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11238 octobre 2010 — L’actuelle tension (mais oui, mais oui) transatlantique concerne-t-elle le terrorisme, ou bien la “stratégie” occidentale (c’est-à-dire US) en Afghanistan, ou bien le destin électoral de Barack Obama, ou bien les relations transatlantiques ? “Les quatre, mon colonel”, répondra-t-on respectueusement, car nul n’est avare aujourd’hui de l’abondance des sujets, ni de leur mélange parfois étonnant au point de détoner.
Les diverses alertes au terrorisme de ces derniers jours relèvent de diverses initiatives américanistes (et de renseignements à mesure, espère-t-on sans trop y croire) et elles sont parfois exprimées en termes grotesques. (Voir notre Ouverture libre de ce 8 octobre 2010, sur Paul Woodward, de War in Context.) Elles s’accompagnent d’initiatives diverses destinées à “légitimer” ces initiatives, comme la présence d’un sous-ministre US à la réunion des ministres de l’intérieur de l’UE du 7 octobre (voir Bruxelles2 du 8 octobre 2010). Elles provoquent en Europe de l’agacement, ou bien même, bien plus que de l’agacement, de l'exaspération. Enfin, elles sont liées, par les commentaires européens et pakistanais, ces derniers extrêmement agacés eux aussi, à la position politique pathétique du président Obama et à la “stratégie” furieuse des USA dans la zone dite AfPak (pressions et attaques contre le Pakistan, pour justifier la thèse que la “victoire” en Afghanistan se joue au Pakistan).
• On peut lire un bon résumé de ces tensions essentiellement transatlantiques à propos de ces alertes terroristes en Europe, suscitées par les USA, sur le site WSWS.org le 7 octobre 2010. Le soupçon européen est notablement répandue, d’une administration Obama manipulant cette affaire pour renforcer sa position électorale.
• On y ajoutera le texte du Guardian du 8 octobre 2010 (Voir aussi notre Ouverture libre de ce
@PAYANT Il est vrai que les commentaires divers officiels européens à l’égard des initiatives d’alerte au terrorisme des USA sont nombreux et furieux, certains même à visage découvert comme dans le cas du ministre allemand de l’intérieur Thomas de Maizière. Si l’on était cynique, l’on dirait que les USA ont intérêt à vite sortir une arrestation crédible, et les terroristes à vite tenter une attaque en Europe, si l’on ne veut pas que les relations transatlantiques se détériorent un peu plus, et que le terrorisme perde encore du peu de crédit qui lui reste.
D’une façon générale, ce sont les Allemands qui mènent la charge. Il faut dire que l’affaire de l’automne 2009 (le vacillement de l’euro et l’effondrement accompagné de la Grèce) leur est restée sur l’estomac. En petit comité et dans les réceptions mondaines où l’on s’échange des confidences, les diplomates allemands ne cachent pas la certitude où est leur gouvernement qu’il s’est agi, à l’automne 2009, d’une “tentative de déstabilisation” de l’Europe lancée en bonne et due forme par les USA, comme une stratégie délibérée et quasiment officielle, et pas seulement un prolongement de la crise financière et de la rapacité irresponsable de telle ou telle banque US. L’appréciation allemande dans l’affaire actuelle (le terrorisme) ne doit pas être loin d’être la même : une “stratégie délibérée et quasiment officielle”. Cette fois, on y ajoute la situation d’Obama, avec des élections considérées comme perdues d’avance et une stratégie US en Afghanistan en complet désarroi, avec des initiatives brutales contre le Pakistan. Inutile de dire que les Pakistanais abondent dans ce sens.
La fureur “européenne” des Allemands n’est pas qu’allemande, elle tend à devenir vraiment européenne. Le Guardian cite des diplomates et des officiels du renseignement “européens”, c’est-à-dire de divers pays européens autant que des institutions européennes. (La France ne brille guère par son originalité dans ce concert. Fidèle au désordre extraordinaire qu’est devenue sa politique et à sa pose avantageuse devant les dangers “à la mode”, islamiste et terroriste, et cela à l’image de son président naturellement, elle ajoute foi aux assertions US ; puis elle revient un peu là-dessus quand il s’avère que la réaction européenne autant que l’évidence rendent cette foi un peu naïve à force d’énervement incontrôlé, à l’image de son président évidemment.)
On en est donc venu, au niveau européen, à la thèse allemande (thèse par ailleurs relayée par la Commissaire européenne et luxembourgeoise, madame Reding). C’est ce que WSWS.org exprime ainsi, en termes délicieusement trotskistes : «The latest comments by Reding and de Maizière refuting the US terror scare campaign indicate that some sections of the European bourgeoisie are increasingly reluctant to blindly follow the US in a war in Afghanistan and Pakistan that threatens to end in catastrophe and in turn bring the real danger of a terrorist response in Germany and Europe.» A ce commentaire, il manque bien sûr l’argument électoral (de la situation d’Obama et des démocrates), qui est venu enrichir le propos.
Ce qui est notable, c’est la rapidité du regroupement autour de l’explication élaborée surtout du côté allemand, dont le fondement est un soupçon fondamental à l’encontre des USA, à l’encontre de ce qui est perçu comme une tendance américaniste systématique à la machination et à la manipulation. Il s’agit d’un signe qui montre combien la crise de 2008-2009 autant que la déception considérable de l’Europe devant l’évolution de l’administration Obama ont rendu désormais structurelle une réaction presque hostile de soupçon à l’encontre des USA, – celle qui prédominait sur la fin de l’administration Bush, mais alors avec l’espoir que cette situation n’était que conjoncturelle, effectivement liée à l’administration Bush. Bien entendu, les diverses agitations américanistes depuis 9/11 ont fait plus qu’il ne faut pour justifier le soupçon… On en serait à constater que tout soupçon contre les USA est justifié puisque “si tu ne sais pas pourquoi tu soupçonnes les USA, eux, les USA, le savent certainement”.
Précisons aussitôt qu’il ne s’agit nullement d’une “rupture”, et la solidarité, voire la proximité transatlantiques, sont plus que jamais présentes dans le discours officiel, magnifiées, exhibées, portées en triomphe. Il s’agit plutôt et très simplement du formidable désordre général, qui est celui de l’américanisme comme du reste, et, par conséquent, des relations transatlantiques, – la folie américaniste ayant tout de même une position centrale très créatrice à cet égard. La solidarité et la proximité transatlantiques n’ont plus du tout aujourd’hui la signification d’antant ; c’est-à-dire qu’elles n’ont plus de signification du tout ; elles surnagent, comme autant de bouées de sauvetage illusoires et sans usage, de celles qui vous assomment quand on vous les lance pour vous sauver, sur la “houle déferlante” d’un océan déchaîné, – et effectivement atlantique, bien sûr. L’autre jour (le 5 octobre), à l’ambassade allemande à Rome où l’on fêtait l’anniversaire de la réunification allemande, l’ancien ministre des affaires étrangères et vénérable Hans-Dietrich Gensher, l’homme qui avait un buste de Bismarck dans son bureau de ministre, faisait un discours où il proposait, pour sauver le monde, un “nouvel ordre mondial” avec l’Allemagne comme “moteur européen” et les Etats-Unis d’Amérique… Que voulez-vous qu’ils aillent imaginer d’autre, et que croyez-vous que cette brillante proposition produira comme effet sur la “houle déferlante” de l’Océan Atlantique, en fait de solidarité et de proximité ?
Il ne s’agit donc pas d’une rupture d’un lien qui existe toujours mais qui n’a plus aucun usage, qui est comme un fantôme du passé si lointain, qui ne rassemble que des désordres concomitants et complémentaires, qui n’a plus aucune signification dynamique. Le lien inutile existe donc toujours et il a la fonction étrange de permettre à tous les soupçons, à toutes les rancœurs, à toutes les frustrations, à toutes les critiques, de s’exprimer… Car, bien entendu, les Américains, ou citoyens de la partie américaniste du bloc américaniste-occidentaliste, ont autant de critiques, de frustrations, de rancœurs et de soupçons à exprimer contre les Européens, que les Européens à leur encontre. Le désarroi et le désordre sont partagés, ainsi que la fureur des océans du monde. Les pauvres, ils n’y peuvent rien…
Pour poursuivre sur ce qui est tout de même le thème de cet article de commentaire, on notera que Paul Woodward remarque combien la question du terrorisme semble paralyser les neurones habituels des cerveaux américanistes officiels («It appears that when US government officials try to think about terrorism their brains stop working…»). Il y a du vrai là-dedans, c’est-à-dire qu’il y a peut-être moins de machiavélisme organisé de la part de l’administration Obama que ne semblent l’estimer nombre de responsables européens. La question est de savoir si les neurones sont ceux de ces “officiels” ou bien ceux d’une machine incontrôlable, d’un système absolument déchaîné et que plus personne ne peut maîtriser. On connaît notre position là-dessus, autant par intuition que par expérience.
Il y a longtemps que l’on sait combien les réactions du système, du complexe militaro-industriel ou de l’énorme nébuleuse du renseignement et de l’action clandestine, – tout cela, une seule et même entité monstrueuse, certes, – se marient, engendrent ou suscitent des réactions humaines de “suivisme” ou d’exploitation par des machinations annexes de la part du personnel de la chose. Le terrorisme étant ce qu’il est, et les neurones ce qu’ils sont, on ne trouve pas de terrain plus propice et fécond à la fois pour les réflexes monstrueux du systèmes et pour quelques manigances très humaines à greffer là-dessus, éventuellement à destination des “amis transatlantiques”. Tout cela se fait dans une situation à la fois paralysée et d’urgence extrême, avec un président à la dérive et sans doute dépressif, une guerre en Afghanistan à peu près dans le même état, et la perspective d’élections catastrophiques (aux USA) pour à peu près tout le monde. C’est bien assez pour qu’on se préoccupe de l’une ou l’autre alerte terroriste, d’autant que les électeurs (aux USA) semblent bien trop préoccupés par leurs emplois qu’ils n’ont plus ou leur maison qui brûle sous les yeux des pompiers qui refusent d’intervenir parce que la facture municipale est impayée. (Belle anecdote, à propos de la maison qui brûle sous le regard des pompiers, sur l’état de l’esprit dans cette civilisation, sur WSWS.org le 6 octobre 2010, ou sur le Progress Report du 7 octobre 2010.) L’on sait que les démocrates, donc l’administration en place, n’ont qu’une crainte dans cet univers ossifié et halluciné, celle d’être accusé d’être soft sur les matières de sécurité nationale par les républicains, et une alerte terroriste fait toujours bon effet dans les dîners à Georgetown.
Par conséquent, on diagnostiquera, du côté US, l’habituelle attitude compulsive, l’humeur et le dynamisme paralytique de la bureaucratie, les petites affaires intérieures et électorales, le souci de secouer les Européens qu’on tient évidemment et à tout hasard pour responsables de la situation détestable qui règne en Afghanistan et ainsi de suite. Mais tout cela se place dans un cadre, dans une situation où règne en maître exigeant et tyrannique, qui est le système, avec sa dynamique folle, – paradoxalement une dynamique qui génère une complète paralysie de l’acte créateur et une parfaite impuissance de la pensée novatrice, ce qui est une bonne mesure de la crise générale. Ainsi se trouvent campés les acteurs habituels d’une tragédie dont nul ne distingue les fils qui pourraient conduire paradoxalement à la dénouer ; acteurs habituels, réflexes habituels, alertes habituelles, un peu de vrai, un peu de faux et énormément, considérablement de la routine d’une civilisation en cours d’effondrement… Les Européens, même eux, – mis à part les Français, sans doute, soudain touchés par la grâce, – doivent commencer à se douter de quelque chose. C’est le cas, sans aucun doute.
On se rappellera, il y a peu sur ce site (le 30 septembre 2010), ces remarques d’une source, une “personnalité allemande de haut niveau, qui a tenu des rôles ministériels et politiques (à la CSU)”, sur le phénomène américaniste et, plus précisément, le complexe militaro-industriel («…une machinerie dont on ne sait pas grand’chose, ni de ses origines, ni de ses buts, ni de ceux qui la dirigent réellement, et dont on peut même se demander très sérieusement si quelqu’un ou un groupe quelconque la dirige encore, si elle n’est pas complètement hors de contrôle»). Les Européens, et un Allemand dans ce cas, et de la bonne et pure droite atlantiste, se doutent donc bien de quelque chose, et fort précisément. Le problème est de savoir ce que leurs propres neurones peuvent faire de cette sorte de réflexion, – pas grand’chose, évidemment, puisqu’ils sont tous dans la même galère, sur “la houle déferlante”. En attendant, nous avons donc l’acrimonie, la rancœur des vieux couples qui restent ensemble dans la tempête de leur univers vermoulu qui s'effondre, avec l’un et l’autre qui se déchirent et se jettent à la figure l’accusation d’être responsable d’avoir fait lever cette tempête.
Là-dessus, une “attaque” terroriste pourrait avoir lieu, et nous aurions une crise nerveuse planétaire… Ou bien, nous tiendrions enfin une raison d’envisager une attaque nucléaire. (Contre qui ? On verra.)
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