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1261Un article du New York Times sur les matières de politique de sécurité nationale notamment n’est que ce qu’il est : une communication du type de la Pravda en URSS, du temps du communisme, en mieux bien sûr. Il s’agit simplement de parler selon les instructions du gouvernement et de l’establishment, sous une forme policée et en utilisant la réputation du journal. Cette réputation, aujourd’hui, est bien celle d’une super-Pravda américaniste (en Amérique, c’est toujours mieux qu’ailleurs), et cela ne rend les articles pas moins intéressants puisqu’on peut avoir alors une information précise des intentions du gouvernement, ou du moins de son état d’esprit et des tendances qu’il considère.
L‘article du 18 juillet 2013 est donc particulièrement intéressant. Il traite essentiellement de la réaction du président US et de son gouvernement à la situation de l’affaire Snowden. Il est question cette fois d’une façon très affirmée de l’annulation du sommet avec Poutine avant le G-20, mais aussi d’autres mesures. Il est surtout évident que l’évolution de la perception, des suggestions, des sensibilités extrêmement exacerbées à Washington, où règne en maîtresse la psychologie qu’on connaît, conduit à une perspective d’un formidable élargissement de la crise Snowden. Le moteur central est, sans surprise, l’irrationalité US, qui est complète jusqu’à constituer une sorte de psychologie en soi, sans la moindre nécessité de se reporter à la réalité. La crise Snowden apparaît donc dans toute sa richesse, comme donnant la possibilité d’un énorme développement qui va se répercuter sur toutes les autres crises courantes impliquant les USA et la Russie, avec l’infection à mesure des relations entre les deux puissances. Il est difficile de distinguer quels éléments pourrait empêcher ces développements potentiels. (Les déclarations conciliantes de Poutine ne font évidemment rien dans ce sens, exacerbant plutôt le climat en sens inverse : «Nous doutons que les diverses déclarations arrangeantes de Poutine, qui joue la modération mesurée, d’ailleurs sans se forcer parce que cela répond à sa véritable conception politique basée sur la nécessité de l’entente et de l’arrangement entre les puissances, y changent quoi que ce soit, sinon à être considérées à Washington comme autant de signes de faiblesse et donc de culpabilité antiaméricaniste et “antidémocratique”, redoublant leur rage et leur fureur.» [voir le 18 juillet 2013.])
• Les principaux points relevés dans l’article du New York Times débutent évidemment par la possibilité, pas loin de la probabilité, de l’annulation du sommet de septembre Poutine-Obama à Moscou, la président US étant sur la route du G-20 à Saint-Petersbourg. Le point nouveau, premier signe de l’extension de la crise Snowden, est que cette mesure éventuelle n’est pas présentée comme liée à la seule affaire Snowden, mais d’une façon générale à l’absence de perspectives du sommet, – nouvelle interprétation complètement surprenante par rapport aux précédentes affirmations US. (« While the White House may be using the meeting as leverage to win cooperation as it seeks the return to the United States of Mr. Snowden, who is now staying at a Moscow airport, the reconsideration also reflects a broader concern that the two countries are far apart on issues like Syria, Iran, arms control and missile defense.») Selon cette logique, d’ailleurs, on se demande évidemment pourquoi le sommet n’est pas encore annulé du côté US, puisque, crise Snowden mise à part, il s’avère qu’Obama n’en attendrait rien de positif. Au reste, on admettra que le précédent du G-8 au Royaume-Uni n’était pas encourageant, avec une rencontre Poutine-Obama glaciale ; simplement, on se demande ce qu’ont signifié les diverses gesticulations d’Obama (voir le 27 mars 2012), sinon à constituer un montage de communication dont on se demande (suite) l’intérêt diplomatique qu’il apporte. Chercher une rupture qui serait programmée à l’avance par la redoutable vista planificatrice des USA (largement démontrée depuis 9/11 par les nombreux succès accumulés) aurait dû conduire à trouver une autre occasion que la crise Snowden où les USA n’ont pas la position la plus vertueuse.
• A côté de cette perspective, désormais à qualifier de “minimaliste”, il y a des recommandations plus ambitieuses et plus hautement stratégiques, par exemple pour que le président US n’aille pas en Russie, tout simplement : ni sommet avec Poutine, ni G-20 à Saint-Petersbourg. C’est le redoutable stratège du Congrès Lindsay Graham qui donne ce conseil avisé. (Graham voudrait un changement de lieu du G-20, c’est-à-dire nulle part en Russie certes – pourquoi pas à Tel-Aviv, ou à Fort George G. Meade, dans le Maryland, dans les locaux du quartier-général de la NSA.) L’on constate qu’il n’est même plus question dans son chef de Snowden, mais de la Syrie et de l’Iran, ce qui montre l’ubiquité roborative de la crise Snowden. («“President Obama, should you go to St. Petersburg, Russia, for the G-20 summit if they give Snowden asylum and they don’t change their policy toward Syria and continue to help Iran?” Mr. Graham said Wednesday on “The Lead With Jake Tapper” on CNN. “Should you go? My advice to you is, I wouldn’t go to St. Petersburg. I would ask for a change of venue.”)
• Du coup, tous les autres domaines de désaccord entre les USA et la Russie, vus du point de vue US, sont évoqués pour argumenter à propos de l’inutilité de ce sommet. Par exemple, la question des réductions des armements, qui semblait jusqu’ici être le sujet favori d’Obama et celui dans lequel il mettait tous ses espoirs. (Le président US est préoccupé essentiellement de laisser un legs dans l’histoire comme président. On le comprend et on comprend qu’il y a du boulot. C’est dans ce domaine de l’apaisement des armes stratégiques et nucléaires qu’il aimerait exercer le plus complètement sa vertu de grand homme historique.) On découvre donc qu’il n’y a pas beaucoup d’espoir de quelque accord que ce soit, devant une Russie qui ne cesse de se renforcer militairement et d’agir partout dans ce sens, – selon la conception US, qu’on peut juger effectivement très rationnelle et superbement planifiée.
«Mr. Obama announced in a speech last month in Berlin that he wanted to negotiate another round of arms cuts with Russia, cutting each side’s stock of deployed strategic warheads by another third beyond the New Start treaty signed in his first term. [...] But Mr. Putin has publicly linked further reductions to a range of other strategic issues, including American plans to build a missile defense system in Europe, and has insisted on bringing in other nuclear powers. Privately, American officials say they have received no real response to Mr. Obama’s overture, or any other indication of any policy breakthrough to justify the Moscow meeting.
»Ashton B. Carter, the deputy defense secretary, said that the reductions made no sense unless Russia agreed to commensurate cuts. “The goal is to get Russian reductions,” he said in an interview at the Aspen Security Forum. He said that by doing so, the administration hoped to make a case for eliminating North Korea’s small arsenal and dissuading Iran from building a weapon. Some Republicans in Washington expressed concern on Wednesday at reports that Russia was violating its obligations under the Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty of 1987. Last month, Mr. Putin publicly questioned the utility of that treaty.»
• Bref, le sommet prend des allures si catastrophiques dans ces jugements divers qu’il deviendra bientôt impératif de l’annuler comme une sorte de mesure de prévention sanitaire, selon la logique absolument rationnelle des USA, et des narrative qui vont avec. Les experts-Système se sont mis au travail. Désormais, ce sont toutes les relations entre la Russie et les USA qu’ils mettent en cause, voire l’utilité de l’existence même de ces relations. (Ce qui apparaît finalement dans ce jugement de l’experte citée ci-dessous, la prudence du phrasé n’excluant nullement la vigueur du fond : «And it raises the question for the Obama administration — Russia’s not going to be a high priority for the rest of the term.») La logique, poussée à son terme comme dans toute approche rationnelle qui caractérise la démarche des experts, pourrait finalement conduire à conclure que la Russie n’existe pas et que Obama n’a plus qu’à “zapper” ; l’on découvrirait alors que toute cette affaire Snowden n’est même pas un coup monté, mais qu’elle n’existe simplement pas, puisque Moscou et son aéroport n’existent pas plus que la Russie elle-même. Ainsi les USA auraient-ils enfin affirmé leur empire incontestable sur le monde. Tout cela, excellente mesure de la raison et de la prospective US. Le triomphe est garanti.
«Angela E. Stent, a former national intelligence officer on Russia now at Georgetown University, said Obama administration officials were questioning the Moscow meeting because they were “not clear what will actually be signed,” even if Mr. Snowden’s case was resolved by then. “There seem to be significant gaps between the Russian and U.S. sides on these important issues such as Syria, missile defense and arms control,” she said. Dr. Stent, author of a coming book on Mr. Putin and Russian-American relations, said she could not recall another time since the cold war that an American president had called off a meeting that was already scheduled. “If they do cancel that part of the summit, that’s unprecedented since the collapse of the Soviet Union from the American side,” she said. “And it raises the question for the Obama administration — Russia’s not going to be a high priority for the rest of the term.”»
• Notons en une sorte d’addendum, pour nous rassurer tout de même sur l’existence terrestre de Edward Snowden, dans tous les cas hors de la Russie, et pour nous rassurer également sur la vigilance US face à ceux qui montrent une attitude déplaisante à l’encontre de la Grande République : l’article du NYT ne manque pas de signaler qu’on est également très peu satisfait de la Chine dans cette affaire (dito, la crise Snowden, si l’on ose dire). Ainsi en est-il de la Chine malgré sa discrétion et son habileté, c’est-à-dire de Hong King... «The Snowden episode has likewise harmed American relations with China after Mr. Snowden initially fled to Hong Kong and was then allowed on a plane to Moscow despite an American request for his arrest. The American consul general in Hong Kong on Thursday said the case had sowed distrust and called into question the city’s supposed legal autonomy. “It will take some time to repair the damage there,” Stephen M. Young, the consul general, who will leave his post by the end of the month, said in departing remarks. “We were frankly disappointed by the way our colleagues here in Hong Kong” handled the situation.»
• Enfin, pour boucler le florilège, cette fois plutôt comme post-scriptum, on signalera que la Maison-Blanche n’a pas manqué de gravement condamner la condamnation de Aleksei A. Navalny, un dirigeant de l’opposition à Poutine, au nom des droits de l’homme et de la démocratie. Navalny, au contraire de Snowden, existe sans le moindre doute, et la duplicité de la Russie par conséquent... La Pravda formule Politburo s’agite dans sa tombe, rétrospectivement honteuse du pauvre travail qu’elle a fourni in illo tempore, lorsqu’on considère l’excellence et les performances auxquelles parvient le New York Times.
Mis en ligne le 19 juillet 2013 à 08H30
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