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151924 décembre 2009 — La démonstration fut impeccable, malheureusement… Le monde organisé, ses Etats, ses organisations, ses alliances, ses bons sentiments affichés et ses intérêts divers, ont démontré leur incapacité pathologique à se rassembler pour lutter contre quelque chose qui est déterminé comme un colossal danger commun, comme une crise eschatologique bien sûr sans précédent. Ce ne sont pas les “climatosceptiques” qui l’ont emporté avec l’échec de Copenhague, mais le système qui a démontré sa paralysie et son impuissance complètes. L’influence de la polémique climategate a été plus que minime, autant que les autres courants de contestation qui l’accompagnent. Pour nous, ce n’est vraiment qu’un débat accessoire par rapport à la crise environnementale dont la crise climatique n’est qu’une partie.
Personne au sein de la conférence n’a nié une seconde qu’il fallait faire très vite, des choses très importantes; rien dans ce sens n’a été fait qui ait quelque chose de l’importance qu’on réclamait... La satisfaction des “climatosceptiques” est de l’ordre de la polémique sur le sexe des anges, la paralysie et l’impuissance du système sont de l’ordre de la crise générale de la civilisation. Il y a une différence de substance.
Les explications politiques de l’échec de Copenhague n’ont pas manqué. Elles sont du type classique et n’étonneront pas. Certaines valent pourtant d’être mentionnées pour qu’on mesure bien la puissance des antagonismes en jeu.
• Tout en axant sa critique sur le comportement des USA, WSWS.org fait, le 21 décembre 2009 une analyse générale qui a sans doute un certain sens, mais qui est également marqué par l’aspect dogmatique des conceptions trotskistes dans le sens où l’essentiel de l’explication repose sur l’antagonisme idéologique qui n'a guère évolué depuis le XXème siècle. «In the final analysis, it was the antagonistic interests of the major economic powers—in particular, the US, China, and the European Union—that prevented any agreement. The two weeks of disputes in Copenhagen had more to do with strategic interests, commercial conflicts and competitive rivalries than with how to rescue the world’s climate and environment. […] In fact, the geostrategic questions behind the discussions in the Danish capital are the same as those that resulted in the wars in Iraq and Afghanistan and numerous other international conflicts.»
• George Monbiot, dont on connaît les positions très affirmées dans le cadre de la crise environnementale et climatique, détaille le 21 décembre 2009, dans le Guardian, les conditions de l’échec de la négociation d’une façon générale, les conséquences sur la situation mondiale, l’aggravation de cette situation à attendre, etc. Il a également une appréciation politique précise, qui met le président US en accusation.
«The immediate reason for the failure of the talks can be summarised in two words: Barack Obama. The man elected to put aside childish things proved to be as susceptible to immediate self-interest as any other politician. Just as George Bush did in the approach to the Iraq war, Obama went behind the backs of the UN and most of its member states and assembled a coalition of the willing to strike a deal that outraged the rest of the world. This was then presented to poorer nations without negotiation: either they signed it or they lost the adaptation funds required to help them survive the first few decades of climate breakdown.
»The British and US governments have blamed the Chinese government for the failure of the talks. It's true that the Chinese worked hard to mess them up, but Obama also put Beijing in an impossible position. He demanded concessions while offering nothing. He must have known the importance of not losing face in Chinese politics: his unilateral diplomacy amounted to a demand for self-abasement. My guess is that this was a calculated manoeuvre guaranteed to produce instransigence, whereupon China could be blamed for the outcome the US wanted.
»Why would he do this? You have only to see the relief in Democratic circles to get your answer. Pushing a strong climate programme through the Senate, many of whose members are wholly-owned subsidiaries of the energy industry, would have been the political battle of his life. Yet again, the absence of effective campaign finance reform in the US makes global progress almost impossible.»
• Une autre analyse par un autre environnementaliste célèbre, Mark Lynas, le 22 décembre 2009 dans le Guardian, développe la thèse exactement contraire. Il constate que Monbiot est tombé dans le piège d’une interprétation anti-américaniste et affirme péremptoirement que les Chinois sont absolument responsables de l’échec, qu’ils ont monté un véritable complot, qu’ils ont manipulé les uns et les autres…
«Copenhagen was a disaster. That much is agreed. But the truth about what actually happened is in danger of being lost amid the spin and inevitable mutual recriminations. The truth is this: China wrecked the talks, intentionally humiliated Barack Obama, and insisted on an awful “deal” so western leaders would walk away carrying the blame. How do I know this? Because I was in the room and saw it happen.»
Lynas estime démonter factuellement le complot chinois. Il était à Copenhague et a assisté, au sein d’une délégation, à une des réunions d’un nombre restreint de chefs d’Etat et de gouvernement qui aboutit au texte final. La thèse est argumentée, très précise, mais ressemble beaucoup à la thèse officielle des Anglo-Saxons. Cela nous laisse un goût un peu étrange en montrant une mécanique bien huilée où les Chinois maîtrisent tout tandis que tous les autres se laissent manœuvrer dans leur candeur innocente et leur naïveté vertueuse. De la part du “parti” anglo-saxons, généralement en déroute dans ses conceptions mais plus que jamais habile dans ses manœuvres tactiques, cela semble un peu trop beau pour être vrai. “Complot” pour “complot”, il pourrait aussi bien y en avoir un dans ce témoignage si précis d’une réunion dont tout le monde convient qu’elle fut marquée par le chaos.
• A partir de ce dernier point, une autre sorte de réaction est enregistrée, qu’on retrouve dans l’article de la Française et députée européenne Corine Lepage, du MoDEM, le 22 décembre 2009 dans Le Monde. Après avoir détaillé l’ampleur de l’échec et les conséquences des désastres environnementaux qui s’accumulent et s’accélèrent, elle fait une plaidoirie pour l’action locale, une sorte d’ode au localisme: «Il est désormais clair qu'il n'est plus possible de faire confiance aux politiques, devenus des hommes d'affaires et non des responsables politiques, pour reprendre l'expression du président brésilien Lula, pour résoudre les problèmes du monde. Le court terme et les visions géostratégiques l'emportent sur le fondamental : notre survie. […] Il faut donc changer de gouvernance et le gouverneur Schwarzenegger l'a clairement exprimé. Ce n'est pas dans les couloirs de Washington, a-t-il affirmé, mais dans les grands mouvements sociaux, citant le mouvement des femmes ou de la résistance à la guerre du Vietnam, que se font les grands changements. […] La société civile ne peut désormais plus compter que sur elle-même pour assurer son avenir, et c'est cette gouvernance qu'il convient d'organiser. Notre qualité de consommateur doit être utilisée pour choisir en fonction de nos objectifs généraux…»
• Lepage cite Schwarzenegger, le gouverner de Californie, qui, au milieu de ses particularités diverses et colorées, de sa position affirmée de républicain, est également, à l’image de son Etat de Californie, un partisan du “localisme” dans la bataille environnementale. Il exprimait cette position notamment dans un article du 14 décembre 2009 dans le Christian Science Monitor, qui prend paradoxalement des accents politiques sans doute involontaires mais bien marqués. Même s’il était écrit avant Copenhague, il résonne comme si Schwarzenegger considérait par avance Copenhague comme un échec…
«Throughout the course of history, all great movements have been born at the grassroots level. The American independence movement, the civil-rights movement, and the women's suffrage movement were all begun by people who did not wait for others. Then they gained momentum and speed, and swept throughout our nation. There is a lesson in this when discussing climate change. Even in the absence of national and international commitments, we must not ignore the tremendous movement that is already under way to solve our environmental and energy problems.»
Comme cerise (sans joie) sur le gâteau de cette deuxième sorte d’argument, on ajoutera la mention de l’article de Simon Jenkins sur le chaos des transport au Royaume-Uni à cause de la vague de froid, dont il tire des conclusions “localistes” après avoir décrit les conditions chaotiques à venir de la conjonction tragiquement antagoniste de la crise environnementaliste et d’un système qui favorise hystériquement la production, la consommation, le mouvement, les déplacements, etc. C’est dans le
@PAYANT En plus de ces divers commentaires, nous mettons l’accent sur les échos qui nous sont parvenus de l’analyse et des conclusions des services de la Commission européenne sur Copenhague. A côté de tous les travers et défauts qu’on lui trouve, et nous ne sommes pas les derniers à les dénoncer, il faut admettre que la Commission est en pointe dans la politique de mise en place d’un cadre global contre la crise environnementaliste. Elle place cette lutte dans le cadre de sa conception sur la “global governance”, cette ambition colossale des forces supranationales de mettre en place un ordre du monde et ce monstre qui menace nos identités – on choisira sa définition selon l’approche qu’on en a; pratiquement, le but de la “global governance” est de contrôler tous les problèmes, ou disons plutôt toutes les crises qui s’accumulent dans notre civilisation. (Notre crise de civilisation est en train de passer d’une “structure crisique”, qui est cette situation statique qui fait de chaque événement une crise, à une “spirale crisique”, qui est cette situation dynamique qui entraîne chaque crise ainsi créée en une spirale où tous les effets des crises ainsi animées s’additionnent et se renforcent.)
La Commission était en force à Copenhague et elle a pu aussi bien observer les événements qu’y participer. Le document d’une quarantaine de pages qui en fait l’analyse conclut à ce qui est qualifié comme le plus grave échec de la “global governance”. Plus qu’y voir l’action de telle ou telle puissance, les intérêts s’affrontant et les complots plus ou moins bien huilés, et sans rejeter in fine que tout cela a existé, elle constate comme fait majeur que la conférence fut un chaos du début à la fin; un chaos bureaucratique, avec la prolifération des commissions, sous-commissions, les interventions, les réunions dans tous les sens, jusqu’à des épisodes tragi-commiques où tel document circulant entre les délégations comme la proposition de communiqué final ne parvenait pas à être identifié précisément par les uns et les autres: était-ce une proposition? Un “papier-martyr”? Un texte définitif ? Mais élaboré par qui, représentant quoi ? Etc. L’intervention d’Obama est considérée comme accessoire, comme celle des autres dirigeants. En un mot, le désordre, le chaos, que nul n’est parvenu à contrôler.
Une source observe : «Ce qui est étrange dans ce document, c’est qu’il semble marquer l’acte de décès de la “global governance”, mais en s’abstenant d’en tirer la moindre conséquence, en n’envisageant absolument rien qui réponde à la question: “Maintenant que faire?”» Il faut comprendre évidemment que la Commission est elle-même le chantre de cette “global governance”, qu’elle n’a pas changé un iota dans son attitude dogmatique en faveur de la globalisation. Pourtant, elle en dresse l’acte de décès concernant la crise qu’elle-même considère comme la plus grave qu’on puisse imaginer. Plus encore, elle n’offre aucune alternative alors qu’elle-même, la Commission, agit puissamment dans la lutte contre la crise environnementale – là aussi, il faut lui reconnaître cette vertu – et elle le fait par conséquent, dans la situation de chaos ambiant, d’une façon qui contredit la “global governance” puisqu’elle développe ainsi sa propre politique alors que les autres groupes et régions ont des politiques différentes. Cette attitude n’est pas la conséquence de la conférence de Copenhague et de l’acte de décès de la “global governance”, mais précède l’une et l’autre comme on le voit depuis plusieurs années. Ce qui pouvait être une action anticipative de ce qui pourrait devenir la politique générale d’une “global governance” devient ainsi de facto l’exemple d’un fractionnement des actions générales que certains (Schwarzenegger & compagnie) voudraient voir descendre jusqu’à l’échelon “localiste”.
Reprenons notre jugement déjà citée, venue de notre F&C du 15 décembre 2009: «Nous ne sommes pas dans une “période pré-révolutionnaire”, nous sommes au cœur de la Révolution, en pleine révolution, en cours, sous nos yeux, en général paresseux ou fermés – une révolution absolument déchaînée. C’est pourquoi nous disons que la période est “maistrienne”.»
Copenhague participe de cette situation. Les jugements politiques énoncés plus haut valent ce qu’ils valent. Nous accorderons fort peu de crédit, par réflexe, expérience, intuition et le reste, à celui qui donne comme par miracle (Lynas, aussi bien informé qu’un Civil Servant du Foreign Office) le beau rôle à ceux qui sont les premiers responsables devant l’Histoire de cette terrifiante crise eschatologique – dito, les Anglo-Saxons avec leur vanité infinie qui a pris le train de l’“idéal de puissance” véhiculé d’abord par l’Allemagne. Nous accorderons beaucoup de crédit à l’analyse de Monbiot qui plonge au cœur du problème central aujourd’hui: la plus grande puissance du monde réduite à une complète impuissante par un pouvoir complètement prisonnier de lui-même (BHO et le Sénat, dans ce cas). Mais tout cela n’est encore qu’accessoire.
L’analyse de la Commission, elle, est beaucoup plus intéressante. Elle vient d’un organisme absolument partisan du système dont il fait le diagnostic qu’il a montré à Copenhague sa totale impuissance dans le chaos généré par la conférence. Mesurez l’ironie: le chaos était beaucoup moins dans les rues de Copenhague (anarchistes, altermondialistes et le reste) qu’au cœur de la conférence, qu’on aurait cru confiée à des aéropages d’anarchistes et d’altermondialistes…
La même source qui nous confiait ces remarques à propos de l’analyse de la Commission s’interrogeait: que faire? «Faut-il envisager le principe de subsidiarité à l’échelle mondiale, assorti d’une sélection de nations responsables, c’est-à-dire envisager de confier les décisions globales à un concert réduit de grandes nations et organisations responsables acceptant elles-mêmes les lois de la majorité? Parce qu’il est impossible, Copenhague l’a montré, de traiter de telles crises avec 192 nations mises formellement sur un pied d’égalité…» On comprend la suggestion et on en voit aussitôt les limites et les écueils, que notre source concède aussitôt, bien entendu – rien de nouveau sous le soleil à cet égard. A part les glapissements automatiques sur les grands principes ainsi bafoués, on sait bien qu’un tel choix supposerait, pour qu’il fût applicable, une dose inusitée de raison, d’abnégation, d’esprit de sacrifice et d’esprit de compromis de la part des “tuteurs du monde” ainsi sélectionnés aussi bien que de ceux qui devraient se soumettre à leurs décisions. Où voyez-vous cela (raison, abnégation, esprit de sacrifice, esprit de compromis) dans le paysage actuel? Sinon, avec cette formule c'est également la porte ouverte aux tensions, à de nouvelles crises, etc. La chose n’est pas à proscrire absolument, elle est à mettre au sein d’une problématique caractérisée par une situation chaotique du monde et par la crise abyssale du pouvoir politique.
D’un grand intérêt également, peut-être plus grand encore, est la poussée “localiste” qu’on signale au travers des diverses réactions citées. D’abord, elle marque un extraordinaire désenchantement pour le pouvoir politique, pour nos structures démocratiques, pour l’organisation du monde, enfin pour le système lui-même – mais pourquoi ne pas aller jusqu’au bout et le clamer, cela? Patience, patience… La grande voix hollywoodienne de Schwarzenegger domine tout le tintamarre, celle de cet archi-macho-républicain transformé en ange salvateur de l’action populaire pour sauver la planète. Ricanons, certes, mais n’en perdons pas de vue l’intérêt de la chose. C’est la thèse de “la discorde chez l’ennemi”, dans laquelle on peut placer Schwarzy, parce que, lui, il tient à conserver son électorat – et puis, qui sait, peut-être y croit-il, parfois – rien n’est impossible dans ce bas-monde chaotique.
Car le mouvement du “localisme”, s’il faut se garder de le considérer comme une recette-miracle à une crise d’une telle dimension, présente certains avantages. D’abord, il peut avoir des effets économiques, sociaux, culturels et environnementaux qui ne sont pas si bêtes. Ensuite et principalement, il participe de facto à un mouvement de déstructuration du système lui-même absolument déstructurant en place – ce qui lui donne, par logique algébrique, la vertu structurante qui nous est chère. La chose est particulièrement intéressante aux USA, où le “localisme” renforce les structures des Etats de l’Union et tend à ébaucher une certaines force régalienne dans ces Etats tandis qu’il affaiblit l’autorité chancelante du monstre washingtonien, qui a autant de colonne vertébrale régalienne qu’un éclair au chocolat. Il y a longtemps déjà (en août 2003, à l’occasion de la grande canicule en Europe et de l’attention portée à la crise climatique) que nous avions signalé ce phénomène centrifuge des attitudes spécifiques des Etats de l’Union contre le centre washingtonien comme un facteur de dévolution. C’est un facteur de plus à prendre en considération pour le grand projet d’éclatement des USA, qui impliquerait la disparition d’une immense puissance devenue impuissante, d'une immense hypothèque qui constitue le principal facteur de la paralysie mondiale à laquelle nous assistons.
Qui plus est, ces mouvements poussent la psychologie vers ces espaces inconnues de la pensée où il se pourrait qu’un jour se fasse une dénonciation publique et tonitruante du système qui tient la civilisation emprisonnée et entretient les crises eschatologiques qui la frappent. Rien que cela, c’est bon à prendre. La catastrophique conférence de Copenhague aurait alors l’immense vertu de nous avoir montré un peu plus précisément que le roi est nu – que le pouvoir est impuissant parce qu’il est l’otage, le prisonnier et le complice du système.
Par conséquent, Copenhague est un grand événement. Il a marqué le point Oméga de la crise de la “global governance”, donc de la globalisation. Il a marqué la rencontre explosive entre la nécessité impérative de lutter contre la crise environnementaliste et la responsabilité totale de cette crise, à 120% si c’est possible, du système qui nous tient prisonnier et qui prétendrait lutter contre cette même crise qu’il engendre comme la combustion de nos énergies fossiles engendrent du CO2. Si le complot chinois avait au moins servi à cette démonstration en machinant Copenhague comme il aurait fait – puisqu’il y aurait complot chinois, messieurs les Anglo-Saxons, maîtres d’œuvre du système qui vous donne tant de motifs de fierté et qui détruit le monde – alors, vive les complots et vive les Chinois.
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