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5111er juin 2009 — L’assassinat à la sortie d’un office religieux, à Wichita, au Kansas, du docteur George Tiller, bien connu aux USA comme médecin pratiquant les avortements et cible des mouvements anti-avortements pour cela, est un événement qu’on pourrait considérer comme révélateur de l’état d’esprit de l’Amérique. L’événement est national aux USA. Il a une grande place dans les nouvelles du jour. Il a amené nombre de réactions, dont une, particulièrement vive ou perçue comme telle, du président Obama.
(Le Times de Londres ce 1er juin 2009: «President Barack Obama expressed “shock and outrage” at Dr Tiller's death, saying in a statement: “However profound our differences as Americans over difficult issues such as abortion, they cannot be resolved by heinous acts of violence.”»)
Parmi les réactions à cet acte, il y a celle de Randall Terry, fondateur du groupe anti-avortement
«In his comments, Terry does not grieve for Tiller or denounce the murder but seems more concerned about President Obama's reaction and what it bodes for the pro-life movement. “George Tiller was a mass-murderer. We grieve for him that he did not have time to properly prepare his soul to face God. I am more concerned that the Obama Administration will use Tiller's killing to intimidate pro-lifers into surrendering our most effective rhetoric and actions. Abortion is still murder. And we still must call abortion by its proper name; murder.”»
Le crime de Tiller est dans la catégorie très précisément US des “crimes de haine”, spécifiques à une “guerre culturelle” qui n’est pas propre qu’aux USA, mais qui a suscité dans ce cas une dialectique ouverte de haine et des conséquences sanglantes qui sont très caractéristiques des USA. Un bon exemple de cette dialectique haineuse constante, c’est le cas de Bill O’Reilly, fameux présentateur et commentateur de Fox.News, connu comme un soutien inconditionnel de toutes les politiques extrémistes de type néo-conservateur. Salon.com rappelle l’attitude de O’Reilly vis-à-vis du docteur Tiller, ce 31 mai 2009, – ce qui nous rappelle, à nous, le climat de haine publique qui entoure ce cas du docteur Tiller. Lors de ses diverses diatribes, O’Reilly comparait d’une façon routinière les “crimes” de Tiller à ceux de Hitler, de Staline, de Mao et d’Al Qaïda, avec un autre thème puissant d’une accusation constante de pédophilie.
«But there's no other person who bears as much responsibility for the characterization of Tiller as a savage on the loose, killing babies willy-nilly thanks to the collusion of would-be sophisticated cultural elites, a bought-and-paid-for governor and scofflaw secular journalists. Tiller's name first appeared on “The Factor” on Feb. 25, 2005. Since then, O'Reilly and his guest hosts have brought up the doctor on 28 more episodes, including as recently as April 27 of this year. Almost invariably, Tiller is described as “Tiller the Baby Killer.”
»Tiller, O'Reilly likes to say, “destroys fetuses for just about any reason right up until the birth date for $5,000.” He's guilty of “Nazi stuff,” said O'Reilly on June 8, 2005; a moral equivalent to NAMBLA and al-Qaida, he suggested on March 15, 2006. “This is the kind of stuff happened in Mao's China, Hitler's Germany, Stalin's Soviet Union,” said O'Reilly on Nov. 9, 2006.
»O'Reilly has also frequently linked Tiller to his longtime obsession, child molestation and rape. Because a young teenager who received an abortion from Tiller could, by definition, have been a victim of statutory rape, O'Reilly frequently suggested that the clinic was covering up for child rapists (rather than teenage boyfriends) by refusing to release records on the abortions performed.
»When Kansas Attorney General Phill Kline, an O'Reilly favorite who faced harsh criticism for seeking Tiller's records, was facing electoral defeat by challenger Paul Morrison, O'Reilly said, “Now we don't endorse candidates here, but obviously, that would be a colossal mistake. Society must afford some protection for viable babies and children who are raped.” (Morrison ultimately unseated Kline.)
»This is where O'Reilly's campaign against George Tiller becomes dangerous. While he never advocated anything violent or illegal, the Fox bully repeatedly portrayed the doctor as a murderer on the loose, allowed to do whatever he wanted by corrupt and decadent authorities. “Also, it looks like Dr. Tiller, who some call Tiller the Baby Killer, is spending a large amount of money in order to get Mr. Morrison elected. That opens up all kinds of questions,” said O'Reilly on Nov. 6, 2006, in one of many suggestions that Tiller was improperly influencing the election.»
Des commentateurs ont été prompts à développer l’argument que l’assassinat de Tiller pourrait bien être le début d’une vague de terrorisme intérieur, ou “terrorisme domestique”, dans le cadre de cette “guerre culturelle”. Une opinion exemplaire de cette réaction est celle de Cristina Page (auteur de How the Pro-Choice Movement Saved America) sur Huffington.Post le 31 mai 2009.
«For those who would like to think today's murder in church of Dr. George Tiller, an abortion provider, is an isolated incident, here's the horrifying news: You are wrong. The pattern is clear and frightening.
»In March 1993, three months into the administration of our first pro-choice president, Bill Clinton, abortion provider Dr. David Gunn was murdered in Pensacola, Florida. That was the beginning of what would become a five-fold increase in violence against abortion providers throughout the Clinton years. Today's assassination of Dr. George Tiller comes 5 months into the term of our second pro-choice president. For anyone who would like to believe that this is a statistical anomaly, a coincidence that doesn't portend anything, again, you are wrong.
»During the entire Bush administration, from 2000-2008 there were no murders. During the Clinton era, between 1994-2000 there were 6 abortion providers and clinic staff murdered, and 17 attempted murders of abortion providers. There were 12 bombings or arsons during the Clinton years. During the Bush administration, not only were there no murders, there were no attempted murders. There was one clinic bombing during the Bush years.
»One can only conclude that like terrorist sleeper cells, these extremists have now been set in motion. Indeed the evidence is already there. The chatter, the threats, the hate-filled rhetoric are abundant. In the last year of the Bush administration there were 396 harassing calls to abortion clinics. In just the first four months of the Obama administration that number has jumped to 1401.
»And so the execution of Tiller, 67, is not only tragic but ominous. He was born into an era when being an abortion provider meant saving women's lives. And the cold-blooded murder in church and in front of his wife of this stalwart defender of women rights and beloved physician, comes as a message for others, as well as tragic deja vu.»
On nous permettra de ne pas nous attacher aux idées en cause, quelque intérêt qu’elles aient. Nous ne nous attacherons pas non plus à l’idéologie et à son orientation. Ce que dit Cristina Page permet un bon rappel d’une partie du “terroriste domestique”, mais cela pourrait laisser croire que ce terrorisme est l’apanage d’un seul courant politique. Ce n’est pas le cas. Il y eut aussi, dans les années 1990, des actes de terrorisme d’autres origines et d'autres orientations que la droite chrétienne extrême. Cristina Page omet également de signaler que la période 2000-2008 (GW Bush) fut aussi la période de 9/11 et du choc qui s’ensuivit, de la mobilisation anti-terroriste contre l’extérieur, etc. L’assassinat du docteur Tiller interrompt une période d’absolutisme de la “pensée” américaniste, où il n’était plus concevable que le terrorisme fût autrement qu’extérieur, et, bien sûr, islamiste et moyen-oriental.
Ce que signale l’assassinat du docteur Tiller, c’est le renforcement de l’observation de la constante fragilisation de la structure américaniste. L’idée de ce “terrorisme domestique”, quelle que soit son idéologie, porte en elle un puissant potentiel déstructurant. Le “terrorisme domestique” contient en lui-même, quelles que soient sa branche et son orientation, une logique de mise en cause de la structure générale du pays, notamment de son système centralisé fédéral. Il renforce les tendances centrifuges de division, accentue le désordre des conceptions, la désunion, la contestation en constante radicalisation de toutes les structures du système jugées responsables des situations qui sont dénoncées. Le “terrorisme domestique” de l’ère Obama, s’il y en avait effectivement un, aurait un aspect bien plus grave que celui de l’ère Clinton. Il y a eu, entre ces deux époques, toutes les crises qui se sont accumulées, la crise économique, l’héritage du désordre du climat antiterroriste des années Bush-Cheney; il y a également ce fait que la même paire Bush-Cheney est passée par là pour accentuer dramatiquement l’impuissance et la paralysie du pouvoir central jusqu’à l’interrogation bien pessimiste sur son caractère irréparable.
L’orientation qui est intéressante à examiner est de voir dans quelle mesure le legs de Bush-Cheney – ce pouvoir menacé d’impuissance ou d’ores et déjà impuissant entre les pressions du gouvernement “idéologique et par instinct” et la tentative de réinstaller “le gouvernement de la raison” type-Obama – ne va pas faire sentir ses effets principalement vis-à-vis d’une possible résurgence des tensions intérieures (“terrorisme domestique”) plutôt que de pérenniser la tension avec le terrorisme extérieur (islamiste). Le point intéressant est qu’on peut soulever cette interrogation à cause du rôle, dans cette affaire, d’une très puissante faction ayant soutenu Bush-Cheney, les tendances chrétiennes intégristes. Si celles-ci se lancent effectivement dans la “guerre culturelle” intérieure, le groupe Bush-Cheney & consorts qui a bâti le château de sable du terrorisme extérieur comme principale menace se trouve privé d’un très puissant soutien. L’extrémisme désormais inhérent au système tel qu’il a évolué avec le gouvernement Bush-Cheney, interviendrait alors au niveau des tensions internes.
Enfin, – enregistrer toutes ces réflexions à partir d’un seul acte, d’un seul crime, – aussitôt passer à l’évocation de la renaissance d’un “‘terrorisme intérieur” comme le fait Cristina Page, voilà bien un signe de l’extrême fragilité américaniste, plus encore, du constat du dynamisme du processus de fragilisation de l’américanisme. L’évolution psychologique est extrêmement importante, si effectivement cette idée de “terrorisme domestique” se réinstalle. Après huit années passées dans le tabou de l’enfer fabriqué par les néo-conservateurs, “hors les murs” si l’on veut, le terrorisme redevient éventuellement américaniste. Soit il se relativise (le terrorisme n’est plus un absolu extérieur capable de faire l’union du pays), soit il transporte le spectre de cette terreur qui était devenue absolue en migrant vers l’extérieur à partir de 9/11, vers les terres intérieures. Dans tous ces cas et connaissant la fragilité de nos nerfs postmodernes, le potentiel déstabilisant, puis déstructurant n’est pas négligeable.
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