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1169En France (et en Belgique, certes, comme dans nombre de pays européens), on est encore habitué à l’une ou l’autre occupation des locaux et autres usines par des grévistes récalcitrants ou des licenciés qui estiment abusive la mesure prise à leur encontre. Aux USA, cette idée fait vaciller les Tables de la Loi et les Pères Fondateurs, et se lever le spectre du “socialisme”. Ainsi donc, l’affaire des “200 de Chicago” (200? A peu près) fait grand bruit, et fait le miel de toute la presse progressiste et dissidente. Il s’agit de 200 employés de la société Republic Windows & Doors de Chicago, qui ont été licenciés et qui estiment que leurs droits, notamment au niveau du préavis de licenciement et de salaires dus, n’ont pas été respectés. Comble de l’ironie malveillante, Republic Windows & Doors a effectué ces licenciements parce que sa banque, The Bank of America, lui refuse un crédit pour poursuivre ses activités; laquelle banque vient de bénéficier d’une aide plantureuse d’une pincée appréciable de $milliards de l’avisé secrétaire au trésor Hank Paulson. Tout cela fait désordre.
L’affaire, elle, fait grand bruit et elle est vue comme un événement symbolique de la crise économique en pleine accélération, avec la montée ultra-rapide du chômage. Signe des temps, les autorités de la ville, où l'on ne fait pourtant pas dans la tendresse, et diverses personnalités s’émeuvent du sort des “200 de Chicago”. L’Attorney General de Chicago estime qu’il faut prendre en considération leur situation sociale. Le révérend Jackson, qui n’en rate pas une, se charge d’alimenter en nourriture les “200 de Chicago” en affirmant que le mouvement doit être perçu comme un appel à la mobilisation du prolétariat (pardon, – de la classe moyenne); il parle du “début d’un grand mouvement de résistance à la violence économique”. Et puis, et puis… Obama himself déclare qu’il comprend les “200 de Chicago”, et même plus que cela, – «I think they are absolutely right».
Le Chicago Sun Times, repris le 8 décembre par CommonDreams.org, nous instruit de cette intéressante affaire.
«Some 200 workers are seeking vacation and severance pay, as well as their final paychecks. During a news conference announcing his new Veterans Affairs director, Obama said he understands their plight. “When it comes to the situation here in Chicago with the workers who are asking for their benefits and payments they have earned, I think they are absolutely right,” Obama said. “When you have a financial system that is shaky, credit contracts. Businesses large and small start cutting back on their plants and equipment and their work forces.
»“So, number one, I think that these workers, if they have earned their benefits and their pay, then these companies need to follow through on those commitments. Number two, I think it is important for us to make sure that, moving forward, any economic plan we put in place helps businesses to meet payroll so we are not seeing these kinds of circumstances again.” […]
»Support for the workers has come from across the city and the country, said United Electrical Workers union officials on Sunday morning as the Rev. Jesse Jackson delivered a truckload of food to the factory. “This is a nonviolent wake-up call to all of America,” Jackson said. “It's the beginning of a bigger movement to resist economic violence.”
»The closing was due to Bank of America withdrawing a credit line because of the company's declining sales. Union leaders say the company failed to give workers the 60 days' notice required by federal law, and that Bank of America barred Republic from paying for the 60-day period or for vacations.»
Signe indubitable de l’importance de l'affaire, le site WSWS.org, se départissant de sa mauvaise humeur et de son pessimisme chroniques pour les affaires US, y voit au contraire, aujourd’hui, “un grand pas en avant”, — sur la voie de la lutte sociale et, sans doute, de la révolution prolétarienne. Là aussi, le rappel de la Grande Dépression, avec ses luttes sociales, est aussitôt mis en avant. Ainsi Jerry White nous donne-t-il l’appréciation de WSWS.org, sur un ton manifestement militant.
«The occupation of Republic Windows and Doors by 250 workers in Chicago, Illinois is an important step forward and one that deserves the full support of the working class throughout the country and internationally.
»For the first time since the onset of the economic crisis, a section of the working class is taking an independent stand and resisting the corporate assault on jobs and living standards, which is claiming thousands of new victims each day.
»These workers are displaying enormous courage. They refused to be thrown out of the factory when management moved to shut down the plant last Friday, after giving the workers just three days notice. They have insisted they will not leave the plant until management pays the severance and vacation pay owed to each worker.
»This action has a powerful objective meaning. The same conditions that have driven these workers into struggle are affecting millions throughout the US and around the world. Such struggles are going to erupt more and more frequently as the economic crisis compels workers to act collectively to assert their own class interests. In that sense, this struggle recalls the experience of the Great Depression of the 1930s, when the sit-down strikes by rubber and auto workers sparked a wave of mass industrial struggles throughout the US.»
Certes, les chiffres (200 employés) sont dérisoires pour les USA, mais le symbole est là et bien là. L’intervention de personnalités importantes, jusqu’à la plus prestigieuse d'entre toutes, est significative à cet égard. L’affaire constitue le premier fait concret d’une éventuelle “colère populaire” face aux ravages de la crise, avec l’aide fédérale dirigée vers les établissements financiers et les conséquences punissant les plus pauvres et les plus fragiles.
Mais le cas est surtout passionnant pour la situation d’Obama. La chose se passe dans sa ville, et ce ne peut être seulement une coïncidence. On dit que certains syndicats ont, en sous-main, suscité ou dans tous les cas appuyé avec vigueur le mouvement, et avec l’appui tonitruant et empressé de Jackson, qui représente l’aile activiste de la communauté noire. Traduisons: l’aile gauche rassemblée de la base politique du candidat Obama pousse à fond pour “mouiller” le Président-elect Obama dans une lutte sociale, et lui rappeler ainsi ses engagements de campagne. Obama ne peut faire qu’obtempérer, sous peine de perdre tout crédit de ce côté, ce qui serait une catastrophe pour lui dans ces circonstances de crise économique très grave en train de se transformer en une crise sociale aussi grave. Obama n’est pas encore président en fonction qu’il nous montre déjà certaines contradictions fondamentales de sa position politique, entre des engagements de centre-droit, complètement conformes aux normes de l’establishment au niveau de la composition de son administration, et l’obligation où il se trouve de devoir éventuellement radicaliser sa position au niveau social et économique. Cette première prise de position ne sera pas oubliée si les circonstances le permettent, ni par la droite et par l’establishment, ni par son aile radicale qui poussera constamment son appel à l’implication du président dans les luttes sociales. Drôle de situation pour l’Amérique, si peu habituée à ce que ses citoyens réclament ce qui leur est dû, et que les élites politiques et sociales en fassent un champ de bataille.
Obama nous offre le spectacle de l'entame d'un exercice de grand écart qui risque d’être la marque de ses premiers mois de direction des affaires, dans une Amérique chauffée à blanc par la crise… Et si la crise se poursuit, et si les conditions s’aggravent ? Il est possible qu’Obama doive un jour choisir.
Mis en ligne le 9 décembre 2008 à 12H53
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