Le renseignement français et l’Ukraine

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Le renseignement français et l’Ukraine

Soyons honnêtes, c’est Sputnik-français qui a découvert la chose, perdue dans un compte-rendu kilométrique de l’audition du directeur du DRM (Direction du Renseignement Militaire), le général Christophe Gomart. (A noter que notre lecteur perceval78, qui repère tant de bonnes choses sur le réseau, avait repéré la chose également.) Le 10 avril 2015, Sputnik-français notait que le général Gomart avait déclaré devant les députés de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée Nationale française avoir constaté que «le renseignement américain avait fourni des données erronées selon lesquelles “les Russes allaient envahir l'Ukraine”.»

Le document référencé est le compte-rendu de l’audition par la commission du général Gomart, le 25 mars 2015. En fait et selon notre lecture succincte du document qui ne garantit pas que nous ayons tout vu, il n’y a pas un passage, comme le signale Sputnik-français, mais deux, qui concernent également l’Ukraine, et qui sont d’un égal intérêt dans le même sens. Le mot “Ukraine” est, selon le moteur de recherche, cité cinq fois dans un compte-rendu qui compte 8.132 mots (une heure et quart d’audition). La première fois est fort anodine, dans un passage où est également citée la Russie, la seule et unique fois de toute cette séance :

«Notre champ d’action est donc large : il couvre aussi bien l’appui direct aux opérations militaires en cours – en Irak, au Sahel, en Centrafrique –, l’anticipation de crises comme en Ukraine ou en Libye, et la veille stratégique permanente comprenant la surveillance des grandes puissances militaires potentiellement dangereuses, notamment la Chine ou la Russie.»; 

... Les deux autres principaux passage où l’on rencontre “Ukraine” sont d’un intérêt certains, mais tout aussi bien les deux, d’une façon qu’on qualifierait de “discrètement suggestive” par ajout à un propos qui ne concernait pas l’Ukraine explicitement. Peut-être bien, nous-mêmes faisant cette hypothèse pour cette “façon”, cela s’est-il passé comme si le général Gomart entendait faire entendre certaines choses, sans trop y toucher, “en passant”. Pas sûr qu’on l’ait entendu de cette oreille ou bien s’est-on bouché les oreilles tant ce qu’il disait aux parlementaires semblait s’éloigner jusqu’à la contradiction flagrante et scandaleuse de la narrative en cours dans nos salons ; en bref, personne n’a relevé ces deux passages tombés dans les oreilles d’autant de sourds. (Voyez la répartie fulgurante de Mr. Philippe Nauche après la longue explication du général Gomart, dans le premier passage cité.)

Nous transcrivons ces deux passages dans leur contexte immédiat, et nous en ajoutons un troisième où l’Ukraine est également citée, mais d’une façon si ambiguë qu’on pourrait croire à une sorte de lapsus linguae qui, si c’est le cas, en dirait également long. Pour autant, aucune réaction, soit d’entendre situer l’Ukraine dans le Levant, soit d’affirmer qu’il y a des combattants de Daech en Ukraine.

• Première intervention (en ce qui concerne les possibilités d'invasion de l’Ukraine par la Russie)...

M. Frédéric Lefebvre : «Quelles sont nos relations avec la base de l’OTAN de Norfolk ?

Général Christophe Gomart : «Nous avons d’excellentes relations avec le commandant suprême allié Transformation (SACT) et les notes de renseignement de la DRM alimentent d’ailleurs la réflexion de l’OTAN. En septembre prochain, le général Denis Mercier va succéder au général Jean-Paul Paloméros à ce poste.

»La vraie difficulté avec l’OTAN, c’est que le renseignement américain y est prépondérant, tandis que le renseignement français y est plus ou moins pris en compte – d’où l’importance pour nous d’alimenter suffisamment les “commanders” de l’OTAN en renseignements d’origine française. L’OTAN avait annoncé que les Russes allaient envahir l’Ukraine alors que, selon les renseignements de la DRM, rien ne venait étayer cette hypothèse – nous avions en effet constaté que les Russes n’avaient pas déployé de commandement ni de moyens logistiques, notamment d’hôpitaux de campagne, permettant d’envisager une invasion militaire et les unités de deuxième échelon n’avaient effectué aucun mouvement. La suite a montré que nous avions raison car, si des soldats russes ont effectivement été vus en Ukraine, il s’agissait plus d’une manœuvre destinée à faire pression sur le président ukrainien Porochenko que d’une tentative d’invasion.

M. Philippe Nauche, rapporteur pour avis : «Je vous remercie de nous avoir fait part de vos convictions au sujet du projet de loi relatif au renseignement et de votre service...»

• Seconde intervention (en ce qui concerne l'influence du renseignement US au sein de l'OTAN, dans ce cas pour l'évaluation de la situation en Ukrainel’Ukraine)...

Mme Édith Gueugneau : «La DRM fait partie intégrante du système de renseignement français coordonné par le Conseil national du renseignement (CNR), dont la mise en place en 2008 a permis un meilleur partage des savoir-faire et des informations dans le respect des périmètres de responsabilité de chacun. Quel bilan tirez-vous de la création du CNR ?... [...]

Général Christophe Gomart : «La coopération avec les pays d’Europe occidentale est bonne. La DRM participe à deux forums, dont l’un réunissant régulièrement les pays de l’OTAN autour de divers sujets. Je me souviens que lors de l’un de ces forums, on a cherché à nous forcer la main au sujet de l’Ukraine. Cela montre bien l’importance de disposer de renseignements concrets et factuels : de ce point de vue, la France dispose des moyens lui permettant d’apprécier les situations et de faire valoir son point de vue.»

• Signalons une autre citation de l’Ukraine assez ambiguë, – donc, une sorte de lapsus révélateur du général Gomart, soit pour citer l’Ukraine dans le Levant, soit pour signaler qu’il y a des combattants de Daech en Ukraine ?

«La situation actuelle [en Libye] inspire une grande inquiétude à mes homologues égyptien et tunisien : Daech commence en effet à s’implanter en Libye, combattant les affiliés à Al-Qaïda après avoir rétabli la division traditionnelle de la Libye en trois wilayas – la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan – et il serait de l’intérêt des Libyens de s’entendre contre ce troisième acteur. Il est en effet à craindre de voir des combattants de Daech venus du Levant – Irak et Ukraine – affluer en Libye afin de prendre possession de certains territoires.»

Et ceci, finalement, pourquoi ne serait-ce pas le plus intéressant : le désintérêt total, par inattention pure ou par inattention prudentissime (on a la narrative qu’on doit), que ces remarques amènent chez les parlementaires français, à qui le chef de la DMR chuchote discrètement que l’affaire ukrainienne est une charmante bouillie pour les chats arrangée par “nos amis (et alliés) américains” ... Comme dit l’autre : “Propagande ? Sans doute non, hélas ... Vision hallucinée, plutôt”. Mais hallucination tranquille alors, au contraire de celle des Russkofs-obsédés puisque si en retard sur nous, une de ces hallucinations pépères, type déterminisme-narrativiste pour retraités, qui n’empêche pas de partir en week-end, et à la fin de la semaine en plus (les deux coïncident, car le bloc BAO, la contre-civilisation américaniste-occidentaliste tient à sa cohérence et à sa cohésion). Bref, conseil au directeur de la DMR d’un de nos autres lecteurs du même Forum que perceval78 : « Il serait bon de ne pas aggraver cette vision hallucinée chez les dirigeants russes» en leur faisant croire qu’ils n’ont pas envahi l’Ukraine ; on ne sait jamais, avec leurs cosaques hallucinés qui galopent, ils pourraient retraiter à l’envers et se retrouver jusqu’à nos si paisibles contrées en confondant, hallucination ultime, Brest avec Brest-Litovsk.

 

Mis en ligne le 11 avril 2015 à 07H02