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1967Hors de toute considérations juridiques, législatives et de mécanisme politique, en nous en tenant à l’esprit de la chose, nous aurions tendance à juger le vote de la Chambre des Représentants du 29 septembre comme un événement sans précédent et d’une importance considérable per se, outre le désordre supplémentaire qu’il a introduit dans la situation financière mondiale. Cette observation justifie et explique notre remarque, dans notre Faits & Commentaires de ce ce jour : «Nous autres, à dedefensa.org avons été stupéfaits par le vote de la Chambre des Représentants US hier.»
Au Congrès, certes, la Chambre est l’assemblée “la plus proche” du peuple, ou disons de l’électorat, c’est-à-dire la plus attentive aux réactions des électeurs. Elle est donc en général plus radicale et plus “populiste” que le Sénat (nous ne disons pas “plus à gauche”, cette étiquette n’ayant vraiment rien du sens européen du terme dans ce cas). D’une certaine façon, on dirait que la Chambre est plus “indépendante” par rapport aux mécanismes du pouvoir organisé hors du Congrès. Elle a déjà manifesté son “radicalisme” et son “indépendance”, notamment et surtout dans les questions économiques, de commerce, etc., et dans les questions intérieures. La correspondance entre le Président et son parti est nettement moins marquée qu’avec le Sénat; les votes se font moins selon les lignes des deux partis. On a déjà vu la Chambre paralyser l’action internationale d’un Président (Clinton privé de sa capacité de négocier des accords de libre-échange en 1996). En contrepartie, la Chambre est d’autant plus encadrée par les différentes structures du système au niveau parlementaire; parallèlement, sa direction (le Speaker, les chefs de la majorité et de la minorité, les présidents des Commissions, majorité et minorité, etc.) est d’autant plus attentive aux courants et aux tendances qui touchent les élus. Du coup, il y a une réelle solidarité, une réelle unité de fait entre les Représentants et leur direction parlementaire, sans doute plus qu’au Sénat.
Ce qui est extraordinaire dans le cas du vote d’hier, c’est que toutes ces données de solidarité ont été bouleversées. Le vote n’était pas une surprise et son résultat est d’autant plus une surprise. Il avait été préparé par plus d’une semaine de tractations, d’interventions, de pressions. La direction de la Chambre était parfaitement au courant de l’état d’esprit qui régnait chez les parlementaires et elle devait avoir fait tout ce qu’elle jugeait nécessaire pour garantir un vote favorable dans des circonstances aussi tendues. (Il n’était certainement pas question d’un de ces votes où la direction est elle-même indécise et laisse effectivement le vote de la Chambre décider pour elle.) A cette lumière, le résultat est stupéfiant; non seulement qu’il soit négatif, mais qu’il se soit réparti d’une façon si significative selon des lignes de rupture à l’intérieur des deux partis, avec une majorité du parti du président votant contre une loi que le président soutenait de toutes ses forces, avec une forte proportion des démocrates votant contre malgré les pressions de sa direction (228 voix contre 205, avec 133 républicains et 95 démocrates contre, 140 démocrates et 65 républicains pour).
Ce vote introduit un formidable élément d’incertitude pour la suite, un facteur terrible d’instabilité. Dans une crise aussi fondamentale et portant sur un domaine où les questions budgétaires et financières jouent le rôle principal, le soutien du Congrès est à la fois techniquement, juridiquement et politiquement nécessaire. L’absence, voire la perte de contrôle de la Chambre est désormais un facteur de la crise, et un facteur qu’on ne peut plus ignorer. Toute décision majeure de l’exécutif US doit désormais tenir compte impérativement, non seulement de la crise financière (et économique) elle-même mais de la disponibilité et de l’humeur du Congrès (de la Chambre). Il n’est pas nécessaire pour que ce rôle de la Chambre existe qu’elle menace une fois de plus, ou qu’elle vote effectivement une fois de plus négativement; le précédent d’hier suffit à installer cette perception d’absence de contrôle qui va peser désormais sur toute la crise.
Le système US, dont on sait l’affirmation théorique de quasi-perfection qui accompagne l’appréciation qu’on en a en général, ne fonctionne qu’avec des arrangements constants dont le caractère démocratique peut être discutée simplement parce qu’ils sont profondément discutables. Dans ce cas, il s’agit bien d’un de ces votes “démocratiques” qui prennent tous nos théoriciens de la vertu démocratique de court qui a eu lieu hier soir, – encore une fois en mettant à part toutes les arrière-pensées, les manœuvres, la véritable situation des élus, etc., qui l’ont accompagné. Certains pourraient voir dans ce vote, dans les circonstances extrêmes où il a eu lieu, une allure involontaire de vote “anti-système”, un peu comme on pouvait interpréter le vote français au référendum de fin mai 2005.
…Car enfin, la Chambre a voté contre Wall Street, contre la rétribution éhontée des catastrophiques pratiques de la finance sans contrôle, de la finance-gangster qui mène le monde et qui est responsable à 100% de la crise actuelle. Il s’agit d’un vote “populiste” dans le sens US du terme, essentiellement initié par les républicains en général perçus comme réactionnaires, soutiens de la guerre en Irak et de la folle politique belliciste de GW Bush. Les stéréotypes nous donnent bien du tracas, dans cette époque complètement déjantée. Ils en donneront aussi aux candidats à l'élection présidentielle, entre un McCain qui a failli se prononcer contre le plan Paulson et qui l’a finalement soutenu, et un Obama qui se pose en représentant du petit peuple et qui se retrouve tributaire d’un choix (nettement en faveur du plan Paulson malgré toutes les réserves d’usage) perçu comme soutenant Wall Street et battu en brèche par la Chambre… 72 ans pour 72 ans, on se demande effectivement ce qu'attend Ron Paul.
Mis en ligne le 30 septembre 2008 à 11H17