Dommage, Hillary n'est pas à la Maison-Blanche

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Il est assez possible que les Britanniques n’aiment pas vraiment Obama. Il est probable qu’ils ne l’aiment pas parce qu’ils ne savent pas par quel bout le prendre, parce qu’ils ignorent de quel bois il se chauffe, parce qu’ils se demandent si c’est du lard ou du cochon… Du coup, ils n’ont plus l’impression de manipuler l’Amérique à leur guise, comme ils se l’imaginent faire depuis qu’ils ont établi cette ligne politique d’alignement sur les USA, depuis 1941-1944, avec renouvellement d’intensité après la crise de Suez et l’éviction d’Antony Eden. Divers articles dans la presse londonienne saluent la rencontre du secrétaire au Foreign Affairs David Miliband venu à Washington saluer Hillary Clinton, sa collègue du département d’Etat. Du coup, on tresse des couronnes à Hillary plutôt qu'à Obama.

Il y a deux articles très courts, on en ferait presque des “billets”, de Leonard Doyle dans The Independent ce matin, pour commenter cette rencontre. A la fois dithyrambiques, dans le genre sentimentalo-churchillien (Churchill est cité – «…the intensely close, political, diplomatic and military links between the US and Britain. Forged by Winston Churchill in the depths of the Second World War…»), pour saluer les éternelles et increvables spécial relationships; à la fois étrangement inquiets, pour toutes sortes de raisons derrière lesquelles pointe l’incertitude britannique à propos d’Obama. Quelques extraits de l’inquiétude, en vrac:

«The closeness of relations between Mrs Clinton and members of New Labour go back to at least April 1996 when Tony Blair was in opposition. The then first lady met Mr Blair and his then advisor, Mr Miliband, and she became a driving force in the relationship that followed. […]

»For all the relief that Mr Miliband was first in line to meet and congratulate Mrs Clinton, eyebrows have been raised in the foreign policy establishment that the Secretary of State's first foreign trip is to China, Japan and South Korea, a break with the tradition of taking soundings first with America's allies in Europe.»

[…]

» But was there a hint of regret that Hillary wasn't in the White House? As far as the Foreign Office is concerned, Barack Obama, is an inspiring but essentially blank sheet of paper. A pre-election confidential assessment by Britain's Ambassador Sir Nigel Sheinwald described deep anxieties: Mr Obama was a fence sitter given to “assiduously balancing pros and cons”, Sir Nigel wrote, and he “does betray a highly educated and upper middle-class mindset”.

»But it was Mr Obama's desire for face-to-face talks with the mullahs in Tehran that really worried London. Back then, Mrs Clinton declared that she would “annihilate” Iran if it so much as lifted a nuclear finger towards Israel. For her new role in the Obama era she will have to whisper such views in Mr Miliband's ear in future.»

Le Guardian rapporte également, ce matin également, la chaleur de la rencontre entre les deux ministres, particulièrement de la part d’Hillary Clinton. Il y a cette étrange précision sur la chaleur d’Hillary Clinton, l’amenant à ce que le Guardian considère comme une gaffe diplomatique, qui montre, selon le journal, son “inexpérience” en la matière. Il n’est pas sûr qu’Hillary apprécie. (N.B.: elle n’aurait pas dû dire “la relation spéciale”, laissant entendre qu’il n’y en a de telle qu’entre USA et UK, mais “une relation spéciale”, impliquant qu’il y a de la place pour d’autres).

«It is a Washington ritual: when a British leader visits, he or she feels obliged to mention “the special Relationship”. But in reality there is no such thing. Britain is no more important to the US than Germany or France. Americans, anxious to avoid upsetting their other allies, steer away from referring to “the special Relationship” and speak instead of “a special relationship”. At least until yesterday, when Hillary Clinton showed her inexperience and, in her final remarks, uttered the words “the special relationship” at a press event with David Miliband.»

Donc, les Britanniques sont en apparence très contents. Miliband a été le premier à faire la bise à Hillary. Nous sommes dans les domaines essentiels des relations internationales, de l’apparence et des bises entre amis. Mais il se dit également, pour poursuivre dans le même domaine de l’essentiel, que les Britanniques voulaient surtout une rencontre “en exclusivité” Brown-Obama, très vite après l’élection; qu’ils ne l’ont pas obtenue et qu’ils ont eu Hillary comme lot de consolation; que Brown devrait donc attendre jusqu’au 2 avril, lors du sommet du G-20 de Londres, pour rencontrer Obama; et, bien sûr, plus d’exclusivité puisque les autres empêcheurs de séduire en rond (Sarko, Berlusconi, Merkel, Medvedev, etc.) seront là. En général, Obama fait répondre qu’il est très occupé par diverses affaires intérieures, on devine lesquelles.

Le malaise des Britanniques ne vient pas seulement d’une simple question de préséance, ni même de sujets spécifiques de politique où ils croiraient sentir des différences s’affirmer entre USA et UK. Il y a aussi une très forte crainte de l’isolement, accompagnant la baisse du prestige britannique résultant de la crise financière et de l’effondrement de la City. Les Britanniques font une sorte d’appel silencieux à la solidarité anglo-saxonne pour recevoir du renfort, sans savoir si Obama, le président africain américain, entend précisément ce langage. Les Britanniques parlent, comme si c’était ironiquement mais d’une ironie bien involontaire, d’une relance, d’un réajustement des special relationships, comme si la période Bush-Blair avec été l’occasion d’un certain froid.

En réalité, la conduite de Gordon Brown correspond assez au tempérament de l’homme, plutôt “isolationniste britannique” pour les alliances politiques, qui repousse évidemment cette idée qui n'est pas politically correct et cherche des alignements qui varient selon les circonstances. Avec la crise financière, Brown s’est rapproché de l’Europe, particulièrement de la France, mais toujours à la manière britannique qui est d’avoir deux ou trois idées derrière la tête en plus d’au moins deux fers au feu. Désormais, Brown cherche un “rapprochement” avec les USA, et il le fait d’une manière un peu contrainte mais aussi excessive, dont il reste à voir si elle sera payante. La préoccupation de ces quinze derniers jours, dans la presse britannique, pour savoir si Brown serait le premier à serrer la main d’Obama a quelque chose d’un peu puéril qui discrédite beaucoup cette politique.

Brown est un homme préoccupé surtout d’économie, avec l’habituel idéalisme du domaine; un libre-échangiste “fabien” préoccupé de cet universalisme économique dont le nom est, aujourd’hui, “globalisation”. Cela, l’état général de la chose, plus que le reste de ses manoeuvres diverses, explique son malaise actuel, et son inquiétude devant une Amérique en bien mauvais état dont il distingue parfois des tentations fort hérétiques vis-à-vis de la doctrine libre-échangiste qu’il chérit tant.


Mis en ligne le 4 février 2009 à 15H20