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455828 janvier 2015 – Ce second Glossaire.dde-crisis reprend le texte de dde.crisis du 10 septembre 2010. Les conditions de cette politique de “reprise” des textes de divers numéros de dde.crisis sont explicitées dans le texte du 28 novembre 2014 dans cette rubrique. Ce texte du 10 septembre 2010, qui fait suite chronologiquement à celui du 10 juillet 2010 republié le 29 novembre 2014, apparaît effectivement à cette place après la reprise du premier dans le Glossaire.dde-crisis. La logique est ici rencontrée, dans la mesure où les deux textes sont liés et se complètent. (Ce second texte commence d’ailleurs à partir d’une remarque d’un lecteur du texte du 10 juillet 2010.)
La thème annoncé par le titre “la source de tous les maux” concerne simplement, – mais fondamentalement certes, – la question du “Mal”. Bien que cette question soit universelle et constante dans la réflexion humaine, il nous semble qu’elle n’a jamais été à la fois aussi présente et aussi pressante, activée par un Système qui en est manifestement l’opérationnalisation principale, éclairée directement ou par inversion par un système de la communication d’une puissance inouïe, illustrée par des politiques qui semblent être hors de tout contrôle et répondre à des impulsions maléfiques. Bien entendu, depuis 2010, cette question n’a pas quitté notre esprit, – de même qu’elle était constamment présente avant ce texte de 2010, comme si les événements depuis le 11 septembre 2001 nous avaient fait entrer dans la dernière confrontation à cet égard. Ce problème du Mal su présent dans les événements quotidiens de cette époque folle et déchaînée, semble de plus en plus dépendre de donner supérieure, ce qui nous invite à apprécier notre temps, d’une façon quotidienne, d’un point de vue métaphysique, ou métahistorique comme nous l’avons encore précisé dernièrement…
Le texte est suivi d’une partie spécifique dite “Notes du temps présent”, qui constitue notre appréciation critique minimale de ce texte de septembre 2010, en fonction des événements qui se sont déroulés depuis et, surtout, de l’évolution de notre pensée à cet égard. Cette intervention est présentée de cette façon dans le texte référencé ci-dessus :
«Le texte sera retranscrit d’une façon générale tel qu’il fut écrit et publié à son époque (sauf pour une coquille traînant ici ou là, voire une maladresse formelle d’écriture qui demande réparation). Par contre, il y aura une sorte de “commentaire” venu du “temps présent”, – car la pensée évolue et la contraction du temps nourrit d’autant plus cette évolution, – sous la forme de notes sur tel ou tel point de détail, sur tel ou tel sens d’un jugement, montrant effectivement cette évolution et observant la façon dont cette évolution s’est faite. Il s’agit d’une “actualisation” dans le sens le plus large possible, puisqu’il s’agit aussi et surtout d’une volonté de poursuivre, d’élargir, d’enrichir, de transmuter éventuellement les différents concepts exposés, commentés et documentés. On ne se trouve donc nullement dans le cas systématique d’une reprise d’archives telles quelles, mais d’une reprise d’archives en relation directe avec les événements courants (de notre temps présent), et surtout en relation serrée avec l’évolution de la pensée depuis la publication de ces textes.»
Pour entamer cette deuxième année de dde.crisis, nous ne pouvons trouver meilleur “lien” avec l’année précédente que de prolonger [le travail] du dernier numéro de parution (10 juillet 2010). Dans cette chronique, nous abordions une question dont la vastitude ne peut échapper à l’esprit, qui est, justement, la crise de la raison humaine. Il s’agit donc du cœur de la crise. Plutôt que de nous attacher à un “sujet de crise” plus spécifique, – bien qu’il n’en manque pas, – nous jugeons préférable de prolonger [ce travail] d’une façon que nous jugeons pour une bonne part décisive. [Il ne s’agit] nullement [d’]un “revenez-y” de circonstance mais, bien au contraire, [d’]un complément nécessaire, important, – voire, nous répétons le mot, décisif...
C’est une [observation] d’un de nos lecteurs qui nous y a conduit, en même temps qu’elle nous inspirait effectivement notre propre [développement]. Lecture faite de dde.crisis du 10 juillet 2010, ce lecteur nous envoya une réflexion qu’on peut effectivement trouver sur notre site, sur le Forum de notre Notes d’Analyse du 17 juillet 2010 (voir, le 21 juillet 21010). Parmi les remarques que ce lecteur, se nommant lui-même “disciple égaré”, voulut bien nous soumettre, nous retenons celle selon laquelle il lui semblait que nous n’avions pas poussé notre réflexion assez loin:
«Mais je reste sur ma faim quand à l’impossibilité pour l’auteur de faire le lien avec la foi. Ça ne l’intéresse pas, dit-il... Son intuition devrait lui souffler que devant le vide vertigineux qu’il décrit, il n’y a que la Foi “sur-rationnelle”, cette religion dans le sens de relier, dans ce qu’elle a de trinitaire et donc de relationnelle, qui offre un espoir de salut. [...] Mais on reste perplexe devant la conclusion: prise en compte loyale, ouverte, humble même, est-il écrit, de facteurs nouveaux essentiels? Lesquels, puisque dans la foulée il est question de sagesse antique...»
Cette [observation] nous a frappé par sa cohérence, au point que nous nous sommes interrogé: pourquoi, en effet, cette conclusion restreinte? Notre réaction première a été fort intuitive, comme nous recommandons par ailleurs de procéder pour ouvrir la pensée à un champ permettant de mettre en cause l’usurpation de la raison humaine [la raison-subvertie] qui est la cause “opérationnelle” de la catastrophe que nous connaissons. Intuitivement, effectivement, alors même que nous reconnaissions la justesse de la remarque, nous persistions dans le propos tel qu’il était présenté dans ce numéro du 10 juillet... Quelle est la raison de cette persistance loyale? Pourquoi réagissions-nous de la sorte? C’est ce que nous nous proposons d’explorer.
Avant d’entamer cette réflexion, il nous faut un instant nous arrêter à une question de méthodologie, concernant le langage que nous allons employer... Au reste, l’on verra aussitôt que procéder de la sorte revient en réalité à effectivement entamer la réflexion. L’exposition de la méthodologie permet d’exposer les acteurs de cette réflexion, donc d’indiquer dans quel domaine, à quel niveau, voire dans quel sens se fera cette réflexion.
En effet, nous allons parler du bien et du mal. Il n’y a rien de plus universel, de plus galvaudé par l’emploi, de plus constant dans notre comportement et notre interrogation, de plus décisif dans notre réflexion, que la question du bien et du mal. L’important, pour nous, est de bien situer cette question pour ne pas perdre de vue notre soucis fondamental de placer notre réflexion dans un cadre concret, un cadre politique, voire un cadre caractérisé par son “opérationnalité”. (1) Nous essayons d’éviter l’écueil redoutable de la morale, parce que cet aspect qui semblerait inhérent à la question du bien et du mal est devenu le piège dialectique quasiment achevé de notre civilisation aux abois, ou, plutôt, du système qui en a pris les rênes pour la conduire à la catastrophe ultime. Dans notre “deuxième civilisation occidentale”, ou bien ce que nous nommons également la “contre-civilisation”, la morale utilisée par les forces de pouvoir, qui sont toute entière acquises au système qui nous domine, forme la tromperie la plus complète, la plus achevée qu’on puisse imaginer. (2)
Nous essayons donc d’envisager la question du bien et du mal hors de toute référence morale actuelle (3), hors de toute référence officielle, y compris hors de toute la pensée officielle qui est élaborée par les fonctionnaires-intellectuels du pouvoir, ceux qui représentent aujourd’hui la quasi-unanimité de la “classe intellectuelle” occidentale. Cela implique de nous en remettre d’abord à l’intuition et à l’expérience, pour déterminer les notions de bien et de mal. Par chance, ou par bonheur (?), nous disposons d’une référence qu’on pourrait tenir pour absolue si nous évoluions dans le seul domaine métaphysique, qui est le jugement que nous portons sur le système formant aujourd’hui la substance même du “bloc américaniste-occidentaliste”, cette “contre-civilisation” dont nous parlons. Ce système est, pour nous, considéré en un “bloc” justement, c’est-à-dire comme une entité quasiment autonome, ce système est absolument la référence du mal. On pourrait dire qu’il est le Mal, si nous avions justement ces intentions métaphysiques, – mais nous écartons cela, dans tous les cas pour l’instant. Nous parlons donc du mal comme source de tous les maux, et c’est effectivement, aujourd’hui, notre système en tant que manipulateur de la “deuxième civilisation occidentale”, qui le représente absolument. Notre système est ce par quoi cette “deuxième civilisation occidentale” est une “contre-civilisation”. Il a quelque chose d’absolu qui justifie qu’on le désigne comme “le mal”.
L’avantage paradoxal de notre époque est que le système agit désormais à visage découvert, sans trop se préoccuper de dissimuler ses perceptions, ses conceptions et ses objectifs. La principale caractéristique de sa démarche est sans aucun doute la recherche de la déstructuration.
D’une façon générale, par exemple et exemple le plus démonstratif, c’est le cas de la globalisation. En général, les Français parlent inconsidérément de “mondialisation”, – inconsidérément, parce que la langue française est l’une des très rares langues majeures à utiliser les deux mots, – tandis que, par exemple et exemple toujours aussi démonstratif, l’anglais ne connaît que “globalization”. La mondialisation est un phénomène naturel d’extension du domaine connu des relations jusqu’aux dimensions du monde connu; la globalisation est, principalement pour l’esprit de la chose, la dérégulation, – pour ce cas, à l’échelle du monde, mais ce pourrait être à n’importe quelle échelle, – c’est-à-dire la destruction des structures pouvant assurer un contrôle des conditions et des effets du mouvement de “mondialisation”. Nous parlons bien de déstructuration. (4)
D’une façon plus générale, la déstructuration est la recherche de la destruction de toutes les formes. Le but final est évidemment de retrouver la substance informe et de lui imposer ses propres formes... Mais peu nous importe ce “but final”, et nous importe seule la méthode, souvent présentée comme “le chaos créateur” ou bien “la destruction créative” (termes fondamentaux de définition du capitalisme, ce qui marque l’ontologie de cette doctrine d’une notion de valeur négative significative, d’une dimension ontologique réellement déstructurante qui la lie évidemment à notre notion de “mal”). En termes fondamentaux, la déstructuration est bien la recherche de la destruction de l’essence (la forme) pour réduire la situation à la seule substance informe. Ce simple constat justifie entièrement le jugement que ce système représente le mal et que le mal peut être interprété comme la dynamique de la déstructuration.
Cette équivalence a l’avantage de lier un concept extrêmement lourd et multiple, et chargé d’appréciations irrationnelles et mystiques (le “mal”) à une situation terrestre extrêmement identifiable et concrète, que nous percevons tous les jours. Plus encore, elle a l’avantage de donner une cohérence historique puissante et lumineuse dans son explication à l’évolution que nous observons d’une manière critique, au moins pour les deux derniers siècles. Le mouvement général observé durant cette période au minimum, et, d’une façon générale, pour la période nommée “modernité”, s’apparente effectivement à une déstructuration systématique, jusqu’à faire penser évidemment à une tendance systémique, de toutes les formes organisées. Le phénomène porte sur la société et sur les relations humaines, sur la politique, mais aussi sur les extrêmes, – que ce soit les structures du monde d’un côté (climat, etc.), que ce soit les structures de l’intimité de l’être (perception et psychologie) de l’autre.
L’intégration de la notion de “mal” dans la notion de “déstructuration” a l’avantage de permettre l’intégration de la crise centrale de la civilisation dans notre monde.
Dans La grâce de l’Histoire (5), nous développons une hypothèse selon laquelle la crise actuelle, – que nous identifions comme une crise de civilisation impliquant l’inéluctabilité de l’écroulement de cette civilisation, – est le produit d’un phénomène que nous désignons comme “le déchaînement de la matière”. Nous nous efforçons d’identifier historiquement le phénomène, le situant dans la partie décisive du déclenchement de sa phase finale, à la jointure des XVIIIème et XIXème siècles. Trois événements essentiellement suscitent le phénomène: la Révolution américaine, la Révolution Française et la “révolution” du choix de la thermodynamique comme agent fournisseur d’énergie. Les trois événements libèrent un puissant courant, un “déchaînement de la matière” qui se marque essentiellement dans la technique, puis la technologie (système du technologisme). Ce que nous nommons “le système de la communication”, qui regroupe l’ensemble des technologies, des attitudes, des techniques psychologiques et de la communication, complète le dispositif en l’habillant, ou bien en l’encadrant.
L’essentiel, dans cette appréciation, est évidemment l’importance que nous accordons au rôle tenu par la matière, rôle absolument dominant, rôle si élaboré que nous allons naturellement jusqu’à l’hypothèse de la formation de systèmes de type anthropotechnique, ou anthropotechnologique, dont les capacités peuvent elles-mêmes être l’objet d’hypothèses encore plus audacieuses. (Par exemple: ces systèmes acquièrent-ils une psychologie propre, voire une “conscience” grâce à la dynamique de leur formation?) Quoi qu’il en soit, notre jugement est que cet ensemble est la cause fondamentale de la crise de la civilisation que nous connaissons, au point qu’il nous arrive de plus en plus souvent de considérer que la responsabilité humaine est souvent faible, dans des rapports (avec la matière, sous la forme des systèmes qui s’en dégagent) où l’homme n’exerce qu’un contrôle d’apparence, quand bien même existe encore l’apparence de son contrôle. Plutôt que “responsabilité”, on parlera des faiblesses humaines: l’aveuglement, la lâcheté intellectuelle, l’immensité de la suffisance et de la vanité, etc.
La dynamique intellectuelle de cette hypothèse conduit naturellement la démarche de la recherche de l’identification du “mal”. On comprend aussitôt combien cette identification est importante, d’autant que l’on connaît bien les caractères systématiquement déstructurants du système du “déchaînement de la matière”. Considérée de ce point de vue, la matière, lorsqu’elle se trouve dans ces conditions dynamiques, est elle-même déstructurante. Elle s’identifie naturellement avec ce que l’on nomme le “mal”. Tout cela s’enchaîne logiquement à son rôle vis-à-vis de la civilisation, et à sa responsabilité essentielle dans la formation de la “contre-civilisation”. (Pour notre réflexion, nous prenons le concept de “matière” dans un sens très spécifique. Cela ne fixe en rien le problème de la nature de la chose, qui nécessite une réflexion elle-même spécifique.) (6)
Un autre de nos lecteurs, nous apportant une aide d’une grande importance dont nous lui sommes si reconnaissants, observait, au travers de notre hypothèse historique sur la “matière déchaînée”, qui n’est rien de moins qu’une mise en cause de la matière, combien cette démarche se rapprochait de celle du philosophe romain fondateur de l’école du néoplatonisme, Plotin (205-270), l’un des rares métaphysiciens à identifier effectivement la matière comme le “mal”. Plotin dit, dans le Traité 51 des Enneades, sur La nature du mal, – qu’il définit par rapport au bien, après avoir offert une définition du bien comme tout ce qui est mesure, limite, forme, suffisance, stabilité...:
«Car on pourrait dès lors arriver à une notion du mal comme ce qui est non-mesure par rapport à la mesure, sans limite par rapport à la limite, absence de forme par rapport à ce qui produit la forme et déficience permanente par rapport à ce qui est suffisant en soi, toujours indéterminé, stable en aucun façon, affecté de toutes manières, insatiable, indigence totale. Et ces choses ne sont pas des accidents qui lui adviennent, mais elles constituent son essence en quelque sorte, et quelle que soit la partie de lui que tu pourrais voir, il est toutes ces choses. Mais les autres, ceux qui participeraient de lui et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi.»
En fonction des événements que nous vivons et de notre interprétation, apparaît la possibilité d’une appréciation selon laquelle la matière est “l’essence du mal” alors qu’elle n’est que substance par définition. On peut concevoir que le “mal” usurpe la notion d’essence et monte une mystification qui fait prendre la substance pour l’essence (l’un des sens du mot “persiflage”du XVIIIème [Voir notre numéro du 10 juillet] est “mystification”). Le mouvement de déstructuration montre sa logique perverse: il est la marche vers une soi-disant essence qui n’est qu’une substance informe, il veut se faire passer pour une évolution vers le bien alors qu’il est l’exact contraire. C’est le piège diabolique où se débat notre “deuxième civilisation occidentale”, qui mérite alors absolument d’être qualifiée de “contre-civilisation” puisqu’elle est ainsi l’archétype du contraire de la civilisation, comme son évolution est elle-même l’archétype du contraire de la marche vers le bien.»
Il y a une exceptionnelle modernité (7) dans le propos du Plotin, dans le bon sens de notre observation; c’est-à-dire une exceptionnelle adaptabilité de son propos à la situation de la modernité. En mettant en cause la matière, il plonge au cœur de la crise de la modernité, telle que nous la ressentons nous-mêmes (déchaînement de la matière, système du technologisme, formation de système anthropotechnologiques peut-être dotés d’une réelle autonomie, etc.). Il nous ouvre le regard sur l’universalité et la constance de la question, et nous pouvons alors mesurer combien l’aggravation extrême de notre évolution à partir des “trois révolutions” (1776-1825) et du développement du système du technologisme pose un problème de survie à notre civilisation. Le principe lui-même, venu du fond des âges, de la sagesse antique, s’accole aux événements de la modernité, littéralement comme si le philosophe les avait pressentis.
Nous devons maintenant abandonner la sphère théorique pour rencontrer la réalité de la situation de l’époque, pour éventuellement l’éclairer et espérer en approcher la vérité. La question pratique et concrète qui se pose aujourd’hui est bien celle de la complexité de la dynamique du système dans ses attaques de déstructuration, essentiellement durant les dernières années, – ses attaques contre les structures qui pourraient imposer quelque contrôle, et, par là, quelque limitation à cette même dynamique du système. Cette complexité est également due à la puissance extraordinaire de la dynamique du système, la force qui caractérise cette civilisation transformée en systèmes, qui sont essentiellement activés par des attributs et des artefacts issus de la matière.
Effectivement, nous rencontrons bien une équivalence entre cet aspect de la situation actuelle, de la crise centrale que nous connaissons, et l’observation fondamentale que le mal, comme “source de tous les maux”, se trouve être la matière même. Dans les conditions de la modernité que l’on connaît, notamment du système de la communication, cette situation implique une formidable influence de la matière sur l’esprit humain, sur sa psychologie, sur la pensée qui en est construite, etc. (Ce dernier point de l’“influence sur l’esprit humain” renvoie à une idée extrêmement importante de Plotin selon laquelle les hommes ne sont pas mauvais en eux-mêmes mais le deviennent par proximité, imitation, participation, etc., – par vulnérabilité, faiblesse, aveuglement, par “épuisement de leur psychologie” en général : «Mais les autres, ceux qui participeraient de lui [du mal] et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi.»)
Comme on le voit et comme on l’exprime chaque jour, comme on le lit dans nos chroniques où nous prêtons la plus grande attention au fait, il est vrai que la situation actuelle, où règne la matière déchaînée, est extrêmement difficile à déchiffrer dans le détail de ses événements (nullement dans leur sens général). Ce déchaînement de la matière implique à la fois puissance et sophistication, en raison des systèmes qui se sont formés pour assurer ce déchaînement, – système du technologisme et système de la communication essentiellement. La plus grande difficulté réside dans la diversité des développements, et dans la diversité des interprétations de chacun d’eux. Le système déploie un arsenal puissant de moyens de travestissement, de tromperie, de mystification (nous avons souvent parlé du virtualisme qui en est l’élaboration achevée). Tout cela rend extrêmement difficile l’identification des situations et des actes où se manifeste l’action du système, avec l’effet de pervertir les jugements et de miner les convictions. Nous sommes placés là devant un problème fondamental pour l’action de la vie courante, pour le comportement, pour sa propre information, pour sa propre analyse de la situation du monde et des conditions de crise.
Il y a dans cette situation général, si complexe, si diverse dans sa variété, ce qu’on doit identifier comme une exceptionnelle force de “mystification” (sorte de persiflage, bien sûr, dans ce sens) qui nous confronte avec les immenses difficultés de l’identification du mal. Cela nous confirme dans la suggestion qu’il n’y a rien, effectivement, de plus urgent que cette identification des manœuvres, des dissimulations, des faux semblants, de tous ces artifices que ce phénomène adopte naturellement pour se manifester. Si l’on voulait parler en termes guerriers fondamentaux, – puisqu’il ne s’agit après tout de rien de moins qu’une guerre, sinon un affrontement final, – nous dirions qu’il est tout à fait nécessaire de dissiper le “brouillard de la mystification” comme il existe un “brouillard de la guerre” (“fog of war”). (On remarquera que, dans ce sens qui est celui du désordre, le terme de “brouillard” est également proche de “camouflage”, ou du terme anglais de “deception”, c’est-à-dire fort proche du concept de “mystification”.)
Il ne s’agit pas seulement d’une disposition disons “tactique”, pour rendre une lutte plus efficace, pour éclairer un engagement. Cet aspect existe, on dirait même qu’il va de soi, mais il est secondaire dans l’ontologie de l’attitude. Il s’agit d’abord, en mesurant la diversité et la complexité extraordinaires et extraordinairement mystificatrice des effets du mal, de mesurer la dimension et l’universalité également extraordinaires de la crise, son aspect ontologiquement quantitatif; et, ce faisant, de progresser vers une interrogation métaphysique qui sera nécessairement une riposte qualitative à la crise et au mal; cette riposte qualitative sera la meilleure voie pour découvrir l’aspect ontologiquement quantitatif du mal, du “déchaînement de la matière”.
La mesure de la dimension et de la complexité de la crise doit donc conduire à une mesure de la réalité et de l’importance de l’action du mal, donc de la réalité et de la force du problème du mal en même temps que la mesure découvre la vérité de la nature de la crise. Cette démarche est un instrument de compréhension, in vivo, de la nature des problèmes fondamentaux qui se posent à l’esprit humain, de la force de la subversion quantitative que cet esprit subit, ou qu’il doit affronter s’il n’est encore perverti c’est selon. L’évolution physique du monde nous force à nous interroger sur la métaphysique de notre existence, et sur ce que notre civilisation a fait de tout cela. (8) La nature de la crise telle que nous l’avons identifiée, c’est effectivement le cas où le mal est identifié à la matière, celle-ci se manifestant sous différentes dynamiques, soit celle du technologisme, soit celle de la communication; c’est aussi le cas où ce phénomène peut effectivement conduire, par simple acte de résistance et de réaction, à une réflexion nécessairement métaphysique.
Ces différents points nous ramènent ainsi, naturellement, à notre présentation de départ et à la remarque de notre lecteur, concernant l’absence de prise en compte (dans notre précédente partie) de problèmes tels que celui de la foi, de la Tradition, etc.
Le plus remarquable dans l’époque que nous vivons, et dans la crise qu’elle abrite, c’est le déchaînement du système, sa diversité d’agression sans aucune limite ni retenue. Il y a là comme une sorte d’accomplissement, d’achèvement, d’agression sans retour. Si le système est ce déchaînement de la matière, et si la matière est le mal, alors les événements sont en train de nous exposer tout ce que le mal peut donner. Il s’agit d’un moment exceptionnel, essentiellement pour cette raison. Bien que cette agression soit purement quantitative comme l’est le mal dans cette manifestation, nous dirions qu’il y a quelque chose de qualitativement exceptionnel dans cette crise, – si nous acceptons d’apprécier le temps historique “par-delà le bien et le mal” pour mieux cerner les contours de ce qui est mal et de ce qui est bien. La crise elle-même est ainsi mieux définie par elle-même, par sa propre manifestation: ce déchaînement du mal est lui-même la manifestation de la crise, donc en quelque sorte ce que nous désignons comme le mal, ou comme “la source de tous les maux” comme Plotin lui-même le dit, est lui-même en crise par le fait de ce déchaînement qui est la marque d’une perte de contrôle.
Pour toutes ces raisons et tant d’autres, annexes, il va de soi que le plus important que nous puissions connaître, et donc chercher à connaître, est bien entendu cette manifestation générale du mal. On en revient à la remarque de notre lecteur, concernant l’absence de prise en compte (dans notre précédente rubrique sur “la crise de la raison humaine”) de problèmes tels que celui de la foi, de la Tradition, etc. Dans ce cas, c’est s’orienter vers la recherche du bien, de la référence de sauvegarde, et cela ne nous semble pas être l’essentiel relativement à notre situation terrestre, même s’il s’agit de l’essentiel objectivement parlant.
Devant la puissance de la crise et des événements, il n’y a rien de plus nécessaire, de plus urgent et de plus décisif, que l’identification du “mal”, qui a acquis une puissance et une diversité, et une complexité sans précédent. Ainsi prenons-nous une exacte mesure, et même nous y sommes conduits irrésistiblement, des références du “bien” auxquelles nous devrons faire appel et auxquelles nous ferions appel. Nous en venons à la démarche proposée par notre lecteur, mais par des voies naturelles et pressantes, nous dirions même “objectives”. Procéder différemment a également l’extrême désavantage d’offrir le flanc à la tactique habituelle du système, du réductionnisme, de la parcellisation et de la dégradation des problèmes identifiés. En nous dispensant des débats et plaidoiries dans ce sens, cette “méthode” nous permet d’écarter les polémiques et querelles inutiles, sur les sujets annexes de la propagande courante du système, comme le cléricalisme, la religion, l’athéisme et toutes ces balivernes terrestres. L’urgence des temps interdit le risque de disperser attention et énergie.
Si l’on considère ce que nous désignons le mal comme notre adversaire, ce qui est un jugement raisonnable, alors notre adversaire n’est pas (seulement?) une puissance métaphysique, ou non identifiable. Il est bien visible, il est identifié, il est déterminé d’une façon évidente par des forces qui lui sont propres, qui ont une manifestation terrestre également évidente. Il importe de lui opposer une notion naturellement structurante, – exactement ce qu’est le bien, selon la définition qu’en donne Plotin. Cette forme de résistance est évidente et nous dirions qu’il y aurait un temps précieux perdu et un facteur pressant d’incertitude et de division si nous nous attachions à sa définition alors qu’elle va de soit puisqu’elle est naturellement entraînée, a contrario, par l’identification du mal.
Peu importe que nous ne nous attachions pas au “bien” ni aux autres références supérieures. Par logique antinomique, ces références apparaîtront d’elles-mêmes, si ce n’est déjà fait. Ce qui importe, c’est de faciliter les conditions de l’évolution vers une époque métaphysique. En procédant par rapport au mal, ou à “la source de tous les maux”, en les identifiant, en observant et en mettant à nu leur multiplicité, leur diversité, leur foisonnement, et leurs caractères évidents de déstructuration, nous établissons les conditions de la mise en place d’une logique métaphysique pour faire progresser cette bataille. Ainsi sommes-nous sur la voie d’entrer dans une époque métaphysique, (9) et c’est l’observation essentielle de l’événement essentiel. (10) Il s’agit non pas d’une appréciation prophétique, mais du constat d’un développement logique à attendre, – d’une logique supérieure en ce sens qu’elle serait marquée de plus en plus clairement par des éléments et des composants effectivement supérieurs. Par le simple fait que l’identification du mal correspond à celui de la modernité, il est facile d’avancer l’hypothèse que ces “éléments et composants supérieurs” seront évidemment liés à la Tradition et à d’autres domaines qui lui sont proches.
Là n’est pas l’essentiel pour les événements qui se précipitent, même si ces facteurs sont effectivement essentiels lorsqu’on en juge (pour ou contre) dans l’absolu. L’essentiel est cette évolution vers une époque métaphysique, qui est d’abord la conséquence logique des événements d’un temps historique caractérisée par des tensions extrêmes, des crises terribles et eschatologiques, nés du “déchaînement de la matière” (le mal), et profondément déstructurants par le fait même. Tous ces constats peuvent être faits d’une façon assez naturelle, sans proclamer des concepts et des engagements qui, s’ils se comprennent évidemment, n’auraient pour effet que d’alimenter des polémiques et de brouiller les évidences (pourquoi discuter du sexe des anges alors que la catastrophe gronde?). L’important, l’essentiel à nouveau, est effectivement de demeurer dans les événements, essentiellement déstructurants, qui se produisent et non de tenter de s’en extraire en croyant ainsi mieux les dominer. L’essentiel est de continuellement faire observer que les manifestations du mal sont concrètes, identifiables, qu’elles font partie d’une réalité dont l’effet est évidemment de détruire toute la vérité du monde, y compris en détruisant le monde tel que nous en avons hérité de la Tradition.
Pour compléter ce qui précède, un point essentiel doit être répété et fixé, qui concerne l’identification du “mal”. Notre raisonnement n’a de valeur fondamentale que si l’on accepte l’idée du mal, “cause de tous les maux”, identifié au “déchaînement de la matière”, rejoignant ainsi ce que nous dit Plotin. Par ailleurs et pour notre propre cas, on rappellera que ce n’est pas un artifice dialectique, que le fondement de notre thèse repose sur des faits avérés et sur une vision historique elle-même attentive à la vérité, avec notamment le rôle fondamental du technologisme. Le point essentiel de cet indispensable complément est qu’il exonère l’homme de la responsabilité centrale, qu’il en fait un comparse, et particulièrement dans l’époque moderniste qui est l’époque du triomphe de la matière (technologisme, communication). En disposer autrement, pour la satisfaction de mettre tel nom ou telle nation sur l’autel de la responsabilité, serait une fois de plus sacrifier à la toute puissante vanité de la raison humaine. (11)
Il existe des exemples extrêmement concrets de l’ambivalence humaine au milieu de notre crise, qui font penser qu’effectivement l’être humain tient un rôle ambigu, éventuellement secondaire, fort peu conscient des enjeux en cours, aussi bien adversaire du déchaînement de la matière en telle ou telle occurrence, que complice et serviteur le reste du temps. Il en est ainsi du cas historique d’un Donald Rumsfeld jouant le rôle qu’on sait le 11 septembre 2001, éventuellement avec une main dans l’organisation de la chose (cela pour la thèse du “complot” qui en vaut bien une autre et qui vaut certainement plus que la thèse officielle), réclamant une demi-heure avant l’attaque devant des députés républicains un “choc salutaire” pour réveiller et mobiliser la nation, organisant dès l’après-midi le montage pour faire de Saddam Hussein un responsable de l’attaque; ainsi, Rumsfeld complètement acteur de premier plan dans l’activisme complice du système du technologisme et du “déchaînement de la matière” [... Mais] le même Rumsfeld, la veille (10 septembre), prononçant un discours d’un courage exceptionnel, où il dénonçait le Pentagone comme une entité, encore plus dangereuse pour les USA que l’URSS. Parlant aux bureaucrates du Pentagone, il les exonérait de toute responsabilité pour s’en tenir à une accusation contre un système, c’est-à-dire une représentation du Pentagone en tant qu’entité du “déchaînement de la matière”: «Not the people, but the processes. Not the civilians, but the systems. Not the men and women in uniform, but the uniformity of thought and action that we too often impose on them.»
La recherche d’une explication sérieuse (hors des épuisantes hypothèses de complot) de tels écarts contradictoires de comportement conduit à une appréciation métaphysique. Rumsfeld avec un comportement relevant de la métaphysique? Seule cette hypothèse permet de comprendre une situation trop triviale et incertaine par elle-même.
Certes, l’on peut forcer la raison pour parvenir à esquisser l’hypothèse sempiternelle que la raison “a toujours raison” et que le comportement de Rumsfeld s’explique par des montages et des manœuvres d’une extraordinaire complexité. Nous avons longuement pensé à ce cas (9/10 et 9/11 chez Rumsfeld) et avons conclu à la vanité d’une telle approche. Au reste, l’on sent bien que 9/10 (le discours) gêne beaucoup, – les pro- et les anti-Rumsfeld, – pour un jugement, positif ou négatif, sur l’homme réduit aux normes du système (animateur de la lutte anti-Terreur ou tortionnaire et comploteur de 9/11). C’en est au point que ce discours du 10 septembre 2001, pourtant fondamental, est simplement ignoré sauf quelques cas rarissimes. (Le dernier cas est celui de Winslow Wheeler, – voir notre texte Bloc-Notes du 31 juillet 2010, sur notre site; d’ailleurs avec cette remarque [intéressante] de Wheeler qualifiant ce discours de “chant du cygne” de Rumsfeld alors que Rumsfeld restera encore six ans secrétaires à la défense, «In his September 10, 2001 (alas, not to be) swan song speech, Donald Rumsfeld asserted that 50 percent of DoD spending was overhead...») (12)
Nous adoptons un point de vue différent, où le mal (“source de tous les maux”) se trouve dans la matière (13) et son déchaînement étant le déchaînement du mal où les hommes ne sont que des comparses épisodiques, et souvent contradictoires, selon les nécessités de la chose et leur niveau de conscience («Mais les autres, ceux qui participeraient de lui [du mal] et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi.»). Dans ce cadre, le comportement de Rumsfeld peut rendre compte d’une logique métaphysique qui le dépasse; échappant un jour à cette pression de “la matière déchaînée” et dénonçant en des termes jamais dits publiquement l’un de ses vecteurs (la bureaucratie du Pentagone non pas du point de vue humain mais en tant que mécanique d’un système anthropotechnologique qui [est un des représentants opérationnels aujourd’hui du] “déchaînement de la matière”); le lendemain y succombant (puisqu’effectivement, 9/11, quels qu’en soient les auteurs, est le facteur d’une dynamique née du “déchaînement de la matière”, – technologisme, communication, – et destinée à accélérer ce déchaînement).
D’un côté Rumsfeld s’oppose au “déchaînement de la matière”, de l’autre il le favorise... En l’occurrence, Rumsfeld ne nous intéresse pas, mais son rôle, avec une conscience limitée, reflète bien l’affrontement en cours entre le déchaînement déstructurant de la matière et la lutte qu’on peut livrer contre cette attaque dans certaines occurrences. Quel jugement moral, quel jugement rationnel porter sur Rumsfeld? Faut-il applaudir au réformateur audacieux et courageux du 10 septembre 2001? Faut-il dénoncer le magouilleur du 11 septembre 2001 et futur ordonnateur du système de torture lors de la campagne irakienne, typiquement déstructurante? Vanité que tout cela, vanité de la raison prétendant juger du comportement des choses et des êtres comme s’ils étaient investis des valeurs suprêmes. (15) L’observation du comportement de Rumsfeld selon une logique métaphysique, lui-même avec une faible conscience de la chose, est bien plus féconde.
Une dernière remarque sur cet aspect de la distinction du mal, de son identification, pour conduire à une époque métaphysique par la logique des événements et de nos réactions, nous ramène au philosophe Plotin. Pour un novice, un non-spécialiste de la “technique” philosophique (comme nous sommes, par bonheur semble-t-il), ce qui fait la puissance de cette sorte de philosophe, c’est le naturel de son langage, même s’il s’agit d’un langage d’une densité extrême, et le non moins grand naturel avec lequel sont intégrés des éléments sur-rationnels, ce qui est le “sacré” selon notre entendement, dans la logique et le raisonnement courant. Ayant défini le mal, il ne s’est pas prononcé sur l’“impensable” (parce qu’au-dessus de notre pensée) qui est de savoir ce qui se trouve derrière la nature du mal. Il ne paralyse pas son discours par l’introduction de matières dont le poids et l’hermétisme interdisent la pensée hors de certaines normes, comme le fait la philosophie de la modernité (de la raison) avec son langage hermétique et sa technique de conceptualisation théorique ... Si vous débattez de l’appréciation métaphysique de l’action antagoniste de Rumsfeld les 10 et 11 septembre 2001, et que vous ajoutez soudainement: “By the way, Dieu existe-t-il?”, vous sentez bien qu’au mieux vous paralysez le débat par son extension à la théorie conceptuelle et à la connaissance impénétrable (l’inconnaissable), au pire vous le brisez par rejet dans la caricature comme on jette une pitance en pâture au persiflage qui est l’arme principal d’abaissement paradoxal d’une tentative de pensée haussée à la dimension de la crise. Dans les deux cas, le résultat est bien une mise à l’index, dans le sens religieux de cette technique de coercition intellectuelle, du domaine entier du sacré.
Nous revenons ainsi à une idée déjà exprimée dans notre précédente livraison (16) qui recouvre la nécessité de trouver (de retrouver) un langage “rationnel” pour exprimer et débattre de la présence évidente et nécessaire de la surrationalité dans notre réflexion. C’est-à-dire qu’il importe absolument de faire entrer l’intuition (17) dans le processus de la pensée, à côté (au-dessus) de la raison, de faire entrer le sacré et le sur-rationnel comme objet de la réflexion, à côté de l’objet courant qu’est la perception directe de la situation du monde. Il faut extirper la notion de sacré et de sur-rationnel des domaines de la foi, des références de la religion, etc. Il faut étudier le sacré et le sur-rationnel comme un facteur objectif et non comme un facteur dépendant de la foi que vous avez, de la religion que vous pratiquez, comme un facteur impératif à étudier hors de toute foi ni religion par rapport à lui. Il faut délivrer le sacré à la fois de l’hystérie positive de la croyance et de l’hystérie négative de la raison (de la science). Le sacré mérite cela car si l’on s’en tient à l’appréciation métaphysique, il n’y a rien qui mérite plus d’être objectivé que lui, donc rien qui mérite plus que lui d’être tenu hors de portée de l’hystérie des psychologies épuisées. (18)
Il n’y a pas à s’expliquer ni à se justifier mais simplement à tenter d’expliquer pourquoi une telle approche que celle que nous avons développée est, aujourd’hui, absolument, impérativement justifiée. Cette époque d’un colossal bouleversement, de l’effondrement d’un monde, de l’écroulement d’une civilisation ne laisse pas de choix à cet égard.
Si l’on risque un regard circulaire pour embrasser la situation du monde, le spectacle qui s’offre à nous, de l’impuissance et de la paralysie stupéfaite, autant des directions politiques que des centres de pensée ou des milieux d’expertise, doit absolument retenir notre attention. Nous ne sommes plus devant une pensée structurée et évoluant selon cette structure, un argument auquel il faut répondre selon une ligne logique, mais devant une construction ossifiée, figée dans la glace d’un froid éternel, dont on ne peut même plus juger de la valeur et de l’orientation pour éventuellement les dénoncer et les combattre. Cette situation n’est d’ailleurs pas scandaleuse mais logique, puisque cet enfermement et cette glaciation de la pensée impliquent évidemment sa paralysie et son impuissance. L’intervention extérieure, et décisivement extérieure, devient une nécessité vitale pour tenter de poursuivre le processus de la pensée.
Le caractère de notre époque n’est plus de “penser faux” (pour ceux qui en jugent ainsi) avec les variations dans le degré de la fausseté, ni même de refuser de penser au nom de l’absolutisme d’une doctrine (comme c’était encore le cas avant la crise du 15 septembre 2008), mais de simplement écarter l’option de la pensée en proclamant implicitement que le travail est, de ce point de vue, achevé. Cela ressemble à la réponse d’un intellectuel parisien qui présentait (en 2000) son travail sur l’histoire des intellectuels parisiens, et répondait à une remarque sur l’absence aujourd’hui de “grands penseurs” type-Sartre, que «c’est sans doute que tous les grands problèmes sont résolus et qu’il n’y a plus besoin de penseurs de ce calibre». (19) Il ne s’agit certes pas de réclamer un Sartre mais d’observer qu’il en est ainsi de la capitulation de leur pensée, face aux événements incompréhensibles pour eux: “tous les grands problèmes sont résolus”. (20) Il convient de se rappeler comme d’une exhortation les considérations de Nietzsche sur sa philosophie “à coups de marteau” et admettre que l’attaque doit se faire à coups de marteau pour, comme on dit, “briser la glace”. Sortir la métaphysique de sa caricature exposée dans les musées de la pensée et la jeter dans un débat sur les événements courants, hors de sa gangue réductrice, est une façon intéressante de tenter de “briser la glace” car la chose peut être un bon marteau dans des mains expertes.
Le National Journal du 6 août [2010] écrivait: «The post-Cold War world has evolved into a chaotic and unmanageable place, characterized not by ideological consensus but by the proliferation and empowerment of increasingly angry blocs of people around the world and on the home front.» Puis, s’attachant encore plus au cas des USA: «Crisis follows crisis, disorder reigns, U.S. power degrades, and President Obama may find that the biggest threat to his strategy for U.S. International leadership lies in the desunity at home.» On notera que nulle part n’apparaissent les mots “terreur” ou “al Qaïda”, ou encore “Iran” ou “Afghanistan”. Seul “règne” le mot “désordre”, dans le chef d’un hebdomadaire respecté, et reconnu pour rendre compte des pensées à demi secrètes de l’establishment de Washington.
Pendant ce temps, la direction russe méditait les paroles du président Medvedev, parlant à propos de la vague de chaleur et des immenses incendies qui ont ravagé la Russie: «Pratiquement tout est en train de brûler. Le temps est anormalement chaud. Ce qui est en train d’arriver avec le climat de la planète doit être un signal de mobilisation pour nous tous, je veux dire tous les chefs d’Etat, tous les chefs des organisation, de façon à déterminer une approche plus énergique face au changement global du climat.» Qu’importe ici d’avoir fait suivre les USA par la Russie, le chaos des relations internationales des signes effrayants de la crise eschatologique de l’environnement. Ce qui importe est l’illustration ainsi esquissée, une fois de plus et en toujours plus catastrophique, de l’état du monde...
C’est dans ces conditions, aujourd’hui, qu’il faut mesurer le poids et les conséquences du desséchement de la pensée dirigeant les affaires du monde, son refus d’affronter la crise du monde qui est en train de se transformer en une terreur silencieuse devant cette crise du monde, conduisant à une sorte d’autisme lorsqu’il s’agit d’en faire une analyse générale et d’en tirer éventuellement, ou plutôt évidemment, des conclusions qui pulvérisent les dogmes politiques et civilisationnels en place. Nous assistons à l’abdication de la raison humaine de sa prétention usurpatrice de maîtriser le monde et le destin de la civilisation qui va avec. La rapidité avec laquelle ces certitudes faussaires s’effondrent, depuis qu’elles ont commencé à être sérieusement (décisivement) mises en question, dans les années 1990, cette rapidité est confondante.
Aujourd’hui, la direction du monde est confiée à un aveugle qui pérore dans une maison qui s’effondre, jusqu’alors assuré qu’il s’agissait d’un simple verre renversé qu’il a remis en place sur la table (disons le 15 septembre 2008 pour fixer les idées), soudain privé de ses certitudes à mesure des craquements et des effondrements des structures du monde. Aucun argument, aucun raisonnement, aucune logique à opposer, ni même, – aucune révolution... Mais l’attaque de la pensée faussaire, la dénonciation de la vanité funeste d’une raison prisonnière de la matière, et pour cela, un marteau, pour frapper et encore frapper. Quel marteau aurait plus de force que de la réintroduction dans leur zone de réflexion de la métaphysique, la vraie, celle qui donne à l’homme et à sa pensée leurs vraies dimensions?
Cet exercice théorique que nous terminons ici n’est pas gratuit. Il nous paraît s’imposer dans une époque qui étouffe littéralement dans le carcan dialectique, conceptuel et philosophique qui lui est imposé. Plus rien de ce qui est dit, pensé, observé de la part de nos élites ne correspond à la vérité du monde, qui est en train d’exploser sous nos yeux. Une telle situation mérite effectivement que l’on envisage l’hypothèse qu’une entité qu’on désignerait comme “le mal” soit à l’œuvre, et désormais à l’œuvre dans la phase finale de l’affrontement qu’elle a ainsi suscité.
Notre approche est que la puissance du “mal”, qui est la matière lancée dans une dynamique déchaînée désormais identifiable précisément depuis deux siècles, assure une domination absolue de la civilisation, avec la complicité d’une élite fournissant les idées nécessaires comme feuille de vigne ou cache-sexe de ce mouvement. Comme on l’a vu, cette appréciation exonère l’homme d’une responsabilité ontologique, ce qui est d’ailleurs l’une des différences importantes entre la philosophie de Plotin et celle du christianisme.
«II semble donc que la faute selon Plotin soit moins révolte et défi que vertige et lassitude. Elle est inversion ou aversion par défaillance, non par malice proprement dite. Elle est insuffisance noétique beaucoup plus que refus éthique. En cela elle diffère du péché selon le christianisme. Ce péché est en effet une sorte d’infini privatif et d’absolu négatif. Il est d’abord péché de l’esprit; le péché de l’ange précède et provoque celui de l’homme. Sous les formules semblables dont usent parfois néoplatoniciens et chrétiens se révèle sur ce point capital un bon désaccord.» (Jean Trouillard, «L’impeccabilité de l’esprit, selon Plotin», Revue de l’histoire des religions, 1953.)
Cette perception, que nous réclamerions pour notre compte également, permet de faire intervenir des jugements et des appréciations beaucoup plus souples sur les événements, et donc de les embrasser d’une façon beaucoup plus féconde; cela permet de réduire d’autant la prétention effectivement mais accidentellement maléfique de la raison humaine de sa domination du monde, et de faire tenir à l’homme le rôle qu’il a souvent effectivement tenu dans des événements fondamentaux, – moins mauvais qu’on ne juge, moins décisif qu’il ne croit... (Voir le jugement de Joseph de Maistre sur le rôle des chefs révolutionnaires pendant la Révolution française.) L’appréciation de “vertige et lassitude” de Plotin pour caractériser la faute nous semble rencontrer parfaitement notre perception du “XVIIIème siècle du persiflage” qui, par épuisement de la psychologie cède à l’ivresse d’idées non portées à leur conséquence (lassitude et vertige), débouchant sur la Révolution Française et sur le triomphe, non des idées révolutionnaires (quelle étrange oxymore), mais de la matière déchaînée dont la guillotine sera le premier symbole et le premier métal, avec son ombre s’étendant, non sur la France, mais sur la civilisation du monde.
L’intérêt de ces recherches et de ces supputations que nous faisons, nous semble être d’offrir un champ beaucoup plus ouvert à la réflexion. Nous sommes dans une époque où il apparaît de plus en plus évidemment et de plus en plus rapidement, que l’appréciation humaine ne peut plus s’en tenir aux seuls facteurs des événements courants et d’une interprétation absolument prisonnière d’une très courte période historique marquée par le diktat d’une conception du monde, animée par la puissance de la matière, manipulée par l’imposture de la raison humaine.
Les événements qui se déroulent sous nos yeux représentent réellement l’apocalypse de toutes les certitudes qui ont fondé la démarche de notre civilisation depuis des siècles. S’il faut mettre en cause quelque chose, ce ne sont pas les événements, c’est le regard fermé de ces yeux aveugles qui les observent prétendument. Commentant les réactions officielles de Washington après le désastre de “dimension biblique” qui frappe le Pakistan, le commentateur Paul Woodward mettait en évidence bien sûr le croisement de la chose avec la psychologie épuisée, le regard aveugle, la capitulation désormais permanente de ces élites modernistes; il s’agissait de comparer la vérité du désastre et l’obsession de la pensée dévastée... «[“A] humanitarian disaster of monumental proportions,” says US Secretary of State Hillary Clinton; renewed evidence of the devastating impact of global warming — but what’s the real danger? The threat that should worry all Americans? Terrorism. This — the word “terrorism” — has become a mind-numbing drug that cuts us off from humanity and even the fate of the planet...»
Des événements d’une telle puissance, d’une telle dynamique, armés d’un potentiel si grand de bouleversement, exigent une attention à mesure. Ils témoignent du “mal” fondamental dont la modernité porte en elle quelques-uns de ses aspects essentiels. Il nous semble important de tenter de comprendre et de définir ce “mal”, dont l’espèce qui porte si haut la certitude de sa puissance jusqu’à l’extrême de la manifestation de sa vanité (21), est si manifestement affectée, effectivement bien plus prisonnière de lui qu’instigatrice et manipulatrice.
Nous observons in vivo, sous nous propres yeux (ceux qui veulent regarder) à la fois éblouis et terrifiés, la manifestation évidente de la métaphysique du monde et de notre destin. Ces très courtes années, – disons symboliquement depuis 9/11 puisque nous avons arrangé les événements de la sorte, mais avec tout ce qui a précédé, – sont en train d’introduire un bouleversement du monde qui va renverser deux siècles, et sans doute plus, – jusqu’à cinq siècles de notre Histoire marquant l’ambition la plus folle, la plus extrême, la plus aventureuse d’une raison humaine tombant dans la piège de la puissance de la matière et y sacrifiant jusqu’à l’âme de l’être. Nous découvrons que l’âme, et l’esprit qui la recueille, ne sont pas des choses dont la raison humaine peut faire ce qu’il lui plaît. Notre pacte faustien avec le “mal” qu’est la matière déchaînée produit aujourd’hui tous ses effets. Devant les dimensions des événements, les serviteurs du dessein restent interdits. Les balbutiements de l’autiste ne suffisent plus, non plus que son persiflage.
1) Cette notion d’“opérationnalité”, particulièrement dans le cas de la question de la morale, est essentielle. Elle concerne les événements que nous vivons présentement (encore plus, toujours plus depuis 2010 à l’heure [janvier 2015] où sont écrites ces lignes), car jamais dans l’Histoire connue de nous le temps n’a été aussi dense, aussi compressé pour contenir le plus de d’événements possibles… Cette avalanche d’évènements, avec la façon dont ils sont traités, et pourtant avec le déni dont ils sont le plus souvent l’objet, pulvérise la morale conventionnelle et oblige absolument à chercher d’autres définitions du bien et du mal…
2) Ces remarques complètent la note précédente en lui donnant tout son sens qui doit être encore plus précisé à la lumière des événements qui se sont succédés depuis 2010. Ce sont les autorités en charge, les élites-Système, les directions politiques acquises au Système qui, par leur comportement, leur refus des vérités de situation, leur acharnement à affirmer et à tenter d’institutionnaliser les narrative, ont “opérationnalisé” cette pulvérisation de la morale. Il s’agit d’un événement considérable qui est de voir cette valeur universelle de la morale selon les conceptions humaines, c’est-à-dire selon des conceptions humanitaires érigées en valeurs universelles, c’est-à-dire une morale à prétention métaphysique pulvérisée par des événements courants de l’histoire courante, de l’histoire non-métaphysique (en-dessous radicalement de la métaphysique). Par conséquent, les événements terrestres de notre époque démontrent la fausseté métaphysique de la morale-conventionnelle (bien et mal théorique) sur laquelle toute la modernité est bâtie. L’un des exemples les plus frappants de cette “pulvérisation de la morale”, en cours sous nos yeux, est la destruction de l’artefact moral érigé en “métaphysique-simulacre” qu’est l’Holocauste de la Deuxième Guerre mondiale. Les événements d’Ukraine et l’acceptation par notre contre-civilisation d’une réhabilitation quasi-complète de facto du nazisme est l’opération la plus révélatrice, la plus sensationnelle dans ce sens, et par conséquent la plus autodestructrice pour la poutre maîtresse de la morale du Système. (Voir notamment nos textes du 3 octobre 2014 et du 8 décembre 2014.)
(3) L’adjectif “actuelle” pour qualifier la “morale” qu’on convoque ici doit être perçue plus selon une perspective idéologique, sinon conceptuelle, et nullement chronologique même si la chronologie renforce le propos. La “morale actuelle”, c’est la morale de la modernité, que nous rejetons parce qu’elle se définit, selon nous, en fonction des diktat de la modernité, pour les renforcer expressément. Il n’est pas question ici de condamner (ou non) cette morale mais d’écarter cette méthodologie de définition de la morale.
(4) Le rapport entre “mondialisation” et “globalisation” (globalization) est fascinant, notamment dans le fait que ces deux mots apparaissent dans la seule langue française parmi les langues majeures. Comme on le voit dans le développement, “mondialisation” implique une mise en forme géographique du monde en fonction de l’extension de certaines activités, et c’est bien une dynamique structurante. La “globalisation”, par contre, étant dérégulation et destruction des structures mises en place par la mondialisation, est donc une déstructuration. Les analogies symboliques entre bien et mal et ces situations sont évidentes au niveau le plus fondamentalement opérationnel de la situation du monde. Cela permet d’approcher d’une façon extrêmement concrète cette démarche qui se fonde sur le constat central que le Mal est d’abord déstructuration (précisément déstructuration-dissolution-entropisation, ou “dd&e”), notre réflexion générale se développant à partir de ce constat. Le cas de la langue française (existence des deux mots, “mondialisation” et “globalisation”) est fascinant, parce qu’il reflète à la lumière de notre interprétation la dualité profonde de ce pays qui a déjà marqué dans l’histoire combien il était capable du plus sublime comme du plus catastrophique dans son influence sur la marche du monde. (La présence du seul mot globalization dans les langues anglo-saxonnes est également significatif, et augmente, dans ce cas comme tant d’autres, la puissance fascinatoire des langages exprimant bien plus que de la communication, jusqu’à des vertiges métaphysiques et des abîmes d’inversion … Globalization, terme anglo-saxon, est à la fois un symbole et une réalité renvoyant au domaine du maléfique.)
(5) Initialement, le titre ne donnait pas une majuscule à “grâce”…
(6) Voir la note [10], dans notre Glossaire-dde.crisisdu 29 novembre 2011. Les mêmes remarques sont ici tout aussi valables.
(7) Est-il piquant, ou bien ionique, de parle de modernité” (“dans le bon sens…”, etc.) à propos de Plotin ? Implicitement, la remarque effleure un problème fondamental de notre pensée générale qui s’est embourbée, encalminée, dans l’immobilisme pseudo-eschatologique de la postmodernité. Plotin se situe évidemment dans la grande chaîne de la Tradition, ou de la philosophie principielle, et le citer dans le contexte actuel, de notre époque présente, et avoir à aucun instant la sensation que cette citation ne détonne en quelque façon que ce soit dans le contexte général donne une mesure de la profondeur abyssale de la crise qui nous pulvérise. Plotin est “moderne” parce que la modernité en tant que projet ontologique de situation du monde a été pulvérisée par la tangente de la postmodernité (dito, tout est à peu près bien, plus vraiment de raison d’attendre mieux, des améliorations de-ci de-là, etc., – bref, comme l’on dirait la philosophie du “je botte en touche” ou du “bouche-trou”, au choix) ; nous en revenons alors aux questions fondamentales et simples de notre existence. Il reste à la Tradition, la philosophie principielle, à se faire sa place dans cette triste évolution.
(8) Encore cette insistance sur l’accès à la métaphysique, non par dogme, non pas esprit de la théorie, mais par nécessité devant l’impuissance du monde physique de répondre à nos questions sur l’évolution de ce qui est perçu comme une crise complètement fondamentale de ce monde physique lui-même. (Ce serait la crise physique du monde physique qui, par son aspect totalement hermétique, conduirait à la nécessité de l’appel à la métaphysique.. On voit même, deux lignes plus loin, que le recours à la métaphysique est perçu comme un “acte de résistance” («…par simple acte de résistance et de réaction»).
(9) Chronologiquement, nous dirions que le “sur la voie de …” est dépassé, que nous sommes désormais (en ce début de 2015) dans une époque métaphysique. Il nous apparaît qu’on peut considérer l’hypothèse selon laquelle la crise ukrainienne marque le début de cette époque métaphysique effective. Les différents acteurs vivent dans des décalages où les notions d’espace-temps sont décalées, voire totalement étrangère, dans leurs perceptions effectives de la situation. Ce sont des personnages métaphysiques, pour le pire ou le meilleur.
(10) Cette remarque, comme beaucoup d’autres dans ce passage, met en évidence un aspect fondamental de notre démarche. Nous n’avons pas cherché précisément à “entrer en métaphysique”, à faire le choix de la réflexion métaphysique. Au contraire, notre démarche est opérationnellement inductive : nous sommes forcés, nous avons été forcés de nous orienter vers le domaine métaphysique parce que les événements, comme nous les interprétons nécessairement, nous y conduisent inéluctablement. Nous ne somme ni prisonniers ni dépendants de rien, nous sommes en notre esprit et dans les observations qu’il est conduit à faire, sur cette voie qui nous dit : “Hors de la métaphysique, point de salut pour l’esprit. La métaphysique est une délivrance pour nous. Qui ne comprend pas cela ne peut suivre de façon enrichissante notre démarche.”
(11) Rappel : hybris pour “vanité”.
12) Aujourd’hui nous interprétons cet aspect des remarques de Wheeler, qui ne s’en est jamais expliqué à notre connaissance, comme une sorte de forme ironique et hypothétique signifiant “ce qui aurait été son chant du cygne, comme une sorte d’aveu de capitulation devant la puissance de la bureaucratie du Pentagone, s’il n’était resté six ans de plus, complètement obnubilé par les suites de l’attaque 9/11 qui ont tout changé dans ses orientations et ses priorités...”
(13) ... Encore une fois, nous ne sommes nullement précis là-dessus, sans limiter le mal à la matière, sans l’identifier, sans l’y faire correspondre, etc., – c’est-à-dire toujours avec l’hypothèque fondamentale d’une recherche de définition de ce qu’est “la matière” (“la Matière”) pour nous, ce qui doit mener à rechercher et tenter d’identifier parallèlement le mal en raison de ce qui unit les deux concepts.
(14) Dans ce membre de phrase, – “l’un de ses vecteurs (la bureaucratie du Pentagone non pas du point de vue humain mais en tant que mécanique d’un système anthropotechnologique qui [est un des représentants opérationnels aujourd’hui du] “déchaînement de la matière”)”, – le mot “fondamentaux” est supprimé et la partie [entre braquets] est rajoutée, remplaçant le membre de phrase “d’un système anthropotechnologique qui représente le mieux aujourd’hui”. Cela marque notre évolution certaine à cet égard, qui accompagne d’une part le constat du déclin accéléré du système du technologisme (alors que le système de la communication, beaucoup plus Janus vis-à-vis du “déchaînement de la Matière”, est en pleine expansion), d’autre part la conviction que l’importance accordée à l’aspect mécanique de cette sorte de système est trop importante pour convenir à l’esprit de notre rangement général. Si l’on veut plus encore de précision, nous irions jusqu’à penser que les systèmes anthropotechnologiques perdent l’importance spécifique que nous leur accordions dans l’odyssée du Système en général et de son effondrement, mais compensent cette perte par une importance de plus en plus accrue du point de vue de la communication, de la perception qu’on en a, etc.
(15) Voir note (11).
(16) Voir, dans notre nouvelle formule, le 29 novembre 2014 de notre Glossaire.dde-crisis: “la crise de la raison (humaine)”.
(17) Cette question de l’intuition n’a cessé d’être débattue et développée par nous depuis la parution en septembre 2010 de ce texte de MI>dde.crisis que nous re-publions. Elle a débouché sur la notion d’“intuition haute”, sur laquelle nous travaillons également beaucoup. On trouve des exemples très récents de ce travail dans le texte du 9 janvier 2015 et dans celui du 11 janvier 2015. Dans ce dernier, nous rappelons une des références initiales faites sur ce ite à l’“intuition haute”.
(18) Aujourd’hui, nous dirions que “le sacré”, qui a évidemment une signification métaphysique absolument complète, doit aussi être perçu comme une dimension humaine, terrestre, avec une dimension, “physique” tout aussi “absolument complète”. Le “sacré” est quelque chose de métaphysique qui est en nous, nous qui sommes également des êtres physiques, et il se trouve dans cette partie absolument physique de nos êtres. Cette situation fait de nous des êtres avec une dimension métaphysique mais elle fait en retour du “sacré” un concept métaphysique qui a une dimension “physique” essentielle, cette dimension n’étant alors ni accessoire ni marginale. Le “sacré” est un lien fondamental entre le physique et le métaphysique, pour être également présent dans les deux.
(19) Il s’agit de Michel Winock et de son livre Le siècle des intellectuels. On ne parle pas ici ni du livre, ni de son contenu, mais de la surprise de l’auteur lorsque la jeune (et ravissante) présentatrice lui posa la question évoquée ici. Manifestement, cette question-là ne lui était pas venue à l’esprit ou bien ne s’y trouvait pas à cet instant, et nous en déduisons que sa réponse, spontanée et franche sans le filtre de la réflexion par rapport à la bienpensance, est d’autant plus révélatrice.
(20) Cette situation, ici présentée d’une manière critique, est décrite d’une manière constructive, sinon heureuse, comme la définition même de la postmodernité. (Le terme “heureux”, souligné de gras, est bienvenu dans le sens dialectique de la satisfaction de l’oreille, – pas plus. S’il le faut, au reste, nous modifierons la définition du mot “heureux” [“bonheur”] de façon à ce qu’il n’y ait plus d’obstacle à la beauté fermée du raisonnement.) Plus rien n’est absolument essentiel, puisque l’essentiel est acquis, ni le sens des mots d’ailleurs ; tout est malléable, élastique, tout peut être modifié pour que la construction recherchée garde la cohérence qu’il a été décidé de lui donner.
(21) Voir note (11).
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