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1548Même si une attaque “chirurgicale” contre la Syrie, si effectivement une intervention US a lieu et si elle est cantonnée à cette sorte d’action, ne devrait pas être considérée comme “une guerre en soi”, elle le sera dans l’atmosphère d’extraordinaire tension qui règne aujourd’hui. (Une “frappe chirurgicale” est “un acte de guerre”, “une action d’agression illégale”, etc., mais elle ne répond pas à la définition d’une guerre comme, par exemple, le Vietnam ou l’Irak 1990-91 et en 2003. Mais c’est la perception qui parle en l’occurrence, et la perception y verra une guerre, comme elle le voit déjà dans l’examen des projets discutés d’une façon si ouverte ... Ce point est d’ailleurs un élément psychologique d’une singulière importance, à ne négliger en aucun cas ; cette perception très largement répandue recèle des risques considérables d’élargissement évidemment incontrôlé du conflit, ou bien à l’inverse, si l’opération tarde ou est annulée, des risques considérables de crise intérieure à Washington.)
Paul Joseph Watson, sur infowars.com le 27 août 2013, rappelle les différents degrés de popularité des guerres récentes des USA, en constatant que cette “guerre” contre la Syrie serait sans aucun doute la moins populaire. (Le dernier sondage situe cette “popularité” aux USA à 9% des opinions exprimées.)
«If Obama got the United States embroiled in a conflict with Syria, it would be the least popular war in the history of the country.
»Even at its most dire point in May 1971, 28 per cent of the American people still thought it was the right decision to send troops into Vietnam. Despite the predictable hellhole it later turned into, Obama’s intervention in Libya was supported by a comparatively huge 47 per cent of Americans back in 2011, while 76 per cent initially supported the invasion of Iraq and 90 per cent backed the assault on Afghanistan.
»As Washington’s Blog highlights, other things that Americans find more appealing than attacking Syria include “North Korea, cockroaches, lice, root canals, colonoscopies, traffic jams, used car salesmen, Genghis Khan, Communism, BP during the Gulf oil spill, Nixon during Watergate or King George during the American Revolution.” Even Congress with its 15 per cent approval rating is almost twice as popular as the notion of attacking Syria...»
A côté et au contraire de cette situation de l’impopularité de la “guerre”, il existe tout un courant politique, allant des neocons aux libéraux bellicistes et interventionnistes, qui pousse à l’intervention et juge qu’Obama perdrait sa crédibilité s’il n’intervient pas, et ce courant bénéficiant pour l’instant des faveurs du système de la communication comme caisse de résonnance assourdissante. La communication réalisée à cet égard du côté du pouvoir va dans ce sens, dans la mesure où la Maison-Blanche et l’administration ont laissé filtré depuis quatre jours des indications précises sur l’intervention contre la Syrie, comme si celle-ci était d’ores et déjà décidée. Effectivement, ces divers éléments concourent à engager le crédit d’Obama et l’idée selon laquelle le président perdrait sa crédibilité s’il n’intervient pas est très largement répandue ; on peut même dire que, de ce point de vue, sa “ligne rouge” à lui est quasiment franchie... En d’autres termes, s’il n’ordonne pas une attaque, sa crédibilité sera fortement réduite, jusqu'à recéler les éléments d'une crise de la présidence. Effectivement, si l’on place cette probabilité dans la perspective des récentes difficultés qu’a connues Obama, qui ont d’ores et déjà fortement entamé cette crédibilité, notamment les crises égyptienne et Snowden/NSA, une nouvelle perte de crédibilité avec l’affaire syrienne accélérerait la spirale infernale qui est en train d’investir sa présidence.
C’est entre ces deux écueils que navigue Obama actuellement, dans une occurrence dont il a montré qu’il la détestait tant il est largement présumé qu’il est loin de favoriser une intervention à tout prix, dans une séquence qui doit être rapidement bouclée par une décision alors qu’il déteste se voir imposer des décisions. C’est à ce point qu’on en vient à réaliser que l’actuel épisode paroxystique de la crise syrienne a également une dimension intérieure considérable aux USA. La question de l’impopularité dans le public d’une attaque perçue comme une “entrée en guerre” ne pèse pas directement sur la décision de lancer une attaque, mais sur un contexte général de mécontentement qui affecte profondément la position du président, et à laquelle il ne peut être que sensible ; on veut dire par là, disons d’une façon “opérationnelle”, qu’il existe un ensemble de forces, notamment au Congrès, qui s’opposent à l’attaque mais ne parviennent pas à peser dans ce sens, mais qui s’appuieront sur l’impopularité probable dans le public de la décision pour pousser leur avantage dans d’autres domaines, d’autres crises, d’une façon qui affectera la position générale d’Obama déjà si incertaine. Ainsi le paradoxe est-il que l’impopularité d’une “entrée en guerre” ne pèse pas directement sur la décision mais qu’elle pèse indirectement, et avec une force considérable, sur la forme de la décision (comment renverser la perception populaire de façon à ce qu’elle ne soit pas considérée comme une “entrée en guerre”) ; cela achève de boucler un cercle vicieux parce qu’il est extrêmement difficile de prendre une décision qui conserve à Obama sa crédibilité auprès des forces bellicistes mais qui ait pourtant une telle forme qu’elle puisse écarter la perception d’une “entrée en guerre”. Ainsi Obama est-il pris entre un cercle vicieux et une spirale infernale, où l’on constate que la question qui est en jeu concerne effectivement la décision de frappe en Syrie, mais la dépasse considérablement en vérité en la liant aux autres crises qui ont pesé sur lui tout l’été, – et qui, d’ailleurs, ne sont pas finies, notamment la crise Snowden/NSA qui est passée au second rang mais qui est loin d’avoir donné tout son potentiel.
Obama est un homme de manœuvre, un homme de compromis, mais sûrement pas un homme de décision, sinon de décisions qui sont elles-mêmes des manœuvres et des compromis. Le paradoxe actuel est donc que son côté Hamlet qui est de repousser les décisions pour mieux manœuvrer sans se compromettre (“to act or not to act”, “to decide or not to decide”) est fortement sollicité selon sa nature même, alors qu’il se trouve dans une séquence qui nécessite un acte qui dément complètement cet aspect. La psychologie d’Obama est aujourd’hui sa plus grande faiblesse, alors qu’en nombre de circonstances certains ont pu juger que c’était sa principale qualité face à la division d’un pouvoir impuissant et paralysé qu’est la situation washingtonienne. Au contraire, les pressions exercées sur lui dans la situation actuelle sont de parvenir à un acte qui serait le contraire d’un pouvoir impuissant et paralysé, avec la perspective paradoxale que cet acte rende son pouvoir à lui encore plus impuissant et paralysé à Washington même.
Si l’on tient pour très fortement probable qu’Obama ne pourrait pas revenir sur une décision qui est partout jugée comme d’ores et déjà prise, on en est conduit à l’hypothèse que c’est sur cette forme de décision que se jouerait ce qui devient un coup de poker du président par rapport à sa position intérieure aux USA. (Nous pourrions faire ici l’hypothèse qu’Obama doit détester le poker, si l’on se réfère à sa psychologie.) L’on est alors conduit à penser que la forme de l’attaque serait strictement calculée pour avoir, du point de vue de la communication, le moins d’effets guerriers possibles (réduire la perception de l’“entrée en guerre”), ce qui amènerait effectivement à une frappe très limitée, selon l’hypothèse la plus souvent envisagée.
On entre alors dans le domaine de l’hypothèse la plus envisagée, d’opération très limitée, une “punition” ponctuelle voulue comme sans lendemain bien plus qu’une ouverture stratégique dégageant des perspectives nouvelles ; c'est un modèle qui fait de plus en plus l’objet de critiques d’experts, de spécialistes, etc., se référant à des opérations de ce type qui ont déjà été réalisées, qui n’ont donné aucun résultat décisif, qui ont même donné des résultats contraires à ceux qu’on attendait. (Voir par exemple ce texte de McClatchy, le 27 août 2013 : «The type of limited, punitive military campaign now being contemplated against Syria has failed to deter U.S. adversaries in the past, and at times emboldened them, military analysts say.») On peut même envisager que cette opération voulue pour n’avoir aucun effet décisif, pour pouvoir être strictement contrôlée, et qui serait strictement contrôlée pour en limiter tous les effets “guerriers”, entrerait par ses caractères dans le domaine inverse : une opération trop réduite pour imposer une maîtrise permettant de la contrôler, mais donnant à d’autres acteurs la possibilité de profiter de cette circonstance pour lancer certains de leurs projets stratégiques, donc une opération sans effets réels sinon celui d’ouvrit une espèce de boîte de Pandore dont nul ne sait ce qu’il en sortirait. Le paradoxe final est que cette sorte de décision pour un acte aussi limité et contrôlé que possible conduirait à une situation où des prolongements extrêmement déstabilisants seraient si possibles qu’ils en deviennent absolument probables, – des prolongements justement éloignés de toute limitation et de tout contrôle. Cette sorte d’analyse, qui se répand de plus en plus, corrode elle aussi la “crédibilité” du président US dans ce tourbillon de communication que constitue la “national conversation” washingtonienne sur la perspective de l’attaque.
Pour clore ce tableau de l’“hystérie incertaine” où l’incertitude ne cesse de prendre de plus en plus de place, voici une dernière touche au tableau psychologique. C’est celle d’un expert en politique extérieure avec lequel nous ne sommes pas toujours d’accord, – c’est un parangon du réalisme au nom des “intérêts nationaux” US et un homme de l’establishment en somme, – mais qui, au moins, développe une pensée rationnelle refusant de céder à l’affectivité. Son analyse, à la fois psychologique, à la fois sensible au diktat de la communication qui s’exprime par des formules totalitaires (“red line”, “U.S. credibility”), donne une des clefs de la situation actuelle, – l’indécision, les actes posés avec réticence et dont on est pourtant prisonnier, la paralysie et l’impuissance du pouvoir face à des forces qui le dépassent, – celles du Système exerçant une poussée inouïe pour suivre une politique-Système de déstructuration, et suscitant pourtant des réactions antiSystème. Dans ce cas, c’est Stephen Walt (dans Foreign Policy le 27 août 2013) qui développe une réflexion antiSystème et s’interroge, presque découragé de devoir encore commenter une telle catastrophe qu’est devenue, de nos jours, la politique extérieure US, celle du bloc BAO, – bref, la politique-Système ... Il dénonce le mythe de la “crédibilité” de la puissance US, cette tarte à la crème du Système, si habilement maniée pour qu’elle enfonce plus encore ces piètres directions politiques dans les enlisements sans fin, accélérant ainsi la marche vers la catastrophe finale. Ces quelques phrases ne sont pas pour nous déplaire mais, pour la gloire du sapiens, y compris le sapiens-POTUS qui prétendrait à la gloire de l’homme d’État, cela laisse à penser...
«What is most striking about this affair is how Obama seems to have been dragged, reluctantly, into doing something that he clearly didn't want to do. He probably knows bombing Syria won't solve anything or move us closer to a political settlement. But he's been facing a constant drumbeat of pressure from liberal interventionists and other hawks, as well as the disjointed Syrian opposition and some of our allies in the region. He foolishly drew a “red line” a few months back, so now he's getting taunted with the old canard about the need to “restore U.S. credibility.” This last argument is especially silly: If being willing to use force was the litmus test of a president's credibility, Obama is in no danger whatsoever. Or has everyone just forgotten about his decision to escalate in Afghanistan, the bombing of Libya, and all those drone strikes?
»More than anything else, Obama reminds me here of George Orwell in his famous essay “Shooting an Elephant.” Orwell recounts how, while serving as a colonial officer in Burma, he was forced to shoot a rogue elephant simply because the local residents expected an official of the British Empire to act this way, even when the animal appeared to pose no further danger. If he didn't go ahead and dispatch the poor beast, he feared that his prestige and credibility might be diminished. Like Orwell, Obama seems to be sliding toward “doing something” because he feels he simply can't afford not to.»
Mis en ligne le 29 août 2013 à 04H16