Fascination de la Civil War

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Fascination de la Civil War

Il est des références, des affluences et des intérêts qui parlent bien plus que toutes les enquêtes statistiques du monde. Il s’agit d’un éditorial du Washington Times du 7 août 2012 qui, jusqu’à hier (16 août 2012), était en tête des lectures des articles de ce quotidien (3ème aujourd’hui), qui a regroupé durant ce laps de temps le nombre phénoménal pour ce journal de 3.134 commentaires de lecteurs.

Le titre et son sous-titre expliquent déjà, pour une bonne part, le succès de la chose, en rassemblant deux thèmes obsessionnels de l’inconscient et de la psychologie américanistes : «The Civil War of 2016 – U.S. military officers are told to plan to fight Americans» Nous reproduisons le texte, – court comme tout éditorial, – dans son intégralité.

«Imagine Tea Party extremists seizing control of a South Carolina town and the Army being sent in to crush the rebellion. This farcical vision is now part of the discussion in professional military circles.

»At issue is an article in the respected Small Wars Journal titled “Full Spectrum Operations in the Homeland: A ‘Vision’ of the Future.” It was written by retired Army Col. Kevin Benson of the Army's University of Foreign Military and Cultural Studies at Fort Leavenworth, Kan., and Jennifer Weber, a Civil War expert at the University of Kansas. It posits an “extremist militia motivated by the goals of the ‘tea party’ movement” seizing control of Darlington, S.C., in 2016, “occupying City Hall, disbanding the city council and placing the mayor under house arrest.” The rebels set up checkpoints on Interstate 95 and Interstate 20 looking for illegal aliens. It's a cartoonish and needlessly provocative scenario.

»The article is a choppy patchwork of doctrinal jargon and liberal nightmare. The authors make a quasi-legal case for military action and then apply the Army's Operating Concept 2016-2028 to the situation. They write bloodlessly that “once it is put into play, Americans will expect the military to execute without pause and as professionally as if it were acting overseas.” They claim that “the Army cannot disappoint the American people, especially in such a moment,” not pausing to consider that using such efficient, deadly force against U.S. citizens would create a monumental political backlash and severely erode government legitimacy.

»The vision is hard to take seriously. As retired Army Brig. Gen. Russell D. Howard, a former professor at West Point, observed earlier in his career, “I am a colonel, colonels write a lot of crazy stuff, but no one listens to colonels, so I don't see the problem.” Twenty years ago, then-Air Force Lt. Col. Charles J. Dunlap Jr. created a stir with an article in Parameters titled “The Origins of the American Military Coup of 2012.” It carried a disclaimer that the coup scenario was “purely a literary device intended to dramatize my concern over certain contemporary developments affecting the armed forces, and is emphatically not a prediction.”

»The scenario presented in Small Wars Journal isn't a literary device but an operational lay-down intended to present the rationale and mechanisms for Americans to fight Americans. Col. Benson and Ms. Weber contend, “Army officers are professionally obligated to consider the conduct of operations on U.S. soil.” This is a dark, pessimistic and wrongheaded view of what military leaders should spend their time studying.

»A professor at the Joint Forces Staff College was relieved of duty in June for uttering the heresy that the United States is at war with Islam. The Obama administration contended the professor had to be relieved because what he was teaching was not U.S. policy. Because there is no disclaimer attached to the Small Wars piece, it is fair to ask, at least in Col. Benson's case, whether his views reflect official policy regarding the use of U.S. military force against American citizens.»

(N.B. : le texte de l’édito a reçu, depuis sa parution, une mise à jour signalant que «<[t]he standard Defense Department disclaimer was added to the article after The Washington Times drew attention to the omission».)

Tout est remarquable dans cette affaire tellement accessoire qui parvient pourtant à rassembler symboliquement de manière assez juste les courants essentiels charriés par le système de la communication, influencés par les psychologies américanistes et qui, en retour, influencent eux-mêmes ces psychologies américanistes, l’ensemble formant la crise identitaire et déstructurante que nous jugeons terminale des États-Unis d’Amérique. Il s’agit de caractères obsessionnels qui parcourent la société américaniste en crise profonde, une société dont la psychologie collective présente est totalement militarisée et qui se heurte ainsi aux aspects historiques fondamentaux du projet américain originel qui rejetait absolument la militarisation, non par vertu mais par hostilité au système ancien (européen) et selon le critère fondamental qu’une société basée sur l’économisme, le rapport de l’argent, etc., n’a aucun besoin d’un encadrement militarisée jugé intrinsèquement antagoniste, avec son cadre gouvernemental centralisateur nécessairement puissant, de cette doctrine économiste fondamentale. (La seule force armée constitutive et instituée prévue dans la Constitution est une marine de guerre dont la mission est d’assurer les voies maritimes pour permettre le commerce, autre branche essentielle de l’économisme.)

• L’article de Small Wars Journal mis en évidence par l’éditorial est effectivement remarquable dans la mesure où il ne propose pas essentiellement un scénario fictif d’intervention militaire dans la situation intérieure américaniste, mais où il semble tenir cette intervention pour inéluctable et qu’il offre une étude tactique des formes opérationnelles de cette intervention. Le “scénario” n’est alors là que pour substantiver les formes d’intervention proposées. La possibilité de cette sorte d’intervention est aujourd’hui évoquée avec une insistance extraordinaire sur nombre de sites influents aux USA, à partir de supputations mais aussi d’informations diverses, que ce soit concernant l’entraînement des forces US (conformément à l’article mis en cause), que ce soit concernant la question largement documentée d’acquisitions diverses des forces de l’ordre pour faire face à des troubles, notamment l’acquisition massive de munitions pour les combats de rue et autres, notamment par le DHS (ministère de la sécurité intérieure).

• Donc, le “scénario” n’a pas d’importance, et pourtant il a un écho formidable parce qu’il va, sans doute inconsciemment, aux sources du malaise actuel. La première de ces sources est, justement, dans l’antagonisme entre la nécessité proposée en théorie de l’interventionnisme militaire US aux USA même, comme si le but final des entreprises guerrières incontrôlables et lancées dans toutes les directions par le Système devaient naturellement trouver leur conclusion et leur apothéose dans une action aux USA même, contre les citoyens américains eux-mêmes. Il s’agit alors, dans le “scénario” choisi, des classes supposées les plus vertueuses par ceux-là même qui, dans la droite républicaine, soutiennent l’interventionnisme militariste US, les classes qu’on perçoit comme rassemblées dans Tea Party. Il est de peu d’importance que Tea Party soit dans un processus de dissolution accéléré par rapport à ce qu’il était auparavant. Ce qui compte ici est le symbole de l’aspect populaire et populiste de l’“insurrection” Tea Party, en référence aux valeurs originelles du Système, et notamment aux valeurs anti-gouvernementale et anti-centralisatrice autant qu’en protestation contre les aspects antiaméricains, économiques et institutionnels, de la globalisation… (Tout cela était très bien vu par notre “barbare jubilant” prémonitoire, Ralph Peters, encore colonel de l’U.S. Army en 1997 lorsqu’il publia son texte fameux [voir le 22 mars 2003], où l’on trouve ceci notamment : «…These noncompetitive cultures, such as that of Arabo-Persian Islam or the rejectionist segment of our own population, are enraged. Their cultures are under assault; their cherished values have proven dysfunctional, and the successful move on without them. The laid-off blue-collar worker in America and the Taliban militiaman in Afghanistan are brothers in suffering.»)

• Ce point de l’opposition au gouvernement et à la centralisation amène à une autre obsession, qui est celle de la Civil War, de la décomposition et de la dissolution éternellement menaçantes de l’ensemble, de l’Union des États. Là encore, l’éditorial autant que l’article mettent en évidence des malaises qui tiennent à des contradictions psychologiques puissantes, nées des pressions de l’évolution du Système, surtout aux USA ; ces contradictions, entre les origines où la norme était anticentralisatrice, et la situation actuelle de l’existence d’un puissant gouvernement central, caractérisé par l’interventionnisme militaire, et l’interventionnisme devenant ainsi symbole et bras armé de cette centralisation forcée. Ainsi, le Tea Party, soutenu par le parti républicain connu pour son patriotisme agressif, se trouve-t-il être dans le “scénario” la cible des forces armées (également soutenues par le parti républicain par patriotisme), notamment parce que son action remet en cause le statut du pouvoir central. Qui est patriote ? Celui qui se bat contre un gouvernement central fort ? Celui qui est pour des forces armées puissantes et interventionniste ? Le parti républicain, et le Washington Times, sont favorables aux deux, ce qui est bien malaisé… Curieusement, le titre de l’édito met en évidence, d’une façon dramatique et tout aussi curieusement provocatrice, cette impasse et le risque majeur qu’elle fait courir, – la “Guerre Civile”, la vraie, pas celle qu’on camoufle sous des arguments humanitaires, mais celle qui débat par la violence de l’opposition entre structuration et déstructuration.

…Initiative d’autant plus étrange, ou bien significative, ce titre de l’éditorial («The Civil War of 2016»), alors que celui de l’article incriminé renvoie simplement à l’aspect technique d’une intervention des forces armées : «Full Spectrum Operations in the Homeland: A “Vision” of the Future.»… Finalement, initiative plus significative qu’étrange, puisque, après tout, le titre résume complètement le sens de notre propos. Enfermée dans tant de contradictions imposées par le Système et l’affaiblissement des psychologies des directions politiques que ce Système suscite, la situation des USA semble de plus en plus ne pouvoir se résoudre que par l’affrontement d’une forme ou l’autre de “guerre civile”, encore plus que par la militarisation de la situation. Il est significatif qu’on trouve dans les très nombreux commentaires de l’édito, des interventions (anonymes, certes) de lecteurs se présentant comme officiers, et affirmant que nombre de soldats et d’officiers préfèreront passer du côté des “insurgés” plutôt que de leur tirer dessus, au cas où la chose se ferait...


Mis en ligne le 17 août 2012 à 19H32