Exit, la guerre contre la terreur

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Exit, la guerre contre la terreur

4 janvier 2008 — Plus que les candidats, nous estimons que les “thèmes” des candidats ont compté dans la première primaire des présidentielles US, dans l’Iowa. Plus que la question de “l’économie”, c’est la question de “l’insécurité économique” qui a dominé cette élection. Aux USA, cela se traduit par un message “populiste”, ce qui a été l’essentiel de la démarche des principaux candidats. Ce message populiste se traduit par des attaques plus ou moins violentes, plus ou moins explicites, contre les structures capitalistes type“corporate”, contre les bénéfices des grandes entreprises et des dirigeants, etc. Le courant est si fort qu’il a bouleversé le paysage du côté républicain, avec la victoire de Mike Huckabee. Il est alimenté par un très fort activisme des votants (les démocrates affirment avoir enregistré 220.000 votes dans l’Iowa, contre 125.000 en 2004 dans le même Etat.)

Ce commentaire du 3 janvier du Wall Street Journal, un quotidien évidemment proche des milieux d’affaire et ultra-capitalistes, donne une bonne mesure de l’impression produite dans ces milieux par la tonalité de la campagne.

«In the frantic closing days, as candidates have touted their résumés and needled their opponents, two leading contenders from each party — Democrat John Edwards and Republican Mike Huckabee -— have ramped up their anticorporate, anti-Wall Street rhetoric.

»Mr. Huckabee's campaign represents a new challenge to the historically business-friendly Republican Party, and so far none of his rivals have picked up his rhetoric. But Mr. Edwards is tapping into a long tradition of Democrats' receptivity to working-class appeals, and his main competitors are scrambling to echo the populism as economic anxiety has intensified among voters.

»“Today's report that the price of oil has reached $100 a barrel is just another example of how corporate greed is squeezing the middle class,” said Mr. Edwards, a former North Carolina senator, in a statement. At a packed coffeehouse in downtown Iowa City yesterday, he asked the crowd, “Are you going to let corporate greed steal your children's future?”

»Mr. Huckabee, a former Arkansas governor who frequently cites rising gasoline prices and contrasts stagnant wages with CEOs' wealth, told an audience on New Year's Day: “A president needs to understand that what's good for the American economy needs to be good for all Americans.”

»He also contrasts his own humble roots with the privileged life of his chief rival here in Iowa, former Massachusetts Gov. Mitt Romney. “If politics is going to end up being nothing more than about who has the most money, then we've not had a presidency, we've had a plutocracy, and we might as well put it on eBay and sell it to the highest bidder,” he said yesterday in Mason City.»

Effectivement, l’observation du déroulement de la campagne montre ce tournant, ce “gauchissement” de l’électorat vers des thèmes populistes (dans le cas américaniste et compte tenu de la position de l’establishment, cette évolution populiste doit être sans aucun doute considérée comme allant vers le gauche au sens où l'entendent les milieux d'affaires, – le terme “gauchissement” vaut alors au propre et au figuré). L’AFP présentait le 3 janvier cette évolution, avec comme titre de sa dépêche : «Iraq sliding off radar in White House race». Son constat touche notamment l’évolution du sénateur Obama, le démocrate vainqueur de cette primaire de l’Iowa.

«In early October, almost 40 percent of the campaign spots by Democratic candidate Barack Obama over a two-week period mentioned Iraq, compared to only about five percent by his Republican rivals.

»But by early December, Republicans were more likely to mention Iraq and the issue had slid well down the list of concerns with Vietnam war veteran John McCain topping the charts by raising the war in about 10 percent of his ads.

»“I still think the war is a real important issue,” David Axelrod, a senior strategist for Obama, told the Times. “But the sense of economic insecurity has grown and pushed those other issues up on the list of concerns.”

Le populisme a chassé la terreur

Nous faisons une différence entre “économie” et “insécurité économique” pour marquer combien le courant de l’opinion concerne de plus en plus les structures et les modes de fonctionnement du système bien plus que la situation économique. L’importance du thème est notamment évident avec la victoire de Huckabee, parce qu’il s’agit d’un républicain, d’un parti en général identifié au grand capitalisme ou comme proche de lui. Alors que ce candidat a un fort aspect religieux dans sa candidature avec le soutien des chrétiens évangélistes, ce sont surtout ses thèmes anti-corporate qui ont émergé (Huckabee propose une réforme fiscale, dite “fair tax” qui est fortement critiquée par le monde financier et du business).

Le courant populaire dominant est donc un courant de type populiste, ce qui est une situation classique de contestation dans la politique US. On pourrait même avancer que le populisme est le seul courant de contestation sérieux possible dans ce système. Le mot a une réputation différente aux USA, par rapport à celle qu’il a en Europe; il a une forte connotation anti-Washington, alors qu’en Europe il a une forte connotation anti-parlementaire. On peut trouver une certaine similitude dans ces deux appréciations, Washington étant effectivement le siège du régime américaniste, qui est notamment parlementaire. Cette similitude concerne le mécontentement populaire à l’encontre de sa représentation politique mais, aux USA, l’extrême décentralisation initiale donne une certaine légitimité à la mise en cause des instruments de la représentation parce qu'ils sont également les instruments de la centralisation. Aux USA, le populisme est vu souvent comme une vertu à cause des pesanteurs et des contraintes du système, et il peut porter aussi bien une marque de droite qu’une marque de gauche; alors qu’en Europe il est identifié à l’extrême droite anti-parlementaire proche du fascisme. Puisque le populisme est “le seul courant de contestation sérieux” dans la politique US, il est le seul outil de pression sérieuse anti-Washington, – d’où sa vertu pour nombre de jugements.

Ce qui est absolument remarquable, par contraste négatif, c’est l’effacement de la question irakienne et, surtout, la disparition presque complète du thème de la guerre contre la terreur et le terrorisme qui domina complètement la campagne de 2004. Si cette tendance initiale se confirme, cette campagne prendrait l’allure de facto d’une campagne anti-9/11, rejetant toute la rhétorique sur laquelle ont été fondées la présidence Bush et la politique de cette présidence.

Le fait que cette tendance affecte également le parti républicain est remarquable. Selon cette appréciation, on pourrait pour l’instant faire une analogie entre la campagne 2008 et celle de 1992, lorsque le désarroi US était si profond qu’on pouvait parler d’une “crise d’identité” profonde de l’Amérique (voir ce qu’en écrivait William Pfaff en février 1992). A cette époque on avait vu surgir, également chez les républicains, avec le succès éphémère (début de la campagne) de Patrick Buchanan, une forte poussée populiste anti-corporate. (Buchanan avait ensuite été marginalisé.) Aujourd’hui, cette poussée populiste semble être beaucoup plus appuyée qu'en 1992.

Il est assez probable que les divers candidats vont appuyer leur position dans le sens populiste, y compris, du côté démocrate, Hillary Clinton. (La bataille paradoxale d’Hillary Clinton, qui s’est battue pendant deux ans pour devenir la candidate de l’establishment, va être de se battre pour ne plus apparaître comme la candidate de l’establishment.)

Les dirigeants du système se trouvent devant un problème potentiel délicat, selon la fortune du populisme dans cette campagne. Il est manifeste que ce courant populiste recèle des poussées protectionnistes, voire isolationnistes, et des tendances très hostiles au régime actuel du capitalisme US et à la globalisation. Cela va contre toute la politique de l’administration Bush (et, en partie, celle de l’administration Clinton) alors que cela touche tous les candidats et non plus les seuls marginaux. La question est évidemment qu’une telle poussée, si elle se confirmait tout au long de la campagne, devrait se transcrire au moins en partie dans une politique nouvelle, quel que soit l’élu, sous peine de risquer des réactions de profond mécontentement. C’est sur ce point que le scrutin prendrait, lui aussi, l’allure d’une critique anti-système et rejoindrait, par une autre voie, celle qu’on signalait hier.

Il est probable qu'on assistera dans les prochains mois à des pressions de la direction du système pour obtenir un infléchissement de cette orientation populiste initiale. Mais les candidats sont bien trop peu assurés pour abandonner aisément un tel argument.