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1608L’ancien Premier ministre François Fillon est un excellent homme, comme ils le sont tous, peu ou prou. Qui n’a été ému devant ses larmes d’une sincère affliction, pour saluer son mentor, Philippe Séguin, lorsque Séguin nous quitta, – autre homme excellent, Séguin, insupportable dans ses relations, incapable de réaliser ses ambitions à la mesure de sa hauteur en politique, parce que pas assez médiocre ni assez bas. (Cela, Séguin, comme son mentor incognito, Michel Jobert, autre perdant par absence de médiocrité et de bassesse.) Bref, c’est dit, – nous aurions facilement une sympathie spontanée pour Fillon… Jusqu’à nous poser cette question qui tue, pour son bien à lui : qu’est-il allé faire dans cette galère (celle de Sarko, homme réduit à sa faiblesse ultime de postmoderniste achevé et déguisé en président) ? L’ambition, certes, ne devrait pas expliquer tout.
…Mais venons-en au fait, qu’on a déjà accessoirement signalé ce 14 août 2012, qui est une tribune de Fillon dans Le Figaro du 13 août 2012 : «Un peu de courage, monsieur le Président». Ce qui est remarquable, dans cette plaidoirie, c’est la justesse roborative du propos et l’incohérence vertigineuse de l’argument.
Réglons d’abord deux “détails”, deux affirmations très courtes qui valent le coup d’œil, mais qui, en plus, ont la vertu douteuse d’être essentielles et la charge épuisante de tenir complètement la logique argumentaire du propos ; elles apparaissent par conséquent comme deux béquilles branlantes et pourries soulignant leur fausseté complète “et l’incohérence vertigineuse de l’argument” .... On les mettra de côté, pour mieux les admirer dans leur limpide vacuité, leur grandiose inversion ; deux affirmations, à la fois totalement gratuites, qu’on peut raisonnablement considérer comme complètement erronées, qui relèvent de la pure auto-désinformation qui gangrène absolument le bloc BAO, qui montrent combien la plaidoirie BAO a besoin, même si le plaideur est de bonne culture et d’esprit acceptable, de l’une ou l’autre affirmation spéculative très, très proche du plus grossier mensonge ou de la plus grossière ignorance, que le simple bon sens spéculatif et relativement informé permet d’écarter d’un simple haussement d’épaule. D’abord ceci : «… un Iran qui reste la menace numéro un pour la paix dans le monde», ce qui est une complète absurdité historique, stratégique, idéologique, technologique, opérationnelle, pour un pays soumis à une menace permanente d’agression illégale depuis des décennies et singulièrement depuis dix ans, complète absurdité qui ne vaut pas deux lignes, ni deux mots de discussion, – point final. Ensuite, ceci : «Que Poutine lâche le régime syrien, et il tombera comme le fruit pourri qu'il est», ce qui est une spéculation complètement faussaire à la lumière de l’interventionnisme illégal et déstructurant des pays, pourris pour la plupart, qui veulent la chute d’Assad, une spéculation aujourd’hui complètement ridiculisée par les faits qui montrent justement la solidité de ce régime et l'hostilité grandissante de la population à l’encontre des rebelles, tout cela documenté par une lecture normale de ce qui paraît partout hors des sentiers-Système battus et rabâchés ; rien de plus, là non plus discussion inutile, – point final…
Nous extrayons ceci ou cela du propos de Fillon, qui nous semble avoir de l’intérêt, – et commentons à mesure, pour le bien de “la justesse roborative du propos”…
• D’abord, il ridiculise l’intention du président Hollande d’appuyer une intervention militaire de la France si l’ONU autorise cette intervention, – ce qui est charger Hollande d’une façon bien spécieuse d’une intention dont on sait bien qu’il ne l’a pas vraiment, en plus lorsqu’on sait la réalité des choses à l’ONU… Fillon poursuit : «J’ai toujours pensé qu'une telle intervention militaire serait une très grave erreur stratégique. Faire de la Syrie un nouvel Irak, théâtre des pires affrontements entre chiites et sunnites manipulés en sous-main par un Iran qui reste la menace numéro un pour la paix dans le monde, n'est pas une option. Sans compter que la Russie n'apportera jamais son soutien à une telle initiative; pire, elle la combattra sur le plan diplomatique, mais aussi avec d'autres moyens dont elle a gardé la maîtrise. Si l'on veut vraiment allumer la mèche d'un conflit généralisé au Proche et au Moyen-Orient et recréer les conditions d'une nouvelle guerre froide, il ne faudrait pas s'y prendre autrement.»
Rien que du bon sens dans ce propos, et de la solide analyse politique, certes. Il faudra tout de même expliquer comment Fillon explique, lui, que l’homme qu’il a servi avec constance et fidélité et qu’il couvre de fleurs dans la première partie du texte, ce qui signifie qu’il l’approuve de bout en bout dans toutes ses initiatives, vient de sortir de son “silence de réserve” de trois mois pour recommander d’appliquer d’urgence à la Syrie le “scénario libyen”, qui n’est pas autre chose qu’“une intervention militaire”, c’est-à-dire “une très grave erreur stratégique” selon Fillon.
• Puis Fillon parle des arguments russes pour justifier la politique russe en Syrie, et il n’a nullement l’air de les trouver sots ou sophistiques… «[I]l vaudrait mieux chercher à débloquer le véritable verrou de ce conflit: la position de Moscou! J'ai beaucoup parlé de cette crise avec Vladimir Poutine. Ses arguments, que je réfute, ne sont pas méprisables! Il redoute une contagion fondamentaliste à l'ensemble de la région, dont la Russie est plus proche et plus dépendante que l'Europe et l'Amérique. Il sait que les Américains auront bientôt quitté l'Afghanistan, qui risque de redevenir un foyer terroriste aux portes de la Russie. Il constate que l'intervention américaine en Irak a conduit au chaos pour longtemps. Il redoute le retour en arrière de l'Égypte aux mains des fondamentalistes. Il ne veut pas ajouter la Syrie à la liste des foyers de déstabilisation de ses frontières sud.»
…On peut même dire que Fillon expose avec empathie ces arguments russes qui sont quasiment des constats et qui rejoignent après tout ce qu’il a dit plus haut contre une intervention étrangère en Syrie, qui est d’ailleurs le fondement de la politique russe. Pourtant, dit-il, “je les récuse”, tout en jugeant qu’“ils ne sont pas méprisables” (et pour cause). Plus encore, cette position russe, qui n’est pas “méprisable”, qui rejoint son propre argument contre une intervention étrangère, voilà qu’il jette aussitôt contre elle l’anathème avec des mots sans retour (“jamais”, “nous ne pouvons pas”) : «Nous ne pouvons pas accepter cette position et nous ne l'avons jamais acceptée…» Avec cette phrase, on croirait qu’il y a un gouffre d’incompréhension entre la Russie et la France (ou l’Europe, pour lui faire plaisir, à Fillon), alors qu’il nous dit aussitôt, Fillon, que c’est entre la Russie et les USA qu’il y a ce gouffre, et que la France (l’Europe) peut “engager un dialogue” qui débloquerait cette affaire (comment “engager un dialogue” avec quelqu’un dont on ne peut accepter la position ?)… Et Fillon de nous asséner une vérité évidente de bon sens, celle d’un regard lucide, suivi de la grotesque “spéculation complètement faussaire en raison de l’interventionnisme illégal et déstructurant des pays, pourris pour la plupart, qui veulent la chute d’Assad, une spéculation aujourd’hui complètement ridiculisée par les faits”… «Ce n'est pas à New York que la crise syrienne se dénouera, c'est à Moscou. Que Poutine lâche le régime syrien, et il tombera comme le fruit pourri qu'il est.»
• Suit le passage déjà cité en d’autres circonstances (voir le 14 août 2012), avec quelques remarques que nous pouvons reprendre telles quelles. Là encore, l’esprit de la chose est excellent, mais la vérité de la situation est complètement faussaire, transformée, invertie, parce que Fillon a contribué à la mettre en place, – et nous nous demandons bien, nous, si ce ne fut pas contre son gré, ou “à l’insu de son plein gré”, parce qu’il fallait bien suivre le camarade-Président de l’époque…
«…Fillon écrit sur la fin de son article, – passant brusquement au théâtre européen, – selon une logique qui pourrait également se développer chez les Russes eux-mêmes, et pas vraiment pour notre confort : “Si j'étais François Hollande, je prendrais l'avion maintenant pour Moscou, si possible avec Angela Merkel, et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l'Otan, qui doit inclure la question de la défense antimissile à laquelle les Russes doivent être réellement associés. L'ours russe n'est dangereux que quand il a peur. Offrons-lui sans détour la perspective d'un accord historique d'association avec l'Europe.”
»(Notons, en passant, l’optimisme roboratif de l'excellent Fillon qui semble que croire que Hollande, voire Hollande-Merkel sont capables, à eux seuls, d’apporter à la Russie la proposition d’une véritable association dans le programme des antimissiles… A-t-il déjà entendu parler du Pentagone, Fillon ? A moins qu’il ne songe à un programme qui ne soit ni OTAN ni US, et dans ce cas, – développez, Fillon, développez, c’est intéressant… Peut-être même auriez-vous vous-même déjà lancé l’affaire, dont tous les éléments étaient déjà présents, avant votre départ de Matignon, non ? Dites-nous vite, et informez-en le président Hollande, ou l'inverse...)»
• Il termine donc, Fillon, par quelques évidences qui rejoignent la saine vision politique qu’il déploie, entrecoupée des habituelles billevesées qui constituent l’essentiel des “things for thought” (démocratie, “droitsdel’hommisme”, la doctrine “McFaul, Madonna & Pussy Riot”, etc.), – “things for thought”, comme disent nos experts anglo-saxonnisés, ces diplomates chargés de donner de la “matière à réflexion” pour l’élaboration d’une politique… D’où nous mettons en gras ce qui importe, le reste du domaine des billevesées : «Ce que François Hollande ne comprend pas, c'est qu'il faut ancrer la Russie à l'espace européen. Je sais bien que les diplomates trouveront dix mille raisons qui empêchent cette avancée historique: l'insuffisance de l'État de droit en Russie, l'instabilité des règles juridiques et commerciales, la corruption… Tout cela est vrai mais tout cela ne peut justifier que nous restions inactifs face au piège infernal qui est en train de s'armer aux confins de la Perse, de la Mésopotamie et l'Assyrie.»
• … La fin des fins vaut son pesant de cacahuètes sarkozystes, comme si Fillon se disait soudain “mais oui, je suis gaulliste, souverainiste, n’ai peur de rien, moi”, et celui qui a conduit-en-second la France à réintégrer l’OTAN, à copiner avec les Anglo-Saxons jusqu’à plus soif, à “bhéléviser”, etc., le voilà qui exhorte Hollande, – sinon à la de Gaulle, au moins à la Séguin des grands jours, fustigeant la bourgeoisie atlantiste française et envisageant une refonte de «la belle et bonne alliance» du général : «Que notre président normal… […] prenne des risques, qu'il abandonne ses postures bourgeoises et atlantistes version guerre froide. Qu'il parle avec la Russie…» …Pas si mal, ce Fillon-là.
Tout cela mérite un commentaire, et nous nous y emploierons un jour ou l’autre plus largement que nous faisons ici. Ce commentaire pour l’instant réduit, c’est celui du constat que les rares esprits acceptables qui travaillent dans le Système sont contraints, pour dire certaines choses, à des gymnastiques extraordinaires entre quelques idées justes et une argumentation de narrative faussaire, nihiliste, invertie, d’une bassesse et d’une pauvreté extrêmement éprouvantes. Quelque esprit fort laisserait tomber avec assurance que cela a toujours existé ; on devrait lui répondre que si la bassesse et la pauvreté ont toujours existé, elles n’ont jamais tenu comme aujourd’hui le haut du pavé par décret imprescriptible du Système, comme condition sine qua non de la position et, surtout, selon l’affirmation officielle que bassesse et pauvreté de l’esprit représentent la hauteur et la richesse de l’esprit. Cette parfaite subversion du sens débouchant sur l’inversion de la politique représentent une révolution de substance, et cette révolution est le fait d’un phénomène psychologique hors de notre conscience bien plus que d’une vague explication moralisante que le Système aime bien entretenir comme un de ses faux-nez favori. (C’est sur ce point précis, bien sûr, que nous reviendrons.)
Pour le reste, l’Histoire est pleine de grands esprits qui surent et purent parler et agir, souvent en conformité avec cette phrase fameuse (pour nous) du général de Gaulle (Mémoires de guerre) : «Tout peut un jour arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique.» Nous dirions qu’avec son article, et parce que cet article remet à l’honneur la grande idée essentielle aujourd’hui de la nécessité de la «la belle et bonne alliance» (vraiment, laissons l’Europe hors de tout cela), il sera beaucoup pardonné à Fillon ; cela ne l’exonère pas de la tâche herculéenne de parvenir enfin un jour à nous dire ce qu’il pense complètement, en semant son garde-chiourme BHL, par exemple pendant que l’autre est en vacances, au soleil du printemps arabe éclairant le Maroc.
Mis en ligne le 15 août 2012 à 09H54
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