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139522 octobre 2008 — Deux indications, à trois jours d’intervalle, montrent une réelle inquiétude de l’establishment washingtonien pour ce qui concerne la situation de sécurité nationale des USA dans les premiers mois de la future présidence, – ou dans les premiers mois de la présidence Obama, pour ceux qui tiennent pour acquise l’élection du sénateur de l’Illinois, – ce dernier point étant un élément important dans ces alertes.
Nous lions arbitrairement les deux nouvelles parce que nous estimons effectivement qu’elles reflètent le même souci, les mêmes préoccupations, sans doute même viennent-elles des mêmes milieux.
• Aujourd’hui, à Riga, c’est l’amiral Mullen, président du comité des chefs d’état-major US, qui lance un avertissement qu’on pourrait qualifier de “défensif”. Mullen annonce que l’OTAN ne “tolérera pas” un nouveau conflit du type géorgien. On ne va pas jusqu’à demander avec quels moyens l’amiral entend “ne pas tolérer”; il semble parler au nom de l’OTAN mais qu'importe, l’OTAN autant que les USA sont incapables aujourd'hui de faire quelque chose de sérieux contre une attaque de cette sorte. Mais le propos est bien sûr plus du type dissuasif que du type agressif, surtout de la part de Mullen qui n’est pas un belliciste ni un aventuriste. L’agence Novosti rapporte la chose aujourd’hui, de cette façon:
«L'OTAN ne tolèrera pas la répétition d'un conflit analogue à celui subi par la Géorgie début août, a déclaré mercredi à Riga le chef d'état-major interarmées américain, l'amiral Michael Mullen, lors d'une rencontre avec le président letton Valdis Zatlers. “L'OTAN ne tolèrera pas la répétition d'un conflit analogue à celui qu'a récemment subi la Géorgie”, a indiqué M.Mullen actuellement en visite de travail en Lettonie.»
• Il y a les déclarations de Joe Biden, candidat vice-président avec Obama, lors d’une réunion avec des donateurs démocrates, une réunion de type plutôt semi-public. Biden a averti qu’il pourrait y avoir une crise extérieure, de l’une ou l’autre puissance, l’une ou l’autre menace, pour tester le nouveau président (Obama en l'occurrence, selon Biden) dans les quelques mois suivant son arrivée au pouvoir. Biden a cité notamment la Russie comme une des forces éventuellement désireuse de “tester” un hypothétique président Obama. Pour cette raison, la nouvelle a intéressé les Russes, qui la reprennent. Novosti en fait état le 21 octobre.
«Le candidat démocrate à la vice-présidence américaine, Joseph Biden, a mis en garde lundi contre une "crise internationale" générée par les ennemis de Barack Obama, dont la Russie. “Retenez bien mes propos. Au bout de six mois, le monde entier mettra Barack Obama à l'épreuve, comme ce fut le cas pour John Kennedy”, a-t-il déclaré, cité par l'état-major du candidat républicain John McCain et le Comité national républicain.
»Selon les républicains qui affirment détenir l'enregistrement audio de cette allocution, M. Biden a tenu ses propos devant un petit groupe de partisans de Barack Obama lors d'un dîner dans un hôtel de Seattle (Washington).
»“Ce sera une crise internationale générée pour tester le courage de ce gars (...). Je vous le garantis. Je pourrais vous donner au moins quatre ou cinq scénarios”, a déclaré le candidat démocrate, avant de citer le Moyen-Orient et la Russie parmi les auteurs de la nouvelle crise. “Cela pourrait provenir du Moyen-Orient [...» ou de la Russie, qui a pu renforcer ses positions car elle repose sur un océan de pétrole”, a-t-il déclaré. “Nous serons amenés à prendre une série de décisions difficiles pendant les deux premières années, et c'est la raison pour laquelle je vous demande maintenant de nous soutenir”, a-t-il dit.»
• Biden est un homme qui parle beaucoup, – qui parle beaucoup trop jugent sans doute certains. Dans ce cas, ses propos ont été exploités par les républicains, pour tenter d’en revenir à l’axe initial de l’attaque contre Obama, qui est sa soi disant inexpérience dans les affaires de sécurité nationale. Puisque son futur éventuel vice-président nous dit qu’il va peut-être être “testé”, c’est qu’il est inexpérimenté, etc; dialectique habituelle, développée autant par McCain et Palin, assez risible lorsqu’on a à l’esprit la personnalité d’un McCain, ou celle d'une Palin. Il n'y a guère d'intérêt à s’attacher à tout cela, l’essentiel étant de la valeur des salades diverses de la rhétorique électorale et de la propagande virtualiste, comme par exemple l’affirmation qui est un complet mépris de la réalité de “l’invasion de la Géorgie par la Russie” («When Russia invaded Georgia, Sen. Obama said the invaded country should show restraint»). Citons tout de même un extrait d’un article du New York Times du 20 octobre, pour une seule phrase que nous utiliserons plus loin.
«The McCain campaign has been e-mailing the Biden remarks around, citing them as evidence that electing Mr. Obama would be risky. Mr. McCain, in remarks prepared for delivery at a campaign rally in Missouri this afternoon, was preparing to say that the United States cannot afford to elect an untested chief executive who might be a temptation to terrorists or others who wish the nation ill.
»“The next president won’t have time to get used to the office,” Mr. McCain is planning to say, according to excerpts released by the campaign. “We face many challenges here at home, and many enemies abroad in this dangerous world. Just last night, Senator Biden guaranteed that if Senator Obama is elected, we will have an international crisis to test America’s new president. We don’t want a president who invites testing from the world at a time when our economy is in crisis and Americans are already fighting in two wars.
»“What is more troubling is that Senator Biden told their campaign donors that when that crisis hits, they would have to stand with them because it wouldn’t be apparent Senator Obama would have the right response. Forget apparent. Senator Obama won’t have the right response, and we know that because we’ve seen the wrong response from him over and over during this campaign. He opposed the surge strategy that is bringing us victory in Iraq and will bring us victory in Afghanistan. He said he would sit down unconditionally with the world’s worst dictators. When Russia invaded Georgia, Sen. Obama said the invaded country should show restraint.”»
Il nous importe moins de juger de ce que pourrait être la politique d’un éventuel président Obama, éventuellement placé devant une crise internationale, dans quatre, cinq ou six mois, que de distinguer les fondements de ces avis éclairés et inquiets de Biden autant que de l’amiral Mullen. Nous disons “éclairés”, car, répétons-le, il nous paraît hautement improbable que ces deux avis aient été donnés par hasard au même moment. Ils parlent indirectement d’une évaluation générale faire par les milieux de sécurité nationale, du renseignement, etc., auxquels les deux hommes ont évidemment accès, – Mullen c’est l’évidence, Biden en tant que président de la commission sénatoriale des relations extérieures (et candidat vice-président, tenu informé des grandes questions de sécurité nationale).
A notre sens, il n’y a aucune menace précisément identifiée, mais le sens d’une très grande vulnérabilité. Ce n’est pas, comme l’affirme stupidement la campagne McCain, dû à une éventuelle faiblesse d’Obama, ou à sa jeunesse, mais à un fait bien plus évident, contenu d’ailleurs dans les citations de McCain faites ci-dessus: «We face many challenges here at home, and many enemies abroad in this dangerous world.»
L’intervention de l’amiral Mullen en Lettonie doit être considérée essentiellement du point de vue intérieur, très accessoirement en fonction de la situation invoquée (sorte d’avertissement indirect aux Russes: ne recommencez pas la Géorgie). Il faut le rapprocher d’une autre intervention, au début du mois de mai (voir notre F&C du 5 mai 2008), qui était un avertissement de Mullen pour une transition prudente et contrôlée entre les deux administrations. A cette lumière, l’intervention de Mullen est un avertissement général, sous une forme indirecte bien sûr, qui s’adresse essentiellement à l’establishment US, d’avoir à se garder de possibles crises extérieures dans la période particulièrement incertaine qui s’ouvre. Bien entendu, les crises financière et économique ajoutent une dimension particulièrement déstabilisante, en aggravant d’une manière dramatique la faiblesse US.
Les déclarations de Biden peuvent et doivent être prises dans le même sens. Si on les interprète comme celles d’un homme sûr de l’élection d’Obama, ce qui va de soi dans son cas, il s’agit d’un appel à un rassemblement de l’establishment autour d’un Obama sûrement-élu, notamment dans les premiers mois de son mandat où de très difficiles décisions vont être prises. (La même chose pourrait être dite, dans ce cas, de McCain par un partisan de McCain.) Biden parlent comme s'il était déjà après l'élection, invitant les soutiens d'Obama à poursuivre leur mobilisation dans les temps difficiles qui s'annoncent.
»“Mark my words,” Mr. Biden warned at the Seattle fund-raiser, according to reports from network producers traveling with him, “It will not be six months before the world tests Barack Obama like they did John Kennedy. The world is looking. We’re about to elect a brilliant 47-year-old senator president of the United States of America. Remember, I said it standing here, if you don’t remember anything else I said. Watch, we’re going to have an international crisis, a generated crisis, to test the mettle of this guy.”
»He added, “He’s going to have to make some really tough - I don’t know what the decision’s going to be, but I promise you it will occur. As a student of history and having served with seven presidents, I guarantee you it’s going to happen.” He said he could envision four or five scenarios that might arise to challenge the new president, citing Russia or the Middle East as possible sources of trouble.»
L’approche que nous proposons implique que ce qui va être “testé”, – c’est dans tous les cas l’analyse des milieux de sécurité nationale US, – c’est la capacité des USA à résister, voire même à figurer dans une grande crise internationale, et non pas la capacité de tel ou tel président. Le précédent géorgien, où les USA furent totalement impuissants, justifie effectivement la crainte qu’on distingue dans cette analyse. Il ressort ainsi de ces interventions une perception extrêmement forte de la faiblesse actuelle des USA, par l’establishment de sécurité nationale.
On constate la poursuite du processus de fragilisation intérieure de l’establishment, avec une corrélation très grande entre les événements intérieurs et extérieurs, – chose inévitable puisque ce processus touche d’abord la psychologie et concerne essentiellement une fragilisation qui n’a rien à voir avec quelque “ennemi” que ce soit, mais avec la perception de la puissance US par la direction US elle-même. Les déclarations de Biden montrent que le groupe Obama est extrêmement conscient de cela, sans doute beaucoup plus que le groupe McCain. Cela pourrait impliquer que les plans de cette administration Obama, si Obama est élu, seront d’abord de tenter de freiner et de contrôler le processus de dégradation de la puissance US (et sans doute, du point de vue intérieur d’abord). Cette priorité est un changement par rapport à celle qu’on distinguait chez les démocrates, au printemps dernier; à ce moment, la priorité était de restaurer l’influence US à l’extérieur; depuis, les conditions se sont fortement dégradées et cela est pris en compte. Reste à voir si ce freinage et cette tentative de contrôler ([de] la dégradation de la puissance US) sont possibles. Le doute est vastement permis, sinon recommandé.
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