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834Nos lecteurs connaissent Mike Davis, un sociologue et un urbaniste extraordinairement original, qui nous a donné des réflexions politiques critiques très profondes sur le phénomène américaniste. Le 15 octobre,Tom Engelhardt le recevait sur son site TomDispatch.com, à propos de la question de la crise et du destin d’Obama, aujourd’hui donné comme très probable futur vainqueur du scrutin du 4 novembre. La réflexion de Davis est très certainement d’un très grand intérêt.
Davis commence cette réflexion par une analogie généalogique extrêmement puissante et séduisante, et que nous percevons comme très appropriée dans toute sa dimension physique. La crise est représentée comme le Grand Canyon du Colorado, ce mystère géologique que les hommes venues en Amérique mirent tant de temps à oser explorer, et qu’ils cherchent encore à comprendre dans sa véritable signification.
La crise comme un Grand Canyon de notre temps historique? «…like the Grand Canyon's first explorers, we are looking into an unprecedented abyss of economic and social turmoil that confounds our previous perceptions of historical risk. Our vertigo is intensified by our ignorance of the depth of the crisis or any sense of how far we might ultimately fall.
»Let me confess that, as an aging socialist, I suddenly find myself like the Jehovah's Witness who opens his window to see the stars actually falling out of the sky. Although I've been studying Marxist crisis theory for decades, I never believed I'd actually live to see financial capitalism commit suicide. Or hear the International Monetary Fund warn of imminent “systemic meltdown.”»
Cette ouverture de la réflexion de Davis conduit évidemment à l’élection présidentielle, tant les événements semblent ordonnés par une volonté supérieure de l'Histoire pour mettre en scène la tragédie essentielle et générale de notre temps historique; l’élection, c’est-à-dire le futur vainqueur quasi assuré, comme on nous le dit de toutes parts, qui présente cette particularité étrange qu'il connaîtra peut-être un triomphe électoral comme si l’on était assuré de sa future intervention, alors qu’il reste plus que jamais une énigme… Mais non, Davis n’y croit guère. Il revient en détail sur le précédent qui est partout, dans tous les esprits, comme une tragique ombre historique devenant en l’espace de quelques mois où l’Amérique sembla être emportée dans les abysses du Grand Canyon une image brillante de résurrection, il y a trois-quarts de siècle exactement. Obama sera-t-il un nouveau FDR? L’Histoire peut-elle recommencer?
«As a close friend, exasperated by my chronic pessimism, chided me the other day, “don't be so unfair. FDR didn't have a nuts and bolts program either in 1933. Nobody did.”
»What Franklin D. Roosevelt did possess in that year of breadlines and bank failures, according to my friend, was enormous empathy for the common people and a willingness to experiment with government intervention, even in the face of the monolithic hostility of the wealthy classes. In this view, Obama is MoveOn.org's re-imagining of our 32nd president: calm, strong, deeply in touch with ordinary needs, and willing to accept the advice of the country's best and brightest.
»But even if we concede to the Illinois senator a truly Rooseveltian or, even better, Lincolnian strength of character, this hopeful analogy is flawed in at least three principal ways…»
Davis explore effectivement les grandes différences (il en voit trois) entre la situation de 1933 et celle d’aujourd’hui. La première différence est que la situation de crise, même si elle a des analogies psychologiques évidentes avec la Grande Dépression, présente d’énormes différences du point de vue économique et financier, qui rendent les situations définitivement incomparables, – ni moins grave ni plus grave l’une ou l’autre, non, simplement les deux étant incomparables. La seconde différence est que les conceptions, les capacités de création, l'état d'esprit même des élites washingtoniennes sont définitivement coupés de tout ce qui pourrait faire un nouveau New Deal ou quelque chose d’approchant, c’est-à-dire coupés d’une résurgence possible d’un rôle fondamental de l’Etat, comme celui que l’économiste John Maynard Keynes suggérait. Davis a une formule: «Keynes, now suddenly mourned, is actually quite dead…» (Cette approche est intéressante, parce qu’elle porte sur l’impossibilité de percevoir un rôle fondamental de l’Etat, et non simplement un rôle de l’Etat équivalent à celui qu’il joua en 1933 et après. Effectivement, il s’agit de l’impuissance désormais avérée à concevoir l’idée même de la puissance publique, dans ce que cette idée a de régalien. Mais nous pensons que cette situation existait déjà en 1932-33, d’où l’échec du New Deal, parce que, simplement, l'idée régalienne de la puissance publique est substantielle à l’américanisme. De ce point de vue, malgré tous les atours qu'on lui prête, le New Deal a été une caricature d’intervention publique.)
La troisième différence, enfin, est un point que nous avons déjà abordé: la différence des circonstances extérieures, notamment la question de “la guerre”, – le fait que la guerre n’est pas la solution, comme elle fut avec FDR (c’est la Deuxième Guerre mondiale qui cloua le bec à la Grande Dépression US), mais qu’elle est l’un des gros problèmes; le fait que le complexe militaro-industriel n’est pas la machinerie qui va sauver en apparence la cohésion US puisque le CMI existe aujourd’hui, ô combien, et qu’il est ce qui tue l’Amérique en vérité.
Mike Davis est décidément pessimiste. Il ne croit pas qu’Obama sera un nouveau FDR parce que, en un sens, un “nouveau FDR” n’est plus possible. Il croit qu’Obama sera conduit aux expédients habituels, qui se résument à la course belliciste à laquelle nous sommes déjà habitués…
«True, the enormity of the economic crisis may compel President Obama to renege on some of candidate Obama's ringing promises to support an idiotic missile defense system or provocative NATO memberships for Georgia and Ukraine. Nonetheless, as he emphasizes in almost every speech and in each debate, defeating the Taliban and Al-Qaeda, together with a robust defense of Israel, constitute the keystone of his national security agenda.
»Under huge pressure from Republicans and Blue Dog Democrats alike to cut the budget and reduce the exponential increase in the national debt, what choices would President Obama be forced to make early in his administration? More than likely comprehensive health-care will be whittled down to a barebones plan, “alternative energy” will simply mean the fraud of “clean coal,” and anything that remains in the Treasury, after Wall Street's finished its looting spree, will buy bombs to pulverize more Pashtun villages, ensuring yet more generations of embittered mujahideen and jihadis.»
Certes, Davis ne parle pas de la dimension psychologique de FDR, que nous jugeons si importante que nous la séparons historiquement et fondamentalement du New Deal lui-même. Il n’est pas certain que cette dimension soit généralement prise en compte par les divers auteurs US, américanistes ou même dissidents de l’américanisme, lorsqu’ils abordent le problème historique de la Grande Dépression et de FDR. De même, une interrogation semblable existe à propos de l’interventionnisme de la puissance publique tel que nous l’avons signalé plus haut (perception de la dimension régalienne ou pas?). Cet aspect général du cas Obama, de savoir si la présidence Obama ne va pas rencontrer à son tour des conditions objectives suscitant ces questions psychologiques et de l'interventionnisme, reste en suspens, même dans l’analyse de Mike Davis nous semble-t-il. Cela constitue la seule réserve d’importance que nous ferions à propos de cette analyse de Mike David.
Rengaine: Obama reste une énigme...
Mis en ligne le 17 octobre 2008 à 09H49