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14555 septembre 2011 – Nous relevons depuis quelques semaines, voire quelques mois, des signes intéressants d’une évolution au niveau de la communication, et notamment de la communication de l’information. Nous les avons signalés, lorsque nous les identifiions, à mesure qu’ils apparaissaient, selon notre interprétation qui est le plus possible et de plus en plus celle d’une intégration dans la grande crise générale que nous traversons. (Cela que nous nommons, un peu pompeusement peut-être, et avec notre goût des acronymes et du néologisme, la “Grande Crise de la Contre Civilisation”, ou GCCC, ou finalement GC3 pour faire encore plus bref.) A notre sens, ce mouvement s’est accéléré et s’est révélé plus clairement à l’occasion de la phase actuelle de la crise libyenne.
Il s’agit d’un mouvement de diversification, à la fois de confusion et de désordre par rapport à l’époque antérieure où les consignes implicites du Système étaient beaucoup plus vigoureusement et scrupuleusement appliquées là où elles prédominaient. Nous nous proposons de rappeler ou de développer ici plusieurs épisodes marquants et remarquables, parmi les plus récents.
• Le cas Ron Paul, que nous avons largement suivi. Il a explosé après le straw poll de l’Iowa sous la forme de la mise en évidence médiatique d’un Ron Paul Blackout (voir notamment notre texte du 18 août 2011). Il s’agissait du véritable boycott médiatique dont Ron Paul était victime, – boycott qui a fini, d’une façon significative, par être dénoncé par les médias eux-mêmes. La situation évolua donc vers le paradoxe le plus complet : alors que la responsabilité des médias dans le boycott était fort justement dénoncée, elle suscitait par contrecoup une réaction de ces mêmes médias, du plus grand intérêt pour Ron Paul. Entre notre texte référencé du 18 août 2011 et notre F&C du 25 août 2011 (“Et s’il était élu ?”), il y a un monde de différence. Dans cet entretemps, Ron Paul était devenu une star des médias parce qu’il ne l’était pas du tout jusqu’ici…
On pourrait certes avancer que c’est un feu de paille et que Ron Paul retombera dans le boycott. Jusqu’ici ce n’est pas le cas, et notre appréciation est que cela ne le sera certainement pas. Ron Paul a été, durant ces quelques jours, “institutionnalisé” paradoxalement par l’affaire Ron Paul Blackout ; c’est-à-dire “institutionnalisé” tel qu’il est, avec son originalité, ses aspects antiSystème, sa marginalité, et nullement “récupéré”. Désormais, tout le monde suit Ron Paul et pose les questions cruciales à son égard (par exemple, sur Fox.News, où l’on n’aime guère Ron Paul et sa politique antiguerre, le 1er septembre 2011, autour de la question de savoir s’il peut emporter l’investiture républicaine en 2012). Le paradoxe du Ron Paul Blackout est qu’il a fait sortir Ron Paul de sa “non-existence”, pour le faire exister tel qu’il est, c’est-à-dire en tant qu’il est une dynamique antiSystème.
• A propos de l’affaire libyenne, nous avons déjà évoqué une sorte de reclassement dans le monde de la communication (le 29 août 2011). La crise a diversifié les sources d’information, avec, comme nous le mentionnions, l’apparition de nouveaux réseaux “indépendants” (Russia Today) et la perte de certaines auréoles (celle d’Aljazeera). Le résultat net est bénéficiaire : il y a de nouveaux acteurs indépendants, sans aucun doute ; mais un cas comme celui d'Aljazeera montre que la chaîne, qui est discréditée dans certains domaines où les intérêts du Quatar sont engagés, ne l’est pas du tout dans d’autres et reste un facteur puissant de diversification et de multiplication des sources indépendantes.
• A l’occasion de la crise libyenne également, on a pu constater que même la presse-Système pouvait prendre certaines libertés avec les consignes implicites du Système. Il nous paraît évident que le New York Times n’aurait pas publié, le 15 ou le 20 avril 2003, un article sur des documents montrant les accointances entre la CIA et Saddam Hussein, tel que celui qu’il publie le 2 septembre 2011 (voir Ouverture libre, le 3 septembre 2011), sur les accointances entre la CIA (et le MI6 britannique) et Kadhafi. Cette affaire des liens de la CIA et du MI6 avec Kadhafi a fait l’objet d’une diffusion considérable, dans ce cas dans tous les réseaux-Système, ce qui est également un événement qui n’aurait certainement pas eu lieu, dans les mêmes circonstances, avec la victoire contre l’Irak de Saddam Hussein.
• On évoquera enfin le cas de publications ou de sites clairement identifiés à une puissance-Système, et qui sont désormais conduits à diffuser des informations intéressantes, sur des faits politiques extérieurs ou sur leurs propres positions, à cause de la position de leurs “tuteurs” par rapport à d’autres forces-Système. C’est le cas du site Debka.com (DEBKAFiles), qu’on a utilisé très dernièrement, avec quelques explications de cette utilisation le 3 septembre 2011. Le cas israélien est intéressant parce que ce pays, Israël, est à la pointe du Système et un élément-clef du Système, et qu’il se trouve désormais, à cause du contexte du “printemps arabe” (Egypte, Libye) et à cause d’autres éléments liés à ce contexte (relations avec la Turquie, phénomène des “indignés” israéliens), dans des positions et des relations souvent très ambiguës, voire contradictoires, avec sa propre politique, avec d’autres puissances du Système, particulièrement les USA. Ces situations contradictoires et antagonistes conduisent, indirectement ou par défaut, à des indications intéressantes et à des diversifications de l'information des différents acteurs-Système dans les systèmes de communication. C’est effectivement une situation de désordre en accroissement sensible, chose que déteste le Système par dessus tout, lorsqu’il est en position d’omnipotence comme il se trouve... (Et cette situation d’omnipotence tout aussi ambiguë elle-même, pour ajouter au désordre, résultat de la dynamique de surpuissance du Système, alimentant sa dynamique parallèle d’autodestruction, ce qui nous ramène en un cercle parfait et vicieux, à cette augmentation du désordre qui fait partie de cette dynamique d’autodestruction).
On observe que ces diverses évolutions relèvent éventuellement d’une situation dite de “la discorde chez l’ennemi” (“discorde dans le Système”), à cause de l’affaiblissement général des puissances du Système (USA, notamment) et de la formidable situation de désordre et de dissolution des structures installée et développée par “le printemps arabe”. Cette situation de désordre ne porte pas, comme nous l’avons remarqué le 1er septembre 2011, sur des “victoires” des contestataires du Système (démocratie et autres
Cette situation de désordre qu’on a vue est bien plus intéressante pour l’évolution générale antiSystème que des “victoires” apparentes, qui seraient rapidement récupérées et confisquées par le Système, tout en conservant l'apparence de “victoires” antiSystèmes désarmant par conséquent l’opposition antisystème en niant sa nécessité. Le désordre et l’incertitude du pouvoir politique obligé à des concessions, ou à un affaiblissement par rapport aux situations intérieures, contribuent au contraire fortement à un affaiblissement du Système par la division et les querelles internes. L’évolution qu’on constate dans le système de la communication, dans la diffusion de l’information, dans la forme et le contenu de cette information, dans le desserrement de l’autocensure-Système, etc., est évidemment le parfait reflet de cette évolution de la situation politique…
On a décrit la cause de cette évolution dans le champ de la communication, qui permet la diffusion et l’extension d’informations et de commentaires qui peuvent être objectivement utilisés dans un sens antiSystème : cause politique essentiellement due au “printemps arabe” et à l’affaiblissement structurel des puissances du Système, avec le cas spécifique de la Libye qui n’est pas réellement “une guerre américaniste” et donc traitée avec un peu plus de légèreté selon les orientations dominantes des pressions et des influences. L’intérêt du processus est que ce phénomène conséquent des événements politiques, devient lui-même un phénomène actif qui accélère en retour, dans une sorte d'effet boomerang, l’affaiblissement politique des structures du Système.
Le nouveau champ de la communication ainsi formé est beaucoup plus divers, beaucoup plus multiple et complexe, beaucoup plus contingent, beaucoup plus “ouvert” que celui qui a précédé, qui a vécu sous l’empire de l’image de 9/11 et de tout ce qui en a découlé en fait d’absolutisme de la pensée et d'autocensure impérative de l’information, avec les effets sur la communication. Dans nombre de cas, surtout dans les pays anglo-saxons, la concurrence, notamment avec les nouveaux réseaux Internet, est particulièrement pressante et redevient un facteur essentiel dans le choix et l’utilisation de l’information. Une fois libéré en partie des consignes impératives d’un Système qui n’a plus assez de puissance et de capacité unitaire pour produire de telles consignes à la fois cohérentes et mobilisatrices, le monde de la communication anglo-saxon se retrouve beaucoup plus sensible à la concurrence qui marque en général l’aspect professionnel du métier de l’information, à l’aspect commercial également, etc., toutes ces pressions tendant à élargir le cadre permis de l’intervention sur l’appréciation et sur l’information de la politique. Cette évolution se traduit par l’exploitation d’un ensemble d’informations beaucoup plus large que celui auquel on était accoutumé durant l’époque Bush et son autocensure formidable, et cela avec un réel impact politique.
(La différence est frappante avec le monde de la communication français notamment, qui reste beaucoup plus soumis à une notion de hiérarchie, comme dans les pays à forte tendance régalienne se trouvant dans ce cas général où les directions politiques continuent à entretenir une médiocrité pro-Système conséquente. La communication anglo-saxonne du Système général obéit au système de la communication et non au pouvoir politique, et elle retrouve une relative indépendance parcellaire au nom de ses conceptions professionnelles et commerciales lorsque la mainmise et l’influence du Système général s’affaiblissent, même si les directions politiques anglo-saxonnes restent complètement acquises au Système. La communication anglo-saxonne n’a pas d’allégeance régalienne aux directions politiques. Les Français obéissent à un sens hiérarchique de l’Etat, qui les fait figurer désormais comme les pires partisans du Système puisque cet Etat, devenu comme partout ailleurs dans le bloc BAO, et même pire que partout ailleurs, est conduit par une direction politique qui fait montre d’un zèle pro-Système remarquable. Dans ce cas, la vertu française se retourne contre elle-même, et les vertus structurantes françaises sont mises sans nuances au service du Système. Mauvais passage…)
Il n’est pas question ici de décrire une libéralisation politique du système de la communication et de l’information, une transformation de l’information par une certaine libération des contraintes pesant sur elle. Cette interprétation “ordonnée” de l’évolution n’a évidemment rien à voir avec la réalité, elle n’en serait qu’une description utopique et donc faussaire. Nous décrivons plutôt les mécanismes internes que les acteurs du système de la communication suivent, sans en avoir d’ailleurs la moindre conscience et sans qu’il soit nécessaire qu’ils en aient la conscience (le contraire est préférable), pour développer ce mouvement qu’on décrit. Le réflexe qu’on a décrit, notamment professionnel et commercial pour une meilleure exploitation, et une plus grande diffusion de l’information, fût-elle peu favorable au Système, est une tentative de traduction rationnelle de la situation générale de désordre qui rend de plus en plus difficile, pour les serviteurs du Système dans l’activité de la communication, de distinguer où est l’intérêt du Système qu’ils sont accoutumés de soutenir, parce que, justement, il y a désormais une multiplicité de points de vue sur une multiplicité d’intérêts, donc une grande difficulté de choix.
D’autre part, et ceci découlant de cela, l’évolution vers la fragmentation et le dissolution du Système rencontre cette multiplicité de points de vue, avec des contradictions et des antagonismes, avec des prises de position de plus en plus repliées sur l’entité nationale ou sur l’entité systémique à laquelle on appartient, ce qui accélère encore plus cette multiplicité et la rend de plus en plus antagoniste. Lorsque des sources d’information proches des systèmes de sécurité israéliens défendent l’idée d’une pénétration islamique dans la nouvelle direction libyenne, ils défendent naturellement les intérêts israéliens ; mais il se trouve qu’aujourd’hui cette défense des intérêts israéliens implique un antagonisme de la position américaniste à cause de l’éclatement des positions, et ainsi c’est une accentuation bienvenue de la situation de “la discorde chez l’ennemi”.
Il n’y a aucune traduction formelle de ce phénomène au niveau des directions politiques, ce qui rend peu aisé de distinguer ce phénomène pour ce qu’il est. Les directions politiques s’en tiennent à une narrative unitaire, disons du bloc BAO dans son ensemble, qu’elles supposent être à l’avantage du Système et qui est en général d’une grande médiocrité et d’une grande stupidité par l’énonciation systématique de contre-vérités évidentes où elle s’agite. Mais dans l’équilibre actuel des forces, les directions politiques, discréditées de tous les côtés, sont de plus en plus isolées dans leur interprétation unitaire des événements. Leur narrative apparaît de plus en plus pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une narrative sans la moindre substance, bien entendu informe, elle-même désordre de contre-vérités de plus en plus difficiles à “exploiter” et à “vendre” au niveau de la communication, et d’ailleurs perdant de plus en plus l'attrait pour le point de vue professionnel et commercial. Même, lorsqu’elle se veut plus élaborée, comme l’administration Obama qui manœuvre pour tenter de faire de la Libye le modèle d’un nouveau type d’intervention où les USA, – c’est pour eux le point essentiel, évidemment, – tiendraient le rôle de “la direction par derrière” (voir l’article de Jim Lobe du 3 septembre 2011, «US debate over “leading from behind”»), cette narrative est assurée de très vite rencontrer des obstacles et des antagonismes, comme il apparaît d’ores et déjà du côté britannique et surtout français, et même du côté de l’OTAN, qui contestent plus ou moins férocement cette interprétation.
C’est en dessous de cette vision bloquée et de moins en moins satisfaisante qu’agit de façon dispersée, complexe et multiple, et donc, par moments de plus en plus nombreux, de façon antagoniste à l’intérieur des partisans du Système, le système de la communication qui répond à sa propre dynamique. Le résultat est effectivement l’élargissement des données et des informations, une fragmentation générale du front jusqu’alors uni des forces de communication de soutien du Système, jusqu’à des occasions effectivement antagonistes, et la disposition finalement de plus en plus d’informations acceptables, exploitables, etc.
Il n’y a rien à manifester de particulier du côté des adversaires du Système ; il n’y a pas à proclamer de “victoire“, ni à y voir une évolution concrète et significative du Système au niveau de sa communication ; il n’y a qu’à constater le fait, qui est simplement celui de la poursuite du processus général d’autodestruction du Système, qui se traduit dans ce cas selon la situation qu’on a décrite du morcellement et de la dissolution des dynamiques unitaires. Il suffit de le savoir, d’en profiter quand cela se peut pour utiliser les informations et les prises de position qui témoignent de “la discorde chez l’ennemi”. Pour cela, il importe de comprendre qu’on peut désormais trouver des informations et des appréciations, – c’est-à-dire des armes dans une époque où la puissance s’appuie essentiellement sur la communication, – d’un réel intérêt pour la bataille contre le Système, chez des partisans incontestables du Système.
Pour nous dans tous les cas, – nous parlons de dedefensa.org en tant que site indépendant engagé dans une bataille essentiellement, sinon exclusivement antiSystème, – ce type d’appréciation est infiniment précieux. Cela nous permet de nous aider à distinguer le bon grain de l’ivraie dans la matériel de communication et d’information, et de commentaire, qui transite chez nos adversaires, et chez ceux qui leur sont assimilés, par volonté, par inadvertance, naïveté, étourderie, stupidité, simulacre... Qu’il y ait discorde, multiplicité, concurrence et antagonisme, confusion et complexité chez eux, ce ne peut être apprécié que comme une excellente nouvelle.