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163415 juillet 2011 — Qui pouvait dire ? Qui pouvait croire ? Qui pouvait penser? Et ainsi de suite… L’affaire Murdoch, devenue le “scandale Murdoch”, est désormais la “crise Murdoch”, et c’est bien une “crise globale”. Mais c’est d’abord une révolution à Londres, peut-être la Révolution encore plus qu’en 1649. On ne décapitera pas une nouvelle fois Charles Ier (pardon, Elisabeth II), mais Rupert Murdoch n’est pas loin du billot. Et nous-mêmes, de nous exclamer une fois de plus : la surpuissance de la dynamique d’autodestruction du Système est quelque chose d’absolument fascinant (fascination pour le bon motif).
Le Guardian, qui devrait pourtant connaître les certitudes du triomphe longuement mûri puisqu’il a réussi, quasiment tout seul, à désigner le scalp de Rupert Murdoch bien en évidence pendant au moins deux années, jusqu’au bouquet de juillet 2011, – le Guardian lui-même ne sait où donner de la plume. “Le ciel nous tombe sur la tête” (adaptation libre), titre-t-il, pour son édito du 14 juillet 2011… Chacun sa prise de la Bastille, dear.
«It is a measure of how much has been achieved in this revolutionary week that by the time David Cameron set out details of the inquiry into media and police standards on Wednesday lunchtime, and News Corporation announced it was dropping its bid for BSkyB soon after, both things seemed natural and unavoidable. A wave of public and political contempt is reshaping the landscape. At the start of the month no senior politician dared defy Rupert Murdoch. Now, all of them have. Party leaders united around the terms of the inquiry and the Labour-sponsored Commons debate – itself presaged by the collapse of the deal it had been arranged to condemn. […]
»The world is changing…»
De quelque côté qu’on se tourne, le désastre est total et continue sa ronde insensée. Concernant la rapidité avec laquelle le clan Murdoch a laissé tomber la conquête totale (de 39% à 61% des actions) de BSkyB, dont le fils Murdoch pourrait même perdre la présidence, le Guardian note, le 13 juillet 2011 : «Even close observers of the Murdochs and News Corporation were surprised at the speed of this week's events. How could a bid that was so prized and that had seemed so inevitable a few days earlier have been dumped in such ignominious circumstances?» Encore ne nous parle-t-il pas (on ne le savait pas encore) de l'audition devant une commission des Communes des Murdoch père et fils la semaine prochaine, ni de la démission de Rebekah Brooks de la direction de News International, UK, en milieu de journée de ce 15 juillet 2011.
La danse du scalp est transatlantique, désormais sans le moindre doute. Ilyse Hogue, de MediaMatters.org, site extrêmement actif sur le sujet, résume le sentiment général, sur MSNBC, où elle est invitée en permanence, ce 13 juillet 2011 : «Murdoch Hacking Scandal Is Gathering Steam Every Day.» Eliot Spitzer, l’ancien gouverneur de New York entend prendre sa revanche ; il doit juger que la cause de sa démission (révélations sur la fréquentation et la consommation régulière d’une chaîne de prostitution) est un bien faible péché comparé à ce qu’on sait de Murdoch. Il annonce (sur Slate, le 13 juillet 2011) qu’une enquête pour corruption contre le groupe Murdoch est nécessaire, très vite, aux USA. Il est exaucé. La nouvelle a été publiée partout, selon laquelle le FBI a ouvert une enquête sur les possibles activités illégales et honteuses de journalistes du groupe Murdoch au préjudice des familles des victimes de l’attaque 9/11, cela à la demande du député de New York à la Chambre des Représentants, Peter King. (Voir le Daily Telegraph du 15 juillet 2011 ou The Independent du même 15 juillet 2011.) Les actions du groupe ont perdu 3,1% de leur valeur en une heure à l’annonce de la nouvelle, soit une valeur marchande de $1 milliard.
La danse du scalp est désormais transatlantique, c’est-à-dire qu’elle est globale et qu’elle attaque subrepticement la base idéologique de l'ensemble anglo-saxon (ou “anglosphère”), et, au-delà, de la politique générale prédatrice et déstructurante du bloc américaniste-occidentaliste (BAO) ; c'est-à-dire, le corpus fondamentalement politique que représente le groupe Murdoch, par le biais absolument essentiel pour le fonctionnement de l'ensemble de la puissance d’influence énorme que constitue l’activité du groupe utilisée par ses relais idéologiques, orchestrée par Murdoch lui-même. C’est bien une évolution fondamentale du “scandale Murdoch”, effectivement stupéfiante par sa rapidité.
Ce qui fait la puissance politique per se du groupe Murdoch, c’est la formidable puissance de sa capacité masquée d’influence idéologique, qui est du type de la dissolution des normes classiques restantes depuis qu’elle est active (depuis 10-15 ans). C’est cette action qui a imposé en bonne partie, et en sous-main, cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” qui est totalement déstructurante d’une approche politique courante, hiérarchique, ordonnée, etc.
Il y a effectivement une activité médiatique considérable du groupe, par définition, et un traitement donné de l’information, qui s’effectue sur l’arrière-plan des méthodes qu’on connaît, désormais mises à jour, par le scandale suscité, la pression, l’intimidation, la corruption, donc l’illégalité achevée. Cette activité médiatique est nécessairement disparate et manque de cohérence et de cohésion du point de vue politique ; elle n’apparaît alors pas comme “politisée”. Le “génie” de Murdoch, mu par un puissant instinct de dissolution de l’ordre courant de la civilisation, c’est d’avoir continuellement transmuté cette puissante agitation disparate en une pression précise d’une ligne idéologique cohérente et parfaitement descriptible (par exemple, l’idéologie des neocons) sans pourtant laisser voir au grand jour ce lien entre elle-même et l’activité médiatique. Murdoch a toujours maintenu un “sas” de séparation entre l’un et l’autre dans la description apparente de ses activités (ce qu’on nomme la “connaissance” de ses activités). Ce sas était (est, parce qu’il le reste pour l’instant, mais en cours d’effondrement) un masque qui a toujours contribué à dissimuler, pour le grand public et la “connaissance” officielle de la chose, la correspondance entre les deux.
Dans l’occurrence actuelle, le “sas” devient une faille par laquelle se glisse un facteur de dissolution de cette capacité d’influence d’une formidable puissance au service d’une idéologie. Ainsi, l’idéologie est-elle indirectement mais fondamentalement mise en cause par la perte de ses forces de soutien de la pression médiatique et illégale, sans qu’il soit nécessaire d’un débat idéologique où la puissance médiatique pourrait fournir de formidables munitions à Murdoch pour riposter. Il s’agit d’un retournement complet de la dynamique générale, qui singe le processus d’autodestruction du Système : la puissance même de Murdoch se retourne contre lui, sous la forme de la destruction systématique de son appareil de puissance médiatique, dans les circonstances qu’on voit, et nullement selon un motif idéologique mais selon un motif de “moralité” quasiment intouchable selon la pensée-Système, auquel le Système, qui a établi lui-même ces “règles” de moralité, ne peut qu’apporter sa puissante contribution. (Effectivement, opération d’inversion, mais vertueuse dans ce cas, de la dissolution du facteur de dissolution qu’implique l’activité d’influence idéologique de Murdoch.)
(Nous avons également, là, un phénomène dont l’efficacité relève de la position dite d’inconnaissance. La “connaissance” extrême, c’est-à-dire quantitative, de l’activité du grouper Murdoch reproduit la même rupture, le même “sas” et la même dissimulation entre ses activités médiatiques et sa réelle influence de dissolution au niveau idéologique. Elle conduit à continuer à rester aveugle sur la réalité de l’effet qualitatif des dynamiques en présence, notamment dans la situation de son fonctionnement avec ce “sas” et, désormais, de sa destruction accélérée, cette transformation du “sas” en “faille”. L’inconnaissance permet d’écarter la contagion maligne de la connaissance quantitative, en choisissant, selon le savoir qu’on en a, une approche qualitative du cas. On peut ainsi décrire un processus où toutes les techniques maléfiques du Système sont retournées contre lui.)
Dans cette dynamique formidable où le “scandale Murdoch” est devenu une “crise Murdoch”, le cas se transforme à une vitesse stupéfiante, et involontairement bien sûr, en un système antiSystème d’une prodigieuse puissance, – à mesure, certes, des puissances impliquées dans l’affaire. C’est le tissu même de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” qui est ainsi érodé dans un processus de dissolution sans que personne n’en ait conscience immédiatement. La puissance de la dynamique de la machinerie de répression du Système selon ses propres règles, cette fois contre un de ses principaux manipulateurs, un de ses principaux atouts, – Rupert Murdoch lui-même, – est effectivement prodigieuse et ne laisse aucune instant, aucun souffle, pour réaliser l’ampleur du désastre en cours de manufacture pour le Système.
Cela ne signifie pas qu’une autre politique, une autre idéologie va remplacer cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” qui est la transcription de l’influence idéologique de la machinerie Murdoch avec d’autres éléments, tout cela au nom du Système. Nous sommes dans une phase de destruction et de dissolution du Système, qui correspond à sa capacité subversive (pour lui-même) d’autodestruction. Ce processus doit aller à son terme, c’est-à-dire se poursuivre avec la déstructuration du Système de toutes les façons, là aussi retournement contre le Système de ses propres méthodes qui ont abouti, grâce à sa surpuissance, à l’établissement d’un empire absolu par son hermétisme. Seul le Système peut détruire le Système, évidemment. Ce processus doit aller absolument jusqu’à son terme.
L’intérêt de la chose dans la “crise Murdoch” est que le processus ne montre aucun signe d’essoufflement, au contraire qu’il continue à accentuer sa dynamique destructive. Il faut voir jusqu’où cette dynamique va aller… Il faut voir quelle force de pénétration des psychologies possède ce processus, dans le même sens de dissolution des attitudes psychologiques asservies au Système. Au vu de ce qui se passe à Londres (voir le début du texte), les augures sont jusqu’ici favorables. Là aussi, il faut voir ce qui se passera dans les semaines prochaines, la durée et la profondeur du phénomène à Londres jusqu’au constat ou non qu’il y a un basculement psychologique, savoir si une réplique de cette dynamique psychologique a lieu ou pas à Washington. Ce qui nous importe est l’effet psychologique profond jusqu’à la réalité structurelle d’un basculement psychologique, – et tout cela reste encore à voir. (On peut observer tout de même que cette poussée rencontre un terrain favorable à Washington, avec les diverses évolutions psychologiques, notamment au sein du parti républicain.)
Nous donnons à l’analyse ci-dessus le renfort d’une description du processus que nous nommons “du fait divers à la crise-Système”, ou le mécanisme qui décrit la transformation de ce qui n’est, au départ, techniquement, qu’un “fait divers à scandale”, en une crise majeure pour le Système. Il s’agit d’un extrait de la rubrique Perspectives, du numéro de dde.crisis du 10 juillet 2011.
«Depuis qu’il intervient à ciel ouvert, sans opposition sérieuse et dans le cadre de sa poussée déstructurante (le “déchaînement de la matière”), c’est-à-dire depuis 1989-1991 et, surtout, depuis 9/11, le Système a agi, systématiquement comme il se doit, pour éliminer toute manifestation efficace et raisonnable d’une politique s’opposant à sa surpuissance. Cette activité est passée par la neutralisation et la destruction des structures régaliennes et légitimes des nations et de leurs Etats, parallèlement à une intense privatisation, sous forme de dérégulation, de parcellisation des centres de puissance, et de tout l’apparat économique qui va avec. Cela a effectivement abouti à une quasi neutralisation de toute opposition politique sérieuse, – ou, disons plutôt, de “toute alternative politique sérieuse”, pour marquer le caractère absolument totalitaire du processus.
»Mais cette évolution ne supprime bien entendu pas les tensions imposées par un Système en état de déchaînement de surpuissance, en même temps qu’en mode autodestructeur. Au contraire, les tensions ne cessent de s’exacerber. Elles se signalent par des crises sans fin (guerres, violences, troubles, etc.), qui constituent des structures crisiques ou des chaînes crisiques. Cette situation ne débouche pas, ou ne débouchait pas pour autant sur quelque changement que ce soit, mais simplement (!) sur l’accumulation des tensions, puis des désordres divers. En effet, la surpuissance du Système agit également avec une très grande efficacité au niveau de l’influence, en opposant à toute tentative d’opposition politique, ou d’une alternative politique à la politique-Système, des barrages d’une extraordinaire puissance de promotion de cette même politique-Système. Tout est employé dans ce sens : terreur médiatique, virtualisme, etc.
»Il se trouve avec les affaires que nous évoquons, et surtout l’affaire Murdoch, que cette situation rencontre soudain un obstacle considérable, – ce que nous nommons “du fait divers à la crise-Système”. On en a vu le fonctionnement dans les commentaires précédents, avec la mise en évidence de la principale vertu du processus : l’attaque portée dans le cadre du fait divers contre la substance même d’organisations ou de systèmes ayant une grande influence politique ; cet aspect politique n’est pas mis en cause directement (évitant ainsi la défense politique très efficace du Système) mais il est mortellement atteint par les coups qui touchent l’ensemble.
»Bien entendu, cette situation est le fait même du Système, complètement en mode autodestructeur. C’est le Système lui-même qui a organisé, comme on l’a vu, la disparition de la politique (donc de l’opposition politique) pour concentrer toutes ses forces dans les diverses organisations capitalistes, tant celles qui dépendent du système du technologisme que celles qui dépendent du système de la communication. C’est le Système qui a permis le transfert de l’élément politique des directions politiques régaliennes vers ces diverses organisations dépendant des seules forces économiques elles-mêmes acquises au Système. Ce faisant, le Système a fait apparaître une faiblesse nouvelle, dans un univers non-régalien régi par la seule corruption, la surpuissance des valeurs vénales, etc. Les excès (corruption, surpuissance) se sont développés à une vitesse extraordinaire et se sont heurtés aux règles même du Système (qu’on continue à nommer “légalité” ou “Droit”) mises en place pour éviter le désordre général. Le résultat apparaît, aujourd’hui, avec l’affaire Murdoch.
»Il s’agit sans aucun doute d’une action majeure de la dynamique d’autodestruction du Système, qui accompagne sa dynamique de surpuissance. Le Système crée son énorme puissance d’une façon telle que cette puissance apparaisse de plus en plus vulnérable à ses propres règles de protection de son “ordre”.»
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