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954On a fait grand chambard autour des élections françaises, marquées par l’aspect quantitatif d’un “bouleversement” considérable. Ce qui est apparu en pleine lumière à cette occasion, c’est la vérité insupportable d’une situation que le Système tente désespérément de détourner, de tordre, de subvertir par la vulgate d’une narrative démocratique. De ce point de vue, le “bouleversement” qu’on enregistre à chaque élection, de plus en plus fortement, en France et bien entendu dans nombre d’autres pays de la même obédience, n’est par conséquent que l’expression rapide mais nécessairement puissante de la vérité de la situation, une illustration fulgurante mais “en passant” et nullement un tournant, encore moins un changement radical.
On garde bien entendu cette idée de “bouleversement” comme concept nécessaire pour tenter d’inscrire l’événement dans la narrative démocratique. Ce qui est “bouleversement” est exceptionnel et par définition momentané, et il l’est d’autant plus, momentané, qu’on va aussitôt tenter, c’est-à-dire réussir puisqu’aucune autre option-Système n’est “sur la table”, à y apporter un remède qui n’en sera évidemment et nécessairement pas un. Il s’agira de faire agir, c’est-à-dire d’animer vaguement, dans un rangement différent qui donne l’apparence d’une volonté de “changement”, les forces qui sont elles-mêmes, par leur soumission évidente et nécessaire au Système, les causes du “bouleversement” qu’elles sont alors invitées à maîtriser et à satisfaire. On ne sait ce qui est le plus frappant dans ce cercle vicieux : l’hermétisme du cercle ou le vice de la démarche... Par conséquent, l’expression de la vérité de la situation est exceptionnelle par définition et doit n’être que momentanée, aussitôt écartée par la remise au premier plan de la narrative démocratique dans le mode d’une incomparable logique invertie exprimée en un sophisme d’une pureté de cristal, – “j’ai bien entendu votre message réclamant le changement de la politique développée par ce gouvernement, je change de gouvernement pour appliquer la même politique”. Les conditions du Système avec l’emprisonnement qu’elles imposent étant bien connues pour l’inflexibilité d’application qui les définisse toutes entières, il n’est pas concevable de changer quoi que ce soit de l’action structurelle, – changer de politique, par exemple, – qui pourrait sembler répondre aux exigences de la vérité de la situation ; le scénario ne bouge pas d’un iota, le casting des figurants est modifié, éventuellement de fond en comble si le nouveau “Gentil Organisateur” est un peu roide et sait crisper le menton comme on bombe le torse au nom des “valeurs républicaines”.
Il ne faut se plaindre en aucune façon de cette piètre manœuvre d’une tromperie d’une morne évidence, parce qu’il y a là une certaine et paradoxale vérité dans l’inexistence inévitable de la réaction des directions-Système face à l’affirmation momentanée de la vérité de la situation. Il n’y a aucune démarche trompeuse de réforme, ni la moindre tentative de lancer des programmes qui sembleraient contester une partie ou l’autre du Système pour répondre à l’attente générale. Comme le président-poire, les figurants-Système sont du type clerc de notaires-de-province-montés-à-Paris, ils détestent le risque et limitent leur audace et leur éloquence au rappel en mode républicain et incantatoire de la vertu des vertus démocratiques. L’on sait bien que ces mesures (tentatives de réforme, etc.), qu’on pouvait encore imaginer il y a trois, quatre ou cinq décennies, quand le Système n’était pas encore assuré dans le totalitarisme de son entreprise, servaient surtout d’écrans de fumée pour nous dissimuler que rien de fondamental ne changeait. De ce point de vue de l’exposition de la netteté de la situation, la dissimulation est de plus en plus ardue et les déclarations, au soir des élections, des dirigeants-figurants-Système faisant allégeance à nouveau à la politique qui a conduit à leur désaveu est une façon rassurante par son éclat tonitruant de prendre date.
Dans ce cas qui est celui qui gouverne tous les pays totalement investis par le Système, qui marque toutes les élections à cet égard, que peut-on mettre dans un commentaire politique de l’événement électoral ? Le vide de la réaction après l’incursion momentanée dans la vérité de la situation (l’élection) répond au vide de l’action qui a mené à cette incursion. Rien ne sera changé parce que rien ne peut être changé, et l’éclatante évidence de ce constat suffit comme commentaire de l’événement en question. Aller plus loin en détaillant les résultats de l’incursion conduit à morceler ce commentaire et donc à lui faire perdre sa vigueur qui se trouve toute entière dans le constat du totalitarisme du processus. Pour autant, cela ne doit pas empêcher de chercher à aller plus haut.
Ce qu’exposent ces apartés électoraux, c’est un autre aspect de la vérité de la situation, que nous désignerions par l’expression “nihilisme démocratique”. L’une des grandes narrative de la modernité, sur laquelle le Système s’appuie fermement, est la confusion du “comment ?” et du “pourquoi ?”, qu’on retrouve également au niveau des sciences modernes. La démocratie est essentiellement un processus, un moyen, un “comment ?”, pour opérationnaliser un régime politique, avec ses principes, éventuellement en opérationnalisant ces principes (la souveraineté exprimée dans le vote populaire, par exemple, voire définie par lui dans les cas de haute vertu, – comme de Gaulle savait en imposer l’expérience). En soi, la démocratie ne peut être un régime, puisqu’elle ne peut être à la fois un “comment ?” et un “pourquoi ?” : on ne peut être opérationnalisation d’un principe et ce principe à la fois, car c’est soumettre la valeur absolue du second à la dégradation de la contingence du processus. Bien entendu, le Système, au point de surpuissance-autodestruction où il se trouve, n’est plus sensible à de telles nuances fondamentales qu’il a toujours détestées, – la seule chose fondamentale qu’il peut concevoir étant lui-même et rien d’autre. On a donc activé les substituts d’habillage, permettant de faire prendre les vessies pour des lanternes, c’est-à-dire le “comment ?” pour le “pourquoi ?” : ce sont les fameuses “valeurs” (démocratiques, cela va de soi), selon la différenciation que nous avons déjà tenté de démontrer.
... Sur cette question essentielle des “‘valeurs’ contre les principes”, on peut donc lire ceci, que nous écrivions le 14 décembre 2013 : «L’on comprend évidemment que cette question “principes versus ‘valeurs’” oppose des orientations conceptuelles par rapport au développement d’une civilisation, mais aussi, à notre sens, par rapport à toute pensée structurée qui s’équipe pour jeter un regard critique sur la situation du monde : les “principes” sont des normes structurelles (structurantes par essence), existant hors de telle ou telle civilisation, et qui doivent être nécessairement utilisées pour orienter structurellement le développement d’une civilisation, pour que celle-ci ait un sens (pour que cette civilisation ne soit pas littéralement insensée) ; les “valeurs” sont des pseudo-normes conjoncturelles (dont le caractère structurant est absolument aléatoire) déterminées par une civilisation donnée elle-même, pour justifier son propre développement et lui donner un pseudo-sens (faux-sens, contresens, simulacre de sens, etc.). Un principe, grâce à la puissance de son essence structurante, ne peut être infecté et subverti par une civilisation faussaire (une contre-civilisation, comme celle que nous vivons) et peut donc devenir un instrument de critique radicale de cette civilisation faussaire. Une “valeur”, qui n’a aucune essence structurante, peut être utilisée par une civilisation faussaire (une contre-civilisation) pour se faire prendre pour une vraie civilisation, et elle l'est même systématiquement lorsqu'il s'agit effectivement d'une contre-civilisation puisqu'elle est justement développée dans ce but.»
Arrivée au terme de cette confusion catastrophique entre “comment ?” et “pourquoi ?”, c’est-à-dire exposant un processus jugé vertueux (la démocratie) pour nous faire accroire qu’il accouchera de principes (les “valeurs” grimées en principes) tout aussi nécessairement vertueux, comme si la substance-faussaire pouvait créer l’essence ou le toc du plaqué-“bling-bling” se transmuter en or pur, les valses électorales sont désormais une mise en scène et en pleine lumière à la fois de cette confusion et à la fois de son caractère catastrophique. Sous la poussée de la vérité de la situation, on vote pour exposer un bouleversement témoignant du nihilisme complet de la politique censée être jugée, pour aussitôt proclamer que tout est bien entendu et que l’on continue donc cette politique. Le vote exprime l’absurdité de la confusion du “comment ?” avec le “pourquoi ?” et il est aussitôt proposé que le remède à cette confusion soit une confusion renouvelée. Le nihilisme démocratique, qui ne condamne pas dans ce cas la démocratie puisqu’elle n’est pas concernée (elle n’a jamais été chargée de nous donner du “pourquoi ?”), s’étale sans la moindre pudeur. Tout commentaire politique est absolument inutile.
... Tout est perdu, alors ? Au contraire, puisque chaque surgissement de la vérité de la situation à l’occasion d’un vote prend la forme d’un nouvel uppercut («le coup le plus sublime et le plus redoutable du noble art», selon sa définition) asséné à un adversaire de plus en plus groggy, dont la tactique devient effectivement nihiliste en ne sachant plus vers où il doit frapper et comment il doit se protéger. Aveuglé, tournant en rond comme si le cercle était un vice irréfragable, ce boxeur-là est perdu parce qu’il a contre lui un adversaire qu’il croyait être un sparring partner s’interdisant d’asséner des uppercuts, le règlement qu’il croyait avoir réécrit dans le sens d’interdire les uppercuts, l’arbitre qu’il croyait avoir corrompu dans le sens de sanctionner les uppercuts... Et s’il fait mine de mettre les pouces pour prendre quelque repos, il trébuchera sur le regard courroucé du Système qui lui enjoint de continuer et reculera, épouvanté, et revenant à son calvaire.
Seul commentaire autorisé, après tout : voilà ce qu’on nomme une évolution vers une conjoncture antiSystème.
Mis en ligne le 2 avril 2014 à 10H59
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