Drôle de primaires, drôle de campagne…

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La quatrième place (13% des voix) de Ron Paul en Caroline du Sud paraîtrait une incontestable défaite pour lui, alors que certains sondages lui prédisaient une troisième place, avec jusqu’à 21%. Les sondages se sont avérés extrêmement volatiles, avec une très forte proportion d’indécis (40%), qui ont été surtout séduits par la démagogie de bulldozer de Gingrich, renforcé par le départ de Perry qui a appelé à voter pour lui… (La plus forte déception à cet égard, pour Ron Paul, c’est que Tea Party, très implanté en Caroline du Sud, s’est rangé du côté de Gingrich à partir d’arguments de circonstance, de la part d’un candidat connu pour ses positions bellicistes qui impliquent un centre puissant, contre lequel Tea Party a depuis l’origine basé sa justification et son action.)

Mais, justement, cette victoire écrasante de Gingrich introduit un deuxième élément, peut-être bien plus important que le résultat décevant de Ron Paul. Gingrich est un candidat “destructeur”, dont le but principal est de détruire la candidature de Romney. Ses chances de devenir le candidat républicain sont minimes, ne serait-ce que parce qu’il est en défaut de signatures de soutien dans deux États importants, et qu’il lui est définitivement interdit, par décision sans appel, d’y participer. (La même chose pour Santorum, lui dans quatre États.) Du coup, sa victoire importante a pour conséquence, du point de vue de l’establishment, de plonger les primaires dans le chaos en imposant un brusque coup de frein à la candidature de Romney. Pour l’establishment, le candidat “désigné”, le seul possible, c’est Romney, et Gingrich, avec son inconstance irresponsable, son extrémisme démagogique, est presque aussi détestable que Ron Paul, mais pour d’autres raisons que Ron Paul.

Un partisan inconditionnel de Ron Paul donne cet argumentaire pour juger le résultat de Caroline du Sud, où Ron Paul est passé de 3% en 2008 à 13% de 2012, plutôt satisfaisant. Il constate la fragmentation du parti républicain, essentiellement du point de vue de l’establishment qui cherche à construire un bloc homogène et inexpugnable autour d’un candidat, – Romney jusqu’ici, en l’occurrence. (Le 21 janvier 2012, sur DailyPaul.com.)

«Gingrich beating Romney in South Carolina is actually a good thing for Ron Paul. The delegates are getting all split up and it's going to be very difficult for Romney, or anyone to get enough, which could result in a brokered convention. Santorum will be dropping out soon as he has no money or organization to continue much further and isn't even on the ballot in 4 states. Gingrich, who is also missing from the ballot in 2 states, is going to split votes with Romney and take delegates away from him as Paul continues to pick them up little by little.

»This race is a marathon, not a sprint. The campaign has a plan. They have money, organization, and grassroots support in many upcoming states like Nevada, Missouri, Maine, Minnesota, Louisiana, Wyoming, Montana, South Dakota, etc. They never expected to do all that well in South Carolina or Florida, so this doesn't hurt his campaign much at all. He will be in the race all the way to the convention and possibly steal the nomination.»

La situation de la campagne elle-même présente des particularités qui sortent de l’ordinaire. Jamais une campagne n’a été aussi “réglée“ d’avance par l’establishment pour le candidat prétendant (républicain dans ce cas), avec Romney comme candidat, et jamais ce candidat parti en très forte position dans les sondages et les soutiens d’argent ne s’est montré aussi inconsistant ; jamais une campagne aussi vite réduite à quatre candidats, ne s’est trouvée aussi ouverte, aussi divisée entre ces quatre candidats, dont au moins deux d’entre eux sont plus ou moins frappés d’“interdit” par l’establishment. Steve Kornacki, de Salon.com, décrit (le 22 janvier 2012) ce chaos républicain et termine son analyse sur quatre scénarios, dont deux classiques et peut-être, très vite, apparaissant improbables (victoire complète de Romney après rétablissement, victoire complète de Gingrich) ; deux autres extrêmement originaux et finalement pas du tout improbables, où Kornacki donne à Ron Paul une position d’outsider loin d’être négligeable…

«The long slog: Or maybe the Florida result won’t prove much at all. The scenario is that South Carolina firmly establishes the GOP contest as a two-man race, with the Tea Party wing of the party largely uniting around Gingrich and everyone else siding with Romney. The two men would then trade wins and losses through a drawn-out, virtually momentum-less primary season – one reminiscent of Hillary/Obama 2008, Hart/Mondale 1984 and Reagan/Ford 1976. The wild card in this would be Ron Paul, whose strategy of targeting small and midsize February caucus states and gobbling up their delegates could make him much more relevant to the race than he’s been.

»The chaos theory: This is the really fun one, and the least likely. But after Saturday night, it at least warrants a mention. The basics: What if Romney suffers such a bad loss in Florida that his campaign melts down completely and elite Republicans lose confidence in his ability to stop Gingrich? If they really are committed to stopping the former speaker, these elites would then be in need of a Plan B, leading to the “white knight” scenario – a new candidate drafted into the race who could qualify for the late big-state primaries and to prevent Gingrich from racking up the delegates he’d need for a first ballot nomination. There are many reasons to sniff at this possibility, not the least of which is that it’s unclear if the GOP has any candidate on the sidelines who’d be capable of this. But if Mitt can’t get the job done in Florida, expect to hear it mentioned a lot.»

Cette primaire de Caroline du Sud contribue à donner le ton d’une campagne républicaine complètement exceptionnelle, où la plupart des candidats semblent mener des combats qui portent moins sur la nomination que sur des avatars de leur situation personnelle, conséquence d’une situation générale incontrôlée. Romney, qui est le seul acceptable par l’establishment et qui est super-favori, lutte contre un étrange processus de déconstruction de lui-même ; Gingrich n’a qu’une seule idée, qui est de “détruire” Romney, selon les consignes de son principal bailleur de fond ; Santorum était prêt à abandonner dès les premiers résultats parce qu’il n’a aucune organisation électorale, mais il se juge empêché de le faire à chaque résultat acceptable, contribuant à l’éclatement de l’électorat ; Ron Paul lutte pour exister médiatiquement, mais juge que son relatif anonymat et toute l’attention portée à la bataille Romney-Gingrich lui permet de répandre ses idées et de renforcer sa position sur le long terme. (Pour Paul, c’est une théorie de “la tortue contre les lièvres”, avec une stratégie à mesure, très discrète mais en théorie très efficace du point de vue du nombre de délégués, – cela, montrant combien Paul est un constitutionnaliste, connaissant le fonctionnement du système de l’américanisme.)

Ce qui domine tout cela, c’est l’inquiétude de l’establishment qui, à certains moments, se transforme en panique. Qu’on puise envisager de faire intervenir out of the blue un candidat “surprise” si Romney n’arrive pas à réaffirmer sa position en Floride, alors qu'aucune personnalité n'existe pour tenir ce rôle de “sauveur”, – voilà qui mesure cet état d’esprit. C’est finalement le principal facteur de déstabilisation potentielle de la campagne républicaine. Bien plus encore que les nominations elles-mêmes et les caractères des candidats, cette campagne républicaine présente une instabilité sans précédent, qui pourrait conduire à des évènements inédits dans le processus de l’élection présidentielle. La cause en est que l’establishment républicain attendait une maîtrise et un contrôle de la situation à mesure de ce qu’il assura au Congrès, durant toute la présidence Obama, même lorsqu’il était largement minoritaire (jusqu’en novembre 2010) ; il n’arrive à retrouver ni maîtrise, ni contrôle, montrant par là que cette domination était le produit non de sa supériorité politicienne et idéologique mais de la situation générale de crise du pouvoir washingtonien, et que dans ce processus électoral c’est plutôt cette crise du pouvoir qui s’exprime partout. Il est assuré que l’élection US de 2012 ne sera semblable à aucune autre.


Mis en ligne le 23 janvier 2012 à 04H46