (Kadhafi), dont la participation à la Ligue est pour l’instant suspendue. La Ligue Arabe a donc pris une attitude ferme en rejetant toute intervention “étrangère” (voyez les yeux qui se tournent vers le bloc américaniste-occidentaliste, cœur et inspirateur de la ci-devant “communauté internationale”). Ce faisant, elle transforme le débat sur l’hypothétique No Fly Zone en un débat fondamentalement politique où la décision est loin d’être acquise, mais ne revient de toutes les façons qu’aux pays arabes.
«Al Jazeera's Ayman Mohyeldin reporting from Egypt's capital, said: “At this stage, all the Arab League is going to consider or at least study with the member states of the African Union, the possibility of imposing a no-fly zone over Libya. That obviously depends on a great deal of military capabilities and more importantly what type of fly zone is going to be imposed.
»“When I was speaking to an official at the Arab League, he said that imposing a no-fly zone may be detrimental to air traffic over Libya and may not provide the kind of cover that is needed to protect the civilian population.”»
Cette prise de position de la Ligue Arabe est importante, et elle est politiquement importante, – essentiellement selon deux points de vue tout aussi importants l’un que l’autre. Cela nous éloigne, tout en l’englobant, de la problématique de la seule No Fly Zone.
• La question de la No Fly Zone en Libye est une question spécifiquement arabe. Il ne peut être question d’une intervention “étrangère”. Il s’agit d’une affirmation qui serait sans grande conséquence dans d’autres circonstances, – les circonstances d’“avant” où la Ligue n’avait guère de poids, – mais qui a tout son poids aujourd’hui. Elle ressort d’une tendance panarabe qui a effectivement, ici, une importance qu’elle n’aurait pas eu précédemment, avant les événements de la chaîne crisique lancée en décembre 2010. Les pays arabes veulent, dans ce cas, réaffirmer une unité politique de leurs directions, partout mises en cause par le grand mouvement dit “révolutionnaire” qui les secoue, et en tentant de réaffirmer la légitimité de leurs directions politiques. Cette réaffirmation se fait effectivement en s’appuyant sur une mise en cause de l’“étranger” (l’Ouest), qui se nourrit, tout aussi effectivement, aux tendances panarabes. Cette évolution introduit subrepticement et indirectement une dimension supplémentaire en impliquant, dans la logique développée, une certaine responsabilité de l’“étranger” dans les événements en cours dans le monde arabe (avec la domination corruptrice et d’influence, notamment des USA, renforçant et tenant à bout de bras des régimes aujourd’hui partout contestés, sinon renversés).
• Mais cette position ferme, et unanime semble-t-il, est elle-même porteuse d’une contradiction sympathique. En effet, lorsqu’on écrit que “Les pays arabes veulent, dans ce cas, réaffirmer une unité politique de leurs directions, partout mises en cause par le grand mouvement dit ‘révolutionnaire’ qui les secoue”, on est conduit à observer que cette volonté se fait au prix d’un soutien sans aucune ambiguïté à un mouvement (la révolte anti-Kadhafi) qui est directement lié, qui fait partie du “grand mouvement dit ‘révolutionnaire’” qui secoue le monde arabe. Autrement dit, les directions politiques de pays comme Bahrein, Oman, le Yement, etc., pour les événements en cours qui les mettent en cause, ou comme l’Arabie pour ces directions qui sont menacées d’une telle mise en cause, acclament indirectement, par révolte libyenne interposée, les mouvements qui les contestent jusqu’à réclamer leur chute. On reconnaît aisément la patte de Moussa qui, lui, a tout intérêt à faire reconnaître sa légitimité à la révolte générale puisqu’il espère en être éventuellement le porte-parole en Egypte. Du coup, la Ligue Arabe, et c’est un grand événement après tout, apparaît comme un soutien du mouvement de révolte, ce qui donne effectivement sa légitimité à la révolte mais place dans une position encore plus délicate les directions politiques de ceux de ses membres, – et ils sont nombreux, – qui représentent l’ordre ancien en train d’être démoli.
• Signalons en complément, mais complément qui n’est pas sans importance, que cette position de la Ligue Arabe est renforcée par un soutien de poids, d’un pays musulman non arabe dont l’importance est aujourd’hui considérable et qui parle en tant que membre de l’OTAN. Il s’agit de la Turquie. Le Premier ministre Erdogan, en visite en Allemagne, a dit des mots définitifs (à l’agence Anatolia) à propos d’une intervention de l’OTAN en Libye, qui constitue une référence directe à ces “étrangers” dont la Ligue Arabe ne veut pas en Libye : «This would be absurd, NATO has no business being there. We are opposed to such a scenario. Such an eventuality is unthinkable.»
Depuis des décennies, depuis la mort de Nasser, la Ligue Arabe a un rôle de potiche ou d’“idiote utile”, c’est selon, au service de la puissance tutéllaire des pays arabes, les USA. Aujourd’hui, les choses ont complètement changé. Le potentiel explosif de la révolte en cours dans les pays arabes, l’impuissance et la position défensive de l’Ouest (des USA) face à ce mouvement, redonnent à la Ligue une position politique importante et quasiment autonome, dès lors qu’elle soutient in fine cette révolte en restaurant ainsi une sorte de légitimité pour elle-même qui lui donne une force nouvelle, – et une légitimité qui sera nécessairement de forme panarabe. La Ligue, toujours sous l’inspiration de Moussa, est sur la voie d’effectuer une bonne opération politique, qui l’est aussi pour le mouvement de révolte (et qui place nombre des membres de la Ligue dans une position difficile, – on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs). C’est une sorte de donnant-donnant, – tendre à donner une légitimation officelle à ce mouvement de révolte et, en retour, se trouve nimbée elle-même d’une légitimité nouvelle.
Mis en ligne le 3 mars 2011 à 06H38