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1935L’un des lieux communs de l’offensive aérienne de l’OTAN en Libye est que deux pays européens, la France (surtout) et le Royaume-Uni, assurèrent l’essentiel des missions de combat, tandis que les USA assuraient une couverture générale au niveau du soutien en termes de ravitaillement en vol, de renseignement, d’identification des cibles, etc. ; ce dernier point a servi à argumenter, une fois de plus, que, sans les USA, personne ne peut rien faire de “sérieux” dans ces matières guerrières... Le lieu commun a-t-il lieu d’être ?
A Londres, au cours d’une très récente conférence, un pilote français (sans doute de l’aéronavale, servant sur Rafale M) a communiqué son témoignage opérationnel sur cet aspect des opérations. Sa position pulvérise le lieu commun, et par ailleurs contredit les versions officielles, tant US que française. Le pilote a affirmé que les avions de combat français n’avaient pas utilisé le soutien de renseignement et d’identification des cibles venu des systèmes US. La cause en est la lenteur des procédures pour que ces informations parviennent aux pilotes français. (Certaines précisions obtenues par ailleurs parlent d’un délai de deux jours pour obtenir ces informations destinées à l’utilisation de missions sur le point de démarrer, qui devaient en disposer dans les deux heures.) La position des chefs militaires français est très différente…
Le site AOL.Defense.com publie une nouvelle sur cette intervention, le 21 septembre 2011.
« Les forces aériennes françaises effectuant des missions de frappe en Libye contre les loyalistes de Kadhafi n'utilisent pas les images et les renseignements détaillés fournis par les avions de surveillance américains, selon les déclarations faites aujourd'hui par des pilotes français participant à ces sorties.
» "Depuis le premier jour des frappes aériennes de l'OTAN en Libye, les équipages d'avions de combat français ont eu du mal à identifier de manière positive ‘ce que nous visons et qui nous visons’, a déclaré un pilote français servant en Libye, devant un public d'industriels de la défense et d'aviateurs militaires participant à une conférence à Londres. ‘Le pilote dans dans son cockpit est entièrement seul’.
»"Lorsqu'on leur a demandé pourquoi les forces aériennes françaises ne profitaient pas de l'imagerie de ciblage avancée avec ou sans pilote, les pilotes ont répondu que la coordination avec les commandants de l'OTAN au centre d'opérations aériennes combinées (CAOC) dans le nord de l'Italie prenait trop de temps. Au lieu de cela, les pilotes ont préféré utiliser leurs propres nacelles de reconnaissance. Les pilotes ont déclaré qu'ils rejetaient les images des drones Predator à des fins de ciblage, car il fallait trop de temps pour que ces images soient approuvées par le CAOC.
»"Les pilotes français ont également déclaré qu'ils préféraient les images provenant de leurs propres nacelles, car elles comportaient l'identification intégrée des zones de frappe. Ils lançaient généralement un avion de reconnaissance, prenaient des photos, identifiaient les cibles et avaient un autre avion d'attaque en route vers la cible dans les cinq heures [...].
»" Tout ceci contraste avec les déclarations du général d'armée aérienne français Stéphane Abrial, commandant le Transform Command de l'OTAN : "Nous n'aurions pas pu atteindre le même niveau d'efficacité [en Libye] sans la forte contribution des États-Unis." Le général a déclaré que cela s'appliquait particulièrement au ciblage." »
D’abord, on appréciera le paradoxe amer, qui caractérise la France aujourd’hui… Un pilote français affirme de facto, pour des circonstances données qu’on va examiner plus loin, que la France est intervenue, dans une campagne qui a été saluée comme un succès aérien tactique et où la France a tenu un rôle prépondérant, en utilisant ses seuls moyens, donc en toute autonomie et indépendance selon la doctrine française mise en place par de Gaulle. Il est en contradiction avec des chefs militaires français qui affirment que rien n’aurait pu être fait sans “nos amis américains”, ce qui tend à indiquer que la doctrine en question n’a plus guère de valeur. Des deux appréciations, on serait tenté de croire celle du pilote, lequel est un opérationnel, sans guère de préoccupations politiques à l’esprit et qui s’en tient aux enseignements opérationnels, plutôt que tel général français en poste à l’OTAN, qui doit ménager la susceptibilité de ses alliés US et alimenter la narrative du bloc BAO selon laquelle rien n’est possible sans la puissance militaire US en cours d’effondrement. (Au reste, d’autres chefs militaires français que “le général français à l'OTAN” ont parlé dans le même sens, ce qui nous rassure quant à leur alignement sur les consignes.) On goûterait alors, dans cette hypothèse de classement des positions, les paradoxes divers, et toujours aussi amers, sinon grotesques, d’une politique française qui oblige officiellement ceux qui le servent à faire la promotion d’alliés dont le but a toujours été de discréditer les capacités d’autonomie de la puissance militaire française, aux dépens des capacités et de la validité de la doctrine centrale de la sécurité nationale française.
Maintenant, sur le fait lui-même, et en se référant au témoignage du pilote français… Ce que décrit ce pilote, ce n’est rien d’autre que la lourdeur, voire la paralysie des procédures bureaucratiques US, accentuées des réticences à donner des informations jugées “secrètes” à l’OTAN, et aux alliés européens. On peut même avancer que cette obsession de l’exclusivité (exceptionnalisme US) et du “secret” conduit en général ces bureaucraties à considérer leurs alliés comme leurs véritables ennemis, plutôt que l’ennemi d’occasion pour telle ou telle expédition du genre.
En plus de cela, la lourdeur inhérente à la bureaucratie joue évidemment son rôle. Cela conduit à se référer à la crise générale qui caractérise toutes les infrastructures de la modernité, notamment militaire ; les moyens ne manquent jamais, ils sont même nombreux, extrêmement avancés et sophistiqués ; c’est la souplesse et la rapidité de leur circulation dans des situations requérant en général et principalement souplesse et rapidité, qui manquent, souvent jusqu’à la compromission des missions impliquées. Le même processus existe, par exemple, dans des missions humanitaires où de la nourriture ou d’autres secours d’urgence sont nécessaires pour des populations en danger. Les moyens sont disponibles mais c’est la rapidité et la souplesse de leur distribution qui font défaut. La surpuissance du Système ne fait pas défaut mais les voies de son autodestruction sont disponibles et très vite actives…
Mis en ligne le 23 septembre 2011 19H04
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