Evolution du JSF-monde

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Evolution du JSF-monde

23 novembre 2007 — Deux nouvelles récentes concernant le programme JSF, avec des rapports divers entre elles, méritent d’être mises en évidence. Elles nous permettront d’avoir une appréciation la plus large possible du programme JSF, en tant que phénomène aussi bien postmoderne qu’aéronautique, aussi bien comme signe évident de notre crise systémique générale que omme signe confirmé de la crise industrielle ou/et aéronautique.

Une version “For Your Friends Only”… Dans toutes les capitales hors-Washington engagées dans le pharamineux programme JSF, la conviction est générale: nous volerons sur le même avion que nos glorieux suzerains du Pentagone. Cette conviction va jusqu’aux ministres impliqués (cela est avéré, ce n’est pas une formule en passant). Est-ce bien vrai? Non, bien sûr.

Une note en date du 15 novembre du Pentagone sur des contrats récemment passés montre que la situation sera effectivement très différente. Cette note émanant du Pentagone dit clairement (avec souligné en gras par nous) qu'il y aura des JSF de première classe et des JSF type-domestique:

«Lockheed Martin Corp., Lockheed Martin Aeronautics Co., Ft. Worth, Texas, is being awarded a $134,188,724 modification to a previously awarded cost-plus-award-fee contract (N00019-02-C-3002).

»This modification is to continue the design, development, verification, and test of Joint Strike Fighter (JSF) Partner Version Air System development under the JSF Delta System Development and Demonstration Effort (Delta SDD).

»The purpose of the Delta SDD is to develop a version of the JSF Air System that meets U.S. National Disclosure Policy, but remains common to the U.S. Air System, where possible.

»Work will be performed in Fort Worth, Texas (68 percent), Orlando, Fla. (24 percent), and El Segundo, Calif. (8 percent), and is expected to be completed in October 2013. Contract funds will not expire at the end of the current fiscal year.

»The Naval Air Systems Command, Patuxent River, Md., is the contracting activity.»

Les négociations avec Israël se poursuivent. Elles sont présentées dans un article de Defense News du 29 octobre, elles ont pour but de fournir à Israël une version très spécifique du JSF. Le plus étonnant dans cet article est que tout se passe comme si rien de ce qui a été annoncé concernant le JSF en Israël n’avait eu lieu.

Certains extraits de l’article sont très intéressants (avec Tom Burbage, “Lockheed Martin vice president and general manager of the JSF program”)

«“The Israelis really wanted the plane yesterday, but they’ll settle for 2014. And in order to make that happen, those trade studies must be completed by summer” to allow for a Pentagon-administered Letter of Offer and Acceptance contract by 2009, Burbage said.

»Burbage said Lockheed Martin has enough production capacity to allow even earlier deliveries of the first Israeli F-35s. However, he said U.S. policy remains firm that fighters will be delivered first to the U.S. Air Force for complete operational testing before becoming available for export.

De façon très étrange, se glisse parfois un mot qui contredit complètement l’esprit général du texte comme, dans cette remarque, le qualificatif de “moribond” («An Israeli defense official said U.S. technology-transfer requirements and Israel’s need to fast-track its moribund JSF program were discussed earlier this month between Defense Minister Ehud Barak and U.S. Defense Secretary Robert Gates.»)

Les deux nouvelles peuvent être traitées différemment, chacune pour ce qu’elles sont. On les évoquera très rapidement. Pour ce cas, l’important est ce qu’elles nous suggèrent, avec d’autres nouvelles, les unes et les autres prises d’une façon complémentaire.

Dans les deux cas considérés, on appréciera un certain nombre de points, qui sont complémentaires, qui définissent l’un et l’autre cas ou un seul des deux.

• Les USA ont donc prévu, malgré toutes les assurances contraires qu’ils avaient données et les certitudes sans discussion des acheteurs, une version export du JSF. On imagine évidemment qu’elle sera fort dépouillée, mais elle devra garder l’essentiel de la vertu de l’avion: rester sous contrôle US. Donc, on vous donne un avion dégradé par rapport aux versions US mais qui garde certaines fonctions et configurations essentielles de la version US pour permettre son contrôle par les USA. (C’est ce que dit cette phrase si on la lit comme il importe de la lire: «…a version of the JSF Air System that meets U.S. National Disclosure Policy, but remains common to the U.S. Air System, where possible.»)

• Ces restrictions sur les transferts de technologies affecteront les Israéliens eux-mêmes. Pourtant le projet d’un JSF spécialement taillé aux mesures israéliennes est présenté avec un enthousiasme, une joie absolument débordante, comme s’il s’agissait de l’élaboration de quelque chose de révolutionnaire.

• Ce qui est dit dans un communiqué sec et qui semble aller de soi, contredit tout l’esprit de la “coopération” et les promesses qui allaient de soi faites aux coopérants. Tout ce qui est dit aux Israéliens l’est également comme si cela allait de soi. C’est dit pourtant, d’un certain point de vue, dans une complète illégalité, – mais non, le terme “dans un complet univers virtualiste” irait mieux; c’est dit sans tenir strictement aucun compte des décisions nationales qui ont été prises il y a deux mois par l’état-major israélien: réduction de la commande de 100 à 25 avions, retardement des premières livraisons de 2014 à 2016. Dans la présentation qu’en font les divers officiels cités, le JSF israélien est l’avenir grandiose et presque exclusif de la puissance israélienne; là il est complètement marginalisé sans rien qui indique qu’on reviendra là-dessus.

• Ce qui est remarquable dans ces techniques de virtualisation est l’association, dans le même ton, comme s’il s’agissait du même esprit, de mesures et de situations complètement inverses. Dans le cas israélien, l’article est exubérant et semble décrire une version israélienne exceptionnelle, en même temps que les normes strictes de restriction et de contrôle des Israéliens par les USA sont rappelées avec insistance. (Cela, sans mentionner l’absence complète de référence à la réalité présente, des récentes décisions israéliennes.)

Architecture virtualiste, plutôt style baroque

La lumière de ces deux points détaillés ci-dessus éclaire quelque chose qui est déjà largement documenté. Mais comme nous approchons en théorie de la concrétisation du programme, la lumière est de plus en plus crue, et le spectacle de plus en plus intéressant. Tout cela nourrit l’idée que le programme JSF évolue dans une autonomie complète, détaché du reste, des facteurs habituels qui forment le cadre, les besoins, les moyens, la planification, la stratégie présente et à venir où doit se développer un tel programme. Plus que des contre-vérités, des mensonges, des dissimulations, on se trouve dans un univers spécifique détaché de tout cela, un univers-JSF.

On dira aussitôt: c’est du pur virtualisme. Cela existait abondamment avant que le JSF n’existât, opération classique de RP et de propagande transmutée en une véritable architecture de virtualisme constituée de la communication à propos du programme, et de l’univers clos où évoluait cette communication. Le point important ici est que cette architecture de virtualisme n’est pas écartée, au contraire elle est renforcée, à mesure où nous entrons dans le domaine concret. Comment accorder les réalités concrètes du programme aux “réalités” annoncées du programme lorsqu’il n’était qu’une architecture-RP complètement virtualiste? Réponse: en prolongeant l’architecture virtualiste dans le passage à la réalité du programme.

Belle théorie qui semblerait évidemment irréalisable aux esprits férus de raison. Pourtant, il s’avère que l’opération n’est pas totalement irréalisable, qu’en tous les cas pour l’instant elle est poursuivie. A un moment, elle deviendra irréalisable. A ce moment, eh bien on verra…

L’opération est favorisé par plusieurs facteurs.

• La direction du Pentagone est, au niveau des programmes, dans une situation très incertaine. Gates est tout entier accaparé par les crises pressantes de l’Irak, de l’Iran, de l’“arc de crise” en général.

• Parallèlement, et toujours au Pentagone, il existe une situation extrêmement fragmentée entre les armes. Chacune s’occupe essentiellement de défendre ses programmes en même temps qu’elle tente de contenir les difficultés occasionnées par les divers conflits en cours. En principe, les armes concernées soutiennent le JSF, mais du bout des lèvres, éventuellement en se servant de son budget pour leurs autres besoins. La consigne générale est que, pour l’instant, tout le monde a intérêt à ne pas attaquer de front le JSF pour éviter une crise trop grave du programme et pour profiter du flot d’argent qui transite par ce programme. On le laisse donc poursuivre sa course autonome et virtualiste.

• L’industrie suit également cette politique, parce que le JSF est un formidable pourvoyeur de fond, et qu’il “fixe” les pays étrangers autant que les acheteurs potentiels dans une situation d’attente.

• D’une façon générale qui englobe les deux points précédents, le pouvoir est extraordinairement fractionné à Washington et plus aucune autorité réelle n’émerge. Là aussi, personne n’a vraiment intérêt à mettre en question le programme, lequel permet de temps en temps quelques effets d’annonce du plus heureux effet. (Voir Bush avec Blair en juin 2006.)

Dans ce cadre général, le contrôle virtualiste du programme bat son plein. Il s’agit à la fois d’annonces tonitruantes, comme dans le cas israélien, et de véritables “cover-ups”, comme dans le cas des ennuis du prototype effectuant des essais en vol, cloué au sol depuis mai dernier.

A un moment ou l’autre, cette situation s’achèvera. Episodiquement, l’un ou l’autre pouvoir, l’un ou l’autre intérêt lance une attaque contre le JSF. En général, c’est le cas très souvent du GAO, du Congrès, lorsque les circonstances s’y prêtent, etc. Les coopérants extérieurs ont jusqu’ici avalé les diverses pilules, pour ceux qui s’aperçoivent de quelque chose, mais la nervosité ne cesse d’y augmenter. Le manque d’information systématique, l’ignorance des dirigeants civils, le verrouillage effectué par les militaires des pays concernés qui relaient directement les USA, ont jusqu’ici écarté les pressions les plus pressantes. La situation est gérée au jour le jour, jusqu’à ce qu’un incident majeur, un problème un peu plus grave qui échappe à la vigilance des RP, projette le cas du JSF sous les lumières de l’actualité. La chose a failli survenir à plusieurs reprises. Chaque fois, le contrôle a été repris, de façon plus ou moins chaotique.

En contrepartie, le montage virtualiste ne cesse d’être renforcé, pour tenter de repousser les attaques de la réalité. La tension entre les deux, – virtualisme et réalité, – ne cesse de se grandir, parce que l’action virtualiste ne peut transformer la réalité (par exemple, la réalité des problèmes techniques de l’avion). La déconstruction du programme virtualiste, quand elle se fera, risque de nous entraîner loin, bien au-delà des questions militaires, vers une crise majeure. En attendant, le JSF est de plus en plus un monde complètement à part, où se rassemblent tous les faux-semblants, les montages, les constructions virtualistes transatlantiques. Il s’agit d’un phénomène d’un réel intérêt et complètement inédit, en raison de l’énormité considérable du programme et de tous les intérêts, les espoirs, les ambitions qui y sont rassemblés.


INTERTITRE2 = Nota Bene

Nous avons noté le commentaire d'un lecteur à notre notre “Bloc-Notes” d’hier. Il s’agit, dans le Forum de ce texte, d’un message de “Stephane”, le jour même de la mise en ligne. “Stephane” nous dit notamment, notre modestie dût-elle en souffrir vivement:

«Elle est géniale cette phrase: “certains font leur cheval de bataille du cover-up réalisé par le système américaniste à propos de l’attaque 9/11; mais que ne s’intéressent-ils au cover-up du siècle: le programme JSF.”

»Mais pouvez vous nous expliquer cela..? Vous nous taquinez la...»

Etc... Nous reviendrons sous peu sur cette idée d'une comparaison entre 9/11 et le JSF.