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La question théorique amusante est de savoir si la présentation du deuxième tome des mémoires de Jacques Chirac aurait été la même, au même moment, dans les mêmes circonstances, voire avec essentiellement le même contenu (une correction est vite faite dans un livre sous impression, par les temps qui courent) s’il n’était arrivé ce qui est arrivé à DSK le 14 mai dernier à New York. Question théorique, question inutile…

Donc, les mémoires de Chirac, Tome II, ont fait irruption dans la campagne pour les présidentielles de 2012, dont on sait qu’elle est ouverte puisqu’elle est permanente. Des extraits ont fait un certain bruit, parce qu’ils présentent une critique rapide mais terriblement acérée du président-en-exercice (Sarko). Dérogation au “devoir de réserve” ? Sans doute est-ce que la situation est grave (par exemple, si Sarko était “en danger”, – pour la France, – d’être réélu), – sans doute certains doivent-ils raisonner de cette façon. La principale critique de Chirac est que Sarko, en un mot, est “anti-France”. La chose n’apparaît pas toujours en exergue, chez ceux-là même qui eurent l’exclusivité des bonnes feuilles… C’est que la confidence gêne terriblement le magma de droite qui sert de droite en France, magma sarkozyste par abandon, plaisir ou facilité.

Observons par exemple la retenue du Point qui a eu des bonnes feuilles, lorsqu’on y fait la présentation, notamment des conceptions différentes que se font les deux hommes de la France. (Sous la plume de Saïd Mahrane, les 7-8 juin 2011)

«Entre eux, le style fut différent, mais également la vision de la France, qu'ils étaient loin, très loin de partager, comme l'atteste cette confidence : “En décembre 2005, je saisirai l'occasion d'une rencontre à l'Élysée avec une cinquantaine de lecteurs du Parisien, qui ont tous vécu de près la crise des banlieues, pour marquer de la même façon mon refus de toute discrimination positive. Cette idée remettrait en cause un principe républicain essentiel, celui de l'égal accès aux emplois sans autre distinction que celle liée au mérite. Je rejetterai tout autant une autre idée en vogue, celle qui consisterait à accorder le droit de vote aux étrangers non européens, et tiens à rappeler, là encore, un des principes fondamentaux de notre République, qui veut que suffrage et nationalité soient indissociables.”»

Pour aller à l’essentiel de l’apport chiraquien à la campagne des présidentielles, allons à un bon résumé, venu de la presse anglaise. Il s’agit de John Lichfield, de The Independent, ce 9 juin 2011, sous le titre «“Impetuous, disloyal, and un-French”: Chirac attempts coup de grace on Sarkozy». Cela nous donne ceci, avec quelques mots soulignés de gras par nous :

«Extracts from Mr Chirac's rambling and selective second volume of memoirs – Le temps Presidentiel, memoires II – were published by two French news magazines yesterday. They unerringly address Mr Sarkozy's electoral weak spots. The book describes Mr Sarkozy as “nervous, impetuous, boiling over with ambition, doubting nothing and certainly never doubting himself”. Mr Chirac says that he twice considered but rejected Mr Sarkozy as a possible prime minister because he was too “right-wing economically”, wanted to appeal too directly to the “far right”, was too pro-American and “because we probably did not share the same vision of France”.»

En conclusion, Lichfield achève le catalogue électoral de Chirac avec cette précision : «The ex-president implicitly compares Mr Sarkozy's attitude with that of Mr Hollande, when he was leader of the Socialist Party in 2004. By ensuring bipartisan support of Mr Chirac's ban on Islamic headscarves in state schools, Mr Hollande “acted like a true statesman,” Mr Chirac writes.»

…Revenons un peu en arrière. A l’une ou l’autre reprise, notamment dans l’émission Ca se dispute sur I-TV, Eric Zemmour, qui présente souvent les conceptions des souverainistes en politique extérieure, a regretté l’élimination de DSK de la compétition présidentielle, parce que, dit-il en substance, “sa présence dans la campagne, avec lui venu du FMI et certainement représentant des ‘élites globalisées’ avec leurs conceptions, nous aurait permis d’assister à un vrai débat sur la globalisation”. Zemmour implique donc que, dans l’hypothèse évoquée, un DSK contre un Sarko au deuxième tour (pour poursuivre l’hypothèse), aurait opposé deux conceptions, celle de la globalisation représentée par DSK, et celle de… Sarko, supposée être celle de l’anti-globalisation, ou de la critique de la globalisation.

Cela nous conduit à notre jugement qui est de dire : au contraire. Avec DSK dans la campagne, au contraire, la question de la globalisation, – c’est-à-dire en vérité la question de la crise terminale du Système, – eût été complètement étouffée. DSK en aurait parlé à peine, selon ses convictions ou selon la pesanteur de ses positions dans le Système certes, mais tout cela très largement saupoudré d’un opportun virage pseudo nationaliste, pseudo-critique de la globalisation. Quant à Sarko, qui n’a aucune conviction mais qui ne fait que suivre le grand emportement des élites du bloc américanistes-occidentalistes, il en aurait parlé à mesure, également avec un assaisonnement pseudo nationaliste. Le résultat eût été une sorte de salade russe globalisée dont la recette n’a pour but que d’écarter l’essentiel du débat.

Au contraire (suite), l’intervention de Chirac est opportune à cet égard, DSK résidant désormais à New York. Elle met justement Sarko seul dans une sorte de position d’accusé pour des attitudes qui renvoient effectivement à la grande tendance du bloc BAO, – proaméricaniste, économiquement hyper libéral, etc., – c’est-à-dire au catéchisme du Système ; elle y ajoute un zeste de mise en cause personnelle en décrivant un personnage qui n’a ni la prestance, ni le comportement qui siéent à la fonction suprême. Ce sont les deux axes essentiels de la critique anti-Sarko qui sont ainsi alimentés. On boucle tout cela par un clin d’œil à Hollande, candidat “raisonnable” et “homme d’Etat“ sous ses modestes apparences, dont il apparaît par diverses déclarations qu’il estime effectivement qu’il faut avoir “une certaine idée”, sinon de la France, dans tous les cas de la fonction suprême, – alors que Sarko, lui, n’en a point. Zemmour, encore lui, estime que Hollande, malgré cette posture à tendance gaullienne, entretient les mêmes conceptions européanistes et pro-globalisation que les autres. Peut-être, mais cela n’importe pas. Nous ne sommes pas au temps où l’on élabore des politiques, mais au temps où l’on en est à chercher ce qui a le plus de possibilité de déstabiliser le Système, simplement par l’action des hommes politiques sans que ces hommes politiques aient nécessairement conscience de cette vaste entreprise. L’intervention de Chirac est également une “feuille de route” suggérée à Hollande : jouer autant que faire se peut le “gaulliste campagnard et modeste”, venu de sa province pour se poser en accusateur des élites parisiennes, parti des salonnards, etc., soutiens de DSK et de Sarko selon les circonstances et qui se seraient satisfaits avec délice d’un duel DSK-Sarko au deuxième tour.

C’est justement le cas où, peut-être, nous pourrions avoir un débat intéressant sur la globalisation, c’est-à-dire sur la crise terminale du Système par rapport aux réalités profondes de la France. Il n’est pas nécessaire que Chirac ait senti cela pour justifier l’interprétation que l’on fait de ses bonnes feuilles, à un moment si opportun. Tous les personnages de la pièce agissent sans qu’il soit nécessaire qu’ils aient conscience des effets réels de leur action. (Pour le cas de Chirac et dans le cadre où on l’évoque, ajoutons l’hypothèse annexe d’une pensée secrète qu’il aurait eu pour l’ami Villepin, s’il restait encore une chance à celui-ci d’entretenir des ambitions dans ce champ de 2012, en lui servant à lui aussi, et sur un plateau, les axes de l’attaque contre Sarko ; voire l’autre hypothèse annexe, un comble pour lui Chirac et sa vindicte anti-FN, d’un coup de pouce involontaire pour Marine Le Pen et sa dialectique anti-Système.)

L’intervention de Chirac est donc une chose qui vaut d’être considérée, qu’elle ait été machinée ou non. Elle officialise, de la part d’un ex-Président dont la popularité est considérable, les axes de critique de l’action du Système, telle que cette action se manifeste en France par l’intermédiaire du président-en-fonction, qui n’en demande sans doute pas tant et n’en réalise guère plus. En quelque sorte, elle ouvre la voie à la pente naturelle de la critique dans cette campagne électorale, telle qu’elle devrait être suivie par les uns et les autres. Elle peut effectivement susciter un débat déstabilisateur, voire déstructurant pour une France qui se trouve prise dans les rets du Système et de la crise du Système, sans pouvoir dénoncer le Système comme sa fonction habituelle dans les relations internationales et dans l’Histoire lui en fait l’essentiel de son devoir et de sa justification d’être.


Mis en ligne le 9 juin 2011 à 09H26