Entre le marteau et l’enclume

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Depuis le voyage de Joe Biden en Israël, la décision de nouvelles constructions décidées par le gouvernement israélien à Jerusalem Est, la première réaction d’Hillary Clinton, on parle d’une grande crise entre Washington et Tel Aviv. Jim Lobe, sur Antiwar.comw le 15 mars 2010, en fait une analyse générale sans tirer de conclusion décisive sur son issue.

Aujourd’hui, des signes nouveaux montrent une aggravation de la crise entre les deux alliés, “la pire depuis 35 ans” (référence à la crise de 1975, lorsque Kissinger voulait obtenir des concessions d’Israël face à l’Egypte). The Independent du 16 mars 2010 rapporte notamment ceci:

«The Israeli newspaper Haaretz and Israeli Army Radio reported meanwhile that in a conference call with Israeli consuls across the US on Saturday night, Michael Oren, Israel's Ambassador to Washington, said that the crisis was one of “historic proportions”. Summoned to the State Department on Friday, he reportedly urged the consuls, on instructions “from the highest level”, to lobby Congress, Jewish community groups and the media to make Israel's case. Mr Oren, a historian, apparently recalled a previous stand-off in 1975 between Henry Kissinger and the then Israeli Prime Minister Yitzhak Rabin over US demands in the aftermath of the Yom Kippur war for a partial withdrawal from the Sinai.

»One explanation canvassed in Israel for Washington's tough stance is that pressure is being exerted by the US military for early progress in solving the Israeli-Palestinian conflict as means of reducing Muslim hostility to the US. During the height of the row last week, Mr Biden was reported by Yedhiot Ahronot to have told Mr Netanyahu: “What you're doing here undermines the security of our troops who are fighting in Iraq, Afghanistan and Pakistan. That endangers us and it endangers regional peace.”

»Asked on Sunday whether Israeli “intransigence” was putting US "troops' lives at risk", David Axelrod, a senior adviser to Mr Obama, said “that region and that issue is a flare point throughout the region so I'm not going to put it in those terms”. But he then added that it “was absolutely impérative” not only for “the security of Israel and the Palestinian people” but “for our own security that ... we resolve this very difficult issue”.

»Mr Netanyahu can at least expect a warm reception in Washington when next week he addresses the annual conference of AIPAC, the staunchly right-of-centre pro-Israel lobby group which is trying to mobilise opposition to the stance taken by Mrs Clinton and Mr Obama.»

Le Times de Londres est encore plus précis, dans le même sens, puisqu’il parle de pressions directes des militaires US exprimées à la Maison-Blanche, pour une attitude très dure, voire des mesures de rétorsion contre Israël. Dans un texte de ce 16 mars 2010, le Times cite le général Petraeus.

«…But for the first time there are other voices — in this case General David Petraeus, the hugely influential head of US Central Command — openly questioning Israel’s value as a strategic ally. His defining experiences as a soldier, and those of most Americans in uniform, have been Iraq and Afghanistan.

»As America becomes more deeply involved in the Arab and Muslim worlds, with nearly 200,000 troops in Iraq, the Gulf and Afghanistan, it will challenge anything that may threaten US lives.

»The Pentagon may be coming to the conclusion that the failure to achieve an Arab-Israeli peace deal is the best recruiting sergeant for militant Islam. Live footage of Palestinians being beaten or shot by Israeli troops are beamed around the region on satellite news channels. They can whip up public fury and angry sermons from Cairo to Kabul. America may not be directly involved in these incidents but it is blamed for arming and funding Israel and providing the Jewish state with diplomatic cover at the United Nations. If America’s unwavering support for Israel is endangering the lives of US troops in Kandahar or Baghdad, then the Jewish state has a problem.»

Notre commentaire

@PAYANT La question n’est pas nouvelle: jusqu’où le président US va-t-il, ou bien peut-il aller contre Israël? Elle n’est pas nouvelle pour un président US car tous les présidents US depuis Johnson ont eu à affronter ce problème mais elle se pose dans des termes nouveaux, à cause de la personnalité d’Obama lui-même. D’une façon très caractéristique, la crise avec Israël est en train de suivre la même voie que la crise des soins de santé (et d’autres, certes), exactement conformément à la psychologie d’Obama. Il y a d’abord l’annonce d’un changement nécessaire, éventuellement avec l’annonce de projets radicaux; puis, face à la mobilisation, voire la radicalisation de l’adversaire devant ces pressions annoncées, des concessions d’Obama, la recherche affichée d’un compromis… Pour des yeux extérieurs, surtout pour des yeux radicaux comme sont ceux des républicains et des Israéliens dans les deux cas cités, cette recherche du compromis après une position initiale dure relève de la faiblesse. Républicains et Israéliens ont la même opinion d’Obama: c’est “un couard” (“a wuss”, mot employé pour traduire le jugement de Netanyahou sur BHO).

Que cela soit vrai ou pas (BHO est-il un couard?) pose une question importante mais qui ne résout pas l’entièreté du problème. Dans le processus décrit, la tension monte, les partisans d’Obama s’exaspèrent autant que ses adversaires, car eux aussi ont des intérêts et sont furieux de les voir sacrifiés à des concessions pour un adversaire qui se durcit de son côté alors qu'on lui fait, à lui, des concessions. Dans le cas israélien, on voit que les militaires US commencent à devenir extrêmement nerveux et exigeants, et ils pèsent d’un poids très important auprès d’Obama, surtout le clan Petraeus-McChrystal sur lequel Obama compte pour terminer le plus rapidement possible le conflit en Afghanistan. La position d’Obama devient de plus en plus délicate; elle est moins celle d’un “couard” que d’un homme indécis à force de vouloir réunir ce qu’on nomme un “consensus” dans une arène où seul l’affrontement est concevable.

Obama peut-il céder devant Israël? (En plus, il y a un enjeu concret: Washington veut le retrait du projet de la constructions de logements à Jerusalem-Est.) Normalement, connaissant la structure de la vie politique à Washington, avec la monstrueuse influence israélienne et l’horreur d’Obama devant les situations d’affrontement entre deux côtés également partisans et antagonistes, on dira qu’il devra céder. Mais la situation n’est plus aussi simple, parce que, pour lui, céder aux Israéliens reviendrait à se trouver en position d’affrontement avec un autre groupe très puissant de la politique et de l’influence à Washington (le groupe militaire, surtout Petraeus-McChrystal, des experts dans l’art des relations publiques et du lobbying). Pour reprendre l’analogie des soins de santé, on voit aujourd’hui qu’Obama semble avoir décidé (à la Chambre) de choisir l’affrontement, après des mois épuisants et débilitants de guérilla avec les républicains, et de concessions qui leur ont été faites, à partir d’un projet de soins de santé qui devait révolutionner la vie sociale US. Obama en est-il arrivé au même point avec les Israéliens?

Jusqu’ici, il n’a rien fait de concret contre Israël depuis l’“insulte” faite aux Etats-Unis. Il y a eu des mots, rien d’autre. Beaucoup estiment assez logiquement qu’Obama ne fera rien, mais le dommage politique sera alors considérable pour lui alors qu’il se trouve déjà à la dérive. De leur côté, les Israéliens céderont-ils? Connaissant Netanyahou, cela paraît bien improbable, sinon une mesure cosmétique, à l’extrême, qui ne tromperait personne et ridiculiserait Obama plus qu’autre chose. La prochaine étape, pour Netanyahou, c’est le congrès de l’AIPAC à Washington, du puissant lobby sioniste, pro-Likoud, etc., et cela signifie plutôt mobilisation et surenchère, avec le poids de la rhétorique maximaliste (le sort d’Israël, les menaces existentielles, etc.).

Obama est un homme étonnant. Il y a chez lui une espèce d’horreur des mesures radicales, des décisions tranchées, des politiques affirmées, après qu’il y ait eu l’évocation d’idées diverses qui demandent nécessairement, pour leur application, “des mesures radicales, des décisions tranchées, des politiques affirmées”. C’est un homme qui recherche absolument le compromis, en préparant le terrain pour cette recherche par une attitude de communication qui prépare absolument l’affrontement. Le résultat, ce sont des situations inextricables, dans une époque où la seule voie possible en politique washingtonienne semble être la montée aux extrêmes. Ainsi se trouve-t-il enfermé, Obama, dans ses parcours politiques, dans des choix qui sont tellement radicaux qu’ils en deviennent des dilemmes pour lui-même, – ou bien céder, perdre la face, perdre le peu qu’il lui reste d’autorité; ou bien tenir et aller vers cet affrontement dont il a horreur.

Et tout cela, pour ce cas, avec un Netanyahou en face...


Mis en ligne le 16 mars 2010 à 05H51