Enseignements du G20 comme s'il avait déjà eu lieu

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Enseignements du G20 comme s'il avait déjà eu lieu

31 mars 2009 — …Effectivement, pourquoi se gêner? Le Financial Times a le communiqué, il en publie les principaux termes et les commente le 30 mars 2009.

«Leaders of the world’s 20 leading and emerging economies meeting in London this week are set to reiterate a pledge to avoid protectionism and complete stalled global trade talks but offer little to those calling for more economic stimulus.

»A 24-point draft of the G20 meeting’s final communiqué, obtained by the Financial Times, does not contain specific plans for a fiscal stimulus package, which had been resisted by European countries. It claims that the fiscal expansion already in process will increase global output by more than 2 percentage points and create more than 20m jobs.

»Combined with increased resources for a reformed International Monetary Fund, the fiscal and banking support actions aim to enable the world economy to expand by the end of 2010. The draft left a blank space where a target for economic expansion could be inserted.

»An official source said the text was unlikely to change substantially ahead of the April 2 summit, although there is still debate over certain figures.

»Stating that a “global crisis requires a global solution”, the G20 leaders pledge: “We are determined to restore growth now, resist protectionism, and reform our markets and institutions for the future… We are determined to ensure that this crisis is not repeated.” A second official source confirmed it was the latest G20 draft, but cautioned that it was still open to changes during more than two days of negotiations in London from today.»

Est-ce bien cela que doit nous donner le G20? Présentant ce texte sur les termes presque finaux du “communiqué final”, le FT n’a trouvé pour le résumer, en guise de titre, que cette trouvaille étrange par son conformisme, qui aurait pu servir pour tant d’autres sommets du temps où nous n’avions pas officiellement de crise: «G20 communiqué steers clear of protectionism.» Ainsi, nous devrions laisser les attentes du G20 de côté, considérant que l’affaire est entendue? Tentons l’exercice, puisque tout y invite.

De toutes les façons, comme nous le signalions précisément dans notre Bloc-Notes d’hier, 30 mars 2009, on nous signale que Barack Obama a largement capitulé, avec Gordon Brown pour cette occasion, et il assure son leadership par proclamation unilatérale, là où les autres veulent bien le suivre. («Having proclaimed the dawn of a “new era of American leadership”, President Obama is embarking on a three-summit, five-nation, eight-day tour that may demonstrate that much of the world is unwilling — or unable — to follow», – selon le Times.) Les Russes, eux, spéculent sur la date du prochain G20, – à la fin de l’année, peut-être avant? De toutes les façons, Angela Merkel avertit le monde dans ce sens: «We will naturally not solve the economic crisis either, and we won't solve the issue of trade. We will definitely need to meet again.»

Les termes sont effectivement peu exaltants, même dans le fidèle Times de Londres, déjà cité dans notre Bloc-Notes, du 30 mars 2009.

«Yet his international summit debut at the G20 meeting on Thursday is shaping up to bring little more than vague pledges of good intent that reflect how these unwieldy events have a tendency for — in the words of Mr Obama’s inauguration speech — “standing pat, protecting narrow interests and putting off unpleasant decisions”.

»Over the weekend the White House effectively conceded defeat in its attempt to persuade G20 nations to co-ordinate spending 2 per cent of their GDP on stimulus measures. Instead, Mr Obama’s officials are emphasising a loose consensus around unspecified fiscal stimulus, with Michael Froman, a key economic adviser, saying: “Nobody is asking any country to come to London to commit to do more right now.”»

Le même Times de Londres, mais d’aujourd’hui 31 mars 2009, en est conduit, pour relancer l’intérêt autour des résultats concrets de cette réunion, à évoquer un de ces événements piquants, de ceux qui vous fouettent le sang: «Nicolas Sarkozy’s threat to walk out of global summit […] Mr Sarkozy, who blames the “Anglo-Saxons” for causing the economic crisis, told his ministers last week that he would leave Mr Brown’s summit “if it does not work out”. A deal to tighten regulation will be one of the key features of the G20 accord but France wants a global financial regulator, an idea fiercely opposed by the United States and Britain. Mr Brown has described the notion as ridiculous.»

Restons-en aux analyses générales qui, sans exclure une surprise sarkozyste dont il faut bien pimenter nos prévisions, nous disent que le G20 n’apportera rien de sérieusement nouveau. Ce qui serait alors évident, c’est que toutes les forces centrifuges habituelles, qui repoussent l’idée d’un rassemblement autour d’une force globale organisant la coopération contre la crise, ont joué à fond; ces forces sont habituellement connues, ce sont les pressions des situations intérieures, les intérêts nationaux, les calculs de voisinage, les réflexes de proximité, les différences de conception et de vision idéologique, ces divers éléments étiquetées avec un certain mépris comme “traditionnels”. Tout cela n’est pas très original mais cela existe diablement.

Dans cette hypothèse, il serait complètement logique d’avancer que le G20 est un échec par rapport aux ambitions affichées originellement (le “nouveau Bretton Woods” de Gordon Brown). Est-ce le cas? Nous privilégions souvent une approche paradoxale et nous allons le faire à nouveau. Dans des temps marqués aussi bien par la confusion des affaires que par la confusion de la perception des affaires, et par la confusion des commentaires à propos des unes et des autres par conséquent, une telle approche permet de forcer à des réflexions différentes de celles auxquelles conduisent ces confusions diverses. Nous allons soutenir l’idée contraire à ce jugement qui paraîtrait évident à la lumière de ce qui précède, que ce sommet du G20 va être un échec.

Une dynamique révolutionnaire

Effectivement, dirions-nous dans cet esprit, le grand événement du G20 a déjà eu lieu, avant que le G20 n’ait eu lieu. Il se situe par exemple dans le fait qu’on peut écrire, dans la presse la plus respectable, comme on relève un fait désormais inéluctable, que les USA doivent céder devant les autres partis, qu’ils n’ont pas réussi à assurer le leadership qu’ils prétendaient imposer, que nombre de voix qu’on dit “autorisées” les pressaient d’assurer. La description de la chose, de cet échec-là si l’on veut, ne donne guère l’occasion d’en débattre contradictoirement, tant on sent qu’il s’agit d’une perception partagée, notamment dans ces milieux des commentaires de l’establishment washingtonien et anglo-saxon.

Politiquement, cette absence de leadership américaniste est un immense événement, que les USA ont tenté et tentent encore désespérément d’empêcher. (Cette appréciation de Kenneth S. Rogoff, professeur d’économie à Harvard et ancien haut-fonctionnaire du FMI, dans le New York Times du 30 mars 2009 que nous citions hier, est significative: «The United States is desperately trying to assert leadership, as if it were 10 years ago, when the U.S. set the agenda.» De ce point de vue, l’action des USA pour le G20 a plus comme but de tenter de rétablir leur leadership que de trouver des solutions à la crise.) Ce G20 devait être d’abord la reprise en main des choses, la réaffirmation du leadership US après l’automne catastrophique de 2008, la crise du 15 septembre 2008, la vacance du pouvoir à Washington, les mises en accusation du système de l’américanisme au travers des critiques contre le capitalisme, le comportement chaotique des dirigeants US jusqu’à ce G20 de novembre 2008 avec un Bush fantomatique dont la simple fonction sembla d’empêcher que toute décision de quelque importance fut prise. De l’élection triomphale d’Obama, tant chargée de promesses nouvelles, de sa superbe transition, de sa prise de pouvoir, on attendait, on exigeait une reprise en main de ce leadership qui serait actée encore plus dans la préparation du G20 que dans le G20 lui-même. C’est un enjeu politique et non un enjeu économique; la “reprise” qui compte, la vraie “reprise”, c’est celle de ce leadership après ces catastrophiques événements (la mauvaise réputation de l’administration Bush, la crise, les événements de l’automne 2008).

Il s’en déduit que la situation politique diffère actuellement d’une façon fondamentale de la situation économique et qu’un “échec” du G20 par rapport aux maximalistes qui en attendaient d’importantes décisions (économiques, certes) pour faire progresser la situation aurait une signification politique à peu près contraire sur ce dernier point. On veut dire que ce G20 tel qu’il s’annonce marque au contraire une situation politique qui a fortement évolué. Des accords fondamentaux au niveau économique et financier, ceux dont il semble bien que le G20 sera privé, supposeraient, dans les circonstances actuelles, une situation politique telle que les USA réaffirmeraient une autorité très fortement ébranlée par la crise. Dans les circonstances actuelles, tout accord important se ferait, ne pourrait se faire que grâce à une dynamique créée par le leadership washingtonien et c’est d’abord cela qui serait important, – le leadership retrouvé. La chose a été parfaitement comprise par les plus respectables des commentateurs proches de la City, comme un Martin Wolf ou un Anatol Kaletsky, et ce n’est pas un hasard de la plume.

Avec cette sorte de raisonnement, il est inévitable d’être conduit à constater que la crise doit se poursuivre dans sa situation chaotique actuelle, dans tous les cas au niveau des relations internationales, pour permettre que s’amoindrisse le plus possible la capacité d’influence des USA. Cette capacité, qui vient d’un mélange de communication agressive, de pression de force et de capacité de corruption, a établi une situation d’influence, en faveur des USA, aussi injuste et aussi déséquilibrée que dans le cas de la position du dollar, et catastrophique dans ses effets puisque la crise en est la conséquence. C’est cette capacité d’influence avec ses effets qui est à la base des déséquilibres dont nous souffrons, y compris bien sûr du point de vue économique et financier. La “chance” de cette crise se trouve dans la réduction, qui paraîtrait être en cours, de cette influence.

On pourrait même avancer l’idée que la proposition chinoise, telle qu’elle a été avancée, d’une “Global Reserve Currency” appuyée sur un “paniers” de devises (dont le dollar) et remplaçant le dollar dans son rôle actuel, ne constituerait pas, si elle était aussitôt acceptée, un événement politique décisif, qu’il s’agirait d’un événement pas assez décisif. Dans les circonstances actuelles, l’événement perdrait la force politique qu’on attend d’une révolution telle que la fin de l’hégémonie du dollar. Il faut que la fin de l’hégémonie du dollar soit un événement politique, suscité par des événements politiques, et non un événement économique et monétaire. Par contre, le fait que la Chine puisse faire cette proposition, que cette proposition soit écoutée et débattue, que les USA se retrouvent sur la défensive, voilà un événement politique intéressant qui contribue effectivement à miner la position politique de l’hégémonie du dollar. Dans le même sens, le fait voisin que les milieux financiers US réagissent par l’affirmation arrogante que l’hégémonie du dollar, comme le leadership US et cette hégémonie comme condition du leadership US, constituent une sorte de donnée éternelle, contre toutes les évidences dont celle de l’absence de rétablissement du leadership US, cet autre fait est un autre “événement politique intéressant” qui contribue effectivement à miner par sa déraison l’hégémonie des USA dans ce cas.

Il s’agit moins ici de prôner une sorte de “politique du pire” (pas d’accord économique important et aggravation de la crise, événement politique significatif) que d’observer que l’évolution, naturelle, inéluctable, de la situation alimentant une “politique (économique) du pire” constitue une évolution politique positive si l’on veut écarter le leadership d’un système qui est la cause de la catastrophe de la crise. Il y a là une dynamique qui dépasse les intérêts des différents acteurs et leur perception de l’évolution des choses. C’est, si l’on veut, une dynamique générale et supérieure, intégrant les différentes politiques des acteurs principaux, – les différentes dynamiques impulsées par les acteurs principaux avec leurs comportements dont le rapport est plutôt la confusion que l’ordre… Mais cette confusion est une évolution politique importante parce que, à l’inverse, l’ordre ne pourrait être encore que celui de l’influence américaine, du leadership américaniste.

Nous sommes dans une période de crise intense qui s’apparente, politiquement, à une période révolutionnaire où les forces dynamiques prennent le dessus sur les politiques “humaines”. Avec le terme “révolutionnaire”, on parle donc plus de la dynamique générale que des événements qui composent et animent cette dynamique sans pour autant lui donner son orientation générale, – ils servent de “combustible” à une orientation qui les dépasse. Pour comprendre l’orientation de cette dynamique, il faut moins s’attacher à la signification et au sens immédiats des événements, qu’à la mesure de l’impulsion supplémentaire qu’ils peuvent donner à la dynamique en cours.