Dollar sur la table et nerfs à vif

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Dollar sur la table et nerfs à vif

Un commentaire “posté” le 23 mars sur le site de la banque centrale chinoise ressemble à l’image du feu qui est mis à des poudres diverses et naturellement explosives. Le commentaire, signé par le directeur de la banque, Zhou Xiaochuan, propose de remplacer le dollar par une monnaie mondiale de réserve. Depuis, on en parle dans les dîners en ville et dans les chaumières isolées.

• Le site WSWS.org fait un commentaire sur cette affaire, le 24 mars 2009. Outre les appréciations sur les considérations techniques de la proposition et sur les aspects économiques et politiques de la position chinoise, on notera ceci, qui nous paraît politiquement important:

«Zhou's statement comes amid escalating worldwide tensions over economic policy in the run-up to the G20 meeting next month. Last week, Reuters reported that a source within the Russian government told it that Russia, China, Brazil, and India have secretly discussed moving from the dollar reserve.

»“They [China] did not formally put forward their position for the G20 summit [of financial ministers earlier this month] but unofficially they had distributed their paper regarding the same ideas [the need for the new currency],” the source told Reuters. The more-developed nations were “allergic” to the idea, said the source.»

• Les Américains ont aussitôt réagi, que ce soit Obama lui-même lors d’une conférence de presse sur la situation économique, que ce soit Geithner et Bernanke lors d’une audition au Congrès. (Selon une dépêche RAW Story du 24 mars 2009.) C’est un non catégorique. Les paroles d’Obama sont “extraordinairement” surréalistes: le dollar est “extraordinairement solide” (pour l’instant), les perspectives de l’économie mondiale sont “très, très fortes” et il y a une “confiance grandissante” dans le monde dans la capacité de l’Amérique d’assurer un leadership global, notamment pour sortir de la crise. On ne peut mieux réciter sa leçon en quelques mots, sans vraiment porter d'intérêt à la réalité, et justifier son credo, – soit “Yes, we can”, soit “Change”, au choix. Tout cela laisse sans voix, ce qui permet d’écouter le Président.

«“... The dollar is extraordinarily strong right now,” said the president during his prime-time press conference. "The reason the dollar is strong right now is because investors consider the United States the strongest economy in the world, with the most stable political system in the world. So, you don't have to take my word for it.

»"I think there is a great deal of confidence that ultimately, although we are going through a rough patch, that the prospects for a world economy are very, very strong." Obama also linked his administration's popularity around the world to a growing “confidence” in America's “ability to assert global leadership.”

»Off mic a reporter asked, “What about a global currency?’

»“No, I don't support a global currency,” said Obama flatly.»

• Cela ne nous empêchera pas de noter que les réponses d’Obama sont sérieuses, voire très sèches, ce qui signifie que la matière est sérieuse et que la question se pose. In illo tempore, BHO aurait bien ri de toute sa denture éblouissante et sa réponse eût été semblable à celle qu’il énonça lorsqu’on lui demanda s’il était socialiste, – quelque chose comme: “Franchement, je pense que la question n’est pas sérieuse…”.

• … Quant aux petits soldats (même dépêche), même unanimité très rapide, sans commentaire, pour un rejet sans condition. La forme de la question et la rapidité de la réponse, n’appelant ni commentaire ni appréciation justement, nous a rappelés, de manière un peu malicieuse après tout, le caractère stéréotypé et très directif des questions posées pendant les audience du temps du maccarthysme (“êtes-vous ou avez-vous été membre du parti communiste?”). On s’attendrait presque à voir Geithner, Bernanke & compagnie se lever après avoir dit qu’il n’est pas question de remplacer le dollar, poser la main gauche sur la Bible, lever la main droite, et dire … C’est bien cela, vous y êtes, – “Je le jure!”. Nous sommes bien dans le territoire du sacré de la religion américaniste.

«At a congressional hearing on the financial crisis Tuesday, a US lawmaker asked the two financial chiefs: “Would you categorically renounce the United States moving away from the dollar and going to a global currency as suggested by China?”

»Geithner immediately responded, “I would.”

»“And the chair?” the lawmaker asked, after turning to Fed chairman Bernanke.

»“I would also,” Bernanke said.»

• A noter, dans la même dépêche, une réaction anglo-saxonne conforme du Premier ministre australien, trouvant tous les charmes du monde à l’empire du dollar. On y ajoutera une réaction d’expert australien allant évidemment dans le même sens et affirmant que la situation exceptionnelle du monde sous l’empire du dollar n’est pas prête de changer, et que toute idée suggérant une autre situation relève du rêve, – de l’American Dream, si vous voulez.

«Australian Prime Minister Kevin Rudd joined the growing debate, offering his country's full support to the US dollar and insisted the topic of a new currency is not on the G20's agenda for this year's meeting. “'The dollar's position on that score remains unchallenged,” he said in a report by the Sydney Morning Herald. “It's not on my agenda papers and if there's a late Chinese edition I'll review it with respectful interest.”

»“‘To me it is a case of dream on – it isn't going to happen,’ said Mervyn Lewis, a professor of finance at the University of South Australia,” the paper reported. “Professor Lewis said the comments reflected China's frustration that by buying US government bonds, it was having to pay for the US attempt to spend its way out of the financial crisis.”»

Les dirigeants américanistes, – cette fois, Obama parmi eux, jusqu’au cou, sans distinction de rien, ni d’originalité ni d’“africanité américaniste”, – réagissent au quart de tour devant une idée qu’ils appréhendent avec terreur depuis plusieurs mois. Jusqu’ici, rien de surprenant, et l’orthodoxie américaniste est aussi solide qu’un mur. On a même entendu Geithner, à la même audition et alors qu’on lui demandait de commenter les commentaires du Premier ministre australien, – commentaires bienveillants de commentaires bienveillants, un sport couramment pratiqué par nos élites anxieuses de montrer quelque liberté d’esprit, – se précipiter pour faire l’éloge du gouvernement de ce même PM et regretter, en un sens, qu’il n’ait pas été président des USA, car ainsi la crise eût été évitée… Encore quelqu’un d’“incroyable” et d’“extraordinaire” dans cette affaire, qui fait s’interroger de savoir comment, malgré tout cela, nous en sommes arrivés à ce bordel général et postmoderne: «“I think the Prime Minister is incredibly, is A-plus on these issues,” Geithner said during the congressional finance hearing on Thursday. “If we did what he advises, we'll all be in a better place.”»

Cela écrit, trois notes rapides pour compléter ces observations.

• Les réactions américanistes, par leur caractère abrupte et leur caractère pompeux, montrent sans le moindre doute que le dollar est leur principale préoccupation, c’est-à-dire leur principale crainte dans ce qu’ils perçoivent comme la mise en cause du système. Les réactions mesurent a contrario leur sensibilité et, d’une certaine façon, la fragilité de la cause qu’ils défendent, – le maintien absolu du statu quo qui a mené à la catastrophe en cours.

• Il est intéressant d’observer que la Chine n’est pas seule dans cette contestation désormais officielle du rôle du dollar. Cette contestation n’est même pas potentiellement limitée à l’axe Moscou-Pékin puisqu’elle pourrait s’élargir et constituer un bloc puissant si l’on y ajoute le Brésil et l’Inde. On mesure le poids que représentent ces quatre pays ensemble sur cette question, même si par ailleurs bien des choses les séparent. L’intérêt de ces pays pour l’idée de la mise en cause de l’hégémonie du dollar est un facteur important autant à cause de leur poids que de leur présence commune au G20.

• En effet, tout cela prend encore plus de poids parce que tout cela implique de facto le cadre d’une structure institutionnalisée. Les quatre pays cités ci-dessus font partie du G20, qui se réunit le 2 avril à Londres, et qui est aujourd’hui la seule structure sérieuse où l’on peut concevoir de débattre de la crise générale. Cette situation explique l’écho de la position chinoise. La question du dollar n’est pas “à l’agenda” du G20 observe avec une rapidité digne d’éloges le PM australien; peut-être, mais tout le monde y pensera, un document circulera, on en parlera à demi-mot, dans les couloirs ou, éventuellement, en séance. Dans un système bâti sur le conformisme et le formalisme, cette situation du G20, de ses membres, et du sentiment de certains de ses membres vis-à-vis du dollar est un point capital. La meilleure défense, souvent la seule défense efficace du système contre un problème qui l’affecte, c’est d’en ignorer l’existence par l'exclusion de l'énoncé, voire de la mention de ce problème des canaux officiels. Le G20 interdit cela.

En un sens qu’on distingue tout aussi rapidement, l’extrême rapidité des réactions pour dire que l’hégémonie du dollar ne peut être mise en cause et que le problème, ou le non-problème du dollar n’est pas au programme du G20, nous montre que l’hégémonie du dollar est mise en cause et que le non-problème du dollar, qui est effectivement un problème, est au programme du G20. Cette mise à jour est un progrès considérable.

 

Mis en ligne le 25 mars 2009 à 11H32