Hystérie(s) pour nombre de massacres

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Hystérie(s) pour nombre de massacres

29 mai 2012 – Voici donc une autre hystérie en jeu, concernant le Syrie mais s’étendant jusqu’à l’Iran, qui risque de rendre le jeu (celui du bloc BAO) plus délicat qu’il n’était jusqu’alors, et même infiniment délicat. Les hystéries similaires se renforcent, les hystéries se découvrant l’une ou l’autre contradiction, ou dans des orientations finalement fondamentalement différentes, peuvent conduire à de bien douloureux carambolages. Toute hystérie, qui est l’exaltation jusqu’à la schizophrénie d’un désir irrépressible de prendre son irréalité pour la vérité, possède sa logique propre et souvent irrésistible dans le chef de l’hystérique, ce qui implique effectivement que deux hystéries appliquées au même sujet mais divergentes sur leur désir profond sont faites pour se heurter, – et nécessairement d’une façon hystérique ! – à un moment ou l’autre.

Après l’“hystérie pour un massacre” (voir le 28 mai 2012), voici le spécialiste incontestée de la chose : le Premier ministre israélien Bibi Netanyahou, flanqué de son désormais éternel coreligionnaire, le ministre de la défense Barak, sa vaste intelligence en bandouillère. Netanyahou a, pour la première fois depuis que les évènements de Syrie ont éclaté, pris une position officielle sur la crise syrienne à l’occasion du massacre de Houla (ou al Houla). Antiwar.com donnait la nouvelle le 28 mai 2012 de cette façon :

«Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu has released his first significant statement of the ongoing Syrian civil war in over a year, addressing the “appalling” deaths in the town of Houla, where at least 108 were killed Friday. But while most of the comments from the international community were self-serving attempts to condemn either the Assad regime or the rebels, Netanyahu appears chiefly interested in making things about Iran, so in his statement he condemned Iran and Hezbollah for the massacre, saying that the “world needs to take action” against Iran for the deaths.»

Dans un très intéressant commentaire, dans le sens d’être très révélateur, DEBKAFiles donnait le 27 mai 2012 un développement sur la position de Netanyahou. Cette fois, il n’importe pas, pour DEBKAFiles, de dissimuler qu’il est complètement aligné sur Netanyahou, mais le détail de l’explication est intéressant… A commencer par son introduction qui, paradoxalement, place le massacre de Houla en perspective, en précisant que d’autres massacres de même importance ont lieu au Moyen-Orient Syrie, notamment celui d’il y a six jours au Yemen, faisant plus de 100 morts. (DEBKAFiles aurait pu ajouter, mais c’est un peu trop lui demander, les attentats à la voiture piégée de Damas, avec ses morts par dizaines et dizaines ; ou bien, étendant l’aire de sa réflexion, parler des dizaines de morts, en général civils, chaque semaine au Pakistan et en Afghanistan, du fait de l’action des drones-tueurs de la CIA et consorts, depuis deux, trois, quatre ans, ce qui n’a jusqu’ici provoqué aucune crise de nerfs au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU… Ainsi va l’art du double standard, comme l’on dit d’une façon très scientifique.)

«The wanton slaughter by Syrian forces of 92 confirmed victims, 32 of them children under ten, at the Homs village of Al-Houla Friday, May 25, was the most horrifying atrocity in the Middle East this week, but not the only one: In Sanaa, six days ago, al Qaeda’s suicide bombers, having penetrated Yemeni military ranks, detonated two tons of explosives at a parade rehearsal killing more than 100 soldiers and civilians and injuring 400….»

Quoi qu’il en soit, on prendra donc le texte de DEBKAFiles, pour toutes les raisons du monde que nos lecteurs connaissent, comme l’exposition explicitée de la position de Netanyahou ; pour découvrir aussitôt qu’alors, le principal adversaire de Netanyahou en l’occurrence n’est nullement Assad ou n’importe qui en Syrie, mais bien Obama. DEBKAFiles lance une diatribe impressionnante contre Obama, contre ses idées diverses, notamment celle d’une “formule Yemen” pour la Syrie (remplacement du président yéménite Ali Abdullah par son vice-président Abdul Rabbu Mansour Hadi, en laissant en place toute l’administration et la structure de sécurité du régime, – la même chose pouvant être envisagée en Syrie avec le départ du seul Assad) ; idée qui reposerait sur l’accord secret qu’Obama aurait passé avec les Russes lors de sa rencontre avec Medvedev en marge du G8 pour cette “solution”. Dans la même foulée accusatrice, DEBKAFiles affirme qu’Obama cherche un arrangement avec l’Iran qui aurait également l’accord des Russes, et qui laisserait intact le régime iranien… Mais tout cela ne marche guère, juge DEBKAFiles, et le résultat est que la Syrie et l’Iran font traîner les choses en manœuvrant autour des diverses machinations US, sachant qu’Obama ne fera rien parce que la seule vérité de son action est qu’il veut éviter à tout prix un engagement militaire quelconque d’ici l'élection présidentielle…

Quoi qu’il en soit (suite), DEBKAFiles observe que les sombres machinations de BHO, telles que les voit Bibi, ont eu comme résultats de lier, d’intégrer encore plus décisivement les crises syrienne et iranienne, et de faire évoluer la situation au Moyen-Orient vers la perspective d’une redistribution des influences, en cas d’avancée de l’un ou l’autre plan d’Obama, exclusivement entre trois puissances : les USA, la Russie et l’Iran.

«So far, his venture has had two results: 1. The Iranian nuclear impasse and the outcome of the Syrian civil war have been more tightly integrated than ever before. 2. Any deal reached by the US, Russia and Iran on the two issues would have to entail a carving-up of Middle East influence among those three powers.»

DEBKAFiles n’est que DEBKAFiles, c’est-à-dire qu’il ne nous dit aucune vérité particulière assurée, sinon par inadvertance, mais saupoudrée d’orientation pro-israélienne dure ; par contre, il nous en dit beaucoup sur le sentiment de Netanyahou, vis-à-vis de BHO, et, par extension, vis-à-vis des crises syrienne et iranienne… Par conséquent, voilà éclairée la réaction de Netanyahou au massacre. Le Premier ministre entend signifier deux choses par sa prise de position, qui est de condamner l’Iran (et le Hamas) pour le massacre de Houla :

• D’abord, que la crise syrienne ne saurait être séparée, même par une période de temps spécifique, de la crise iranienne. L’une et l’autre sont intimement et inextricablement liées, et rien ne peut être fait avec l’une qui n’ait aussitôt des répercussions sur l’autre. Plus précisément, il ne saurait être question d’“avancer” dans la crise syrienne, soit pour la régler d’une façon ou l’autre, soit pour liquider Assad comme le voudraient la plupart des pays du bloc BAO, et notamment les USA, sans que la question de la crise iranienne soit aussitôt posée et doive effectivement être l’objet d’un processus semblable de résolution, celle-ci étant explicitement, selon Netanyahou, la solution d’une attaque pour éliminer le nucléaire iranien. (Cette idée d’un lien capital entre les deux crises ressort par ailleurs de notre conception de la crise haute, définie notamment, parmi ses multiples voies de formation, à propos du lien à établir entre les deux crises, notre idée étant qu’on ne peut plus séparer ces deux problématiques depuis la dramatisation de la crise iranienne de décembre 2011. La question ici n’est pas de juger bon ou mauvais l’argument de Netanyahou mais de constater un fait, par ailleurs substantivé par l’ampleur que le bloc BAO a imprimée à la crise syrienne, amenant notamment l’implication des Russes et des Iraniens en réaction, et conduisant à cette intégration des deux crises. Netanyahou ne fait que profiter de cette évolution structurelle pour poser ses propres conditions sur la table, – celles-ci, essentiellement à l’adresse des USA.)

• Ensuite, le deuxième point, qui s’impose comme le correspondant du deuxième point mentionné par DEBKAFiles, est qu’Israël n’entend pas laisser les grandes zones d’influence au Moyen-Orient aux USA, à la Russie et à l’Iran, surtout pas à l’Iran, et d’en être donc lui-même exclu. L’introduction d’un automatisme crise syrienne-crise iranienne, met en question cette situation prospective d’une façon radicale. Dans ce sens, le propos de Netanyahou est complété d’une façon qu’on pourrait juger concertée, et exprimée par un propos de son ministre Barak. Antiwar.com rapporte en effet que Barak, tout en suivant la même thèse de la responsabilité de l’Iran, affirme avec fougue que “le monde civilisé” doit à son honneur et à sa dignité (il connaît l’un et l’autre) d’envahir la Syrie («Israeli DM Ehud Barak’s comments likewise referenced Iran, but centered around calls for the world to invade Syria, saying that they were obligated to do so.»). Selon la logique développée par Netanyahou, cela implique de facto (les Israéliens sont habiles à cette sorte de de facto) que de telles hostilités s’étendraient naturellement à l’Iran puisque l’Iran est désigné comme le grand responsable de toutes les horreurs qu’on voit se dérouler en Syrie.

Ainsi est mise en place la stratégie de communication d’Israël pour écarter ce qui serait un obstacle pour lui, qui est la concentration de l’animosité du courant-Système de la partie américaniste-occidentaliste contre la Syrie aux dépens d’une mobilisation anti-iranienne ; et, plus précisément, pour contrer les plans américano-russes, selon les hypothèses de DEBKAFiles. C’est-à-dire qu’est retournée la stratégie supposée de BHO, d’obtenir un “Grand Arrangement” avec Russes et Iraniens sur la Syrie et l’Iran, pour en faire une Grande Conflagration liant la Syrie et l’Iran, avec l’achèvement de l’attaque de l’Iran qui reste le but unique de Netanyahou. Ainsi se trouvent confrontées, au-delà des grandes hypothèses géostratégiques d’origine israélienne qui servent surtout à rationnaliser la fureur israélienne anti-Obama, deux hystéries qui risquent de se trouver en état de confrontation dans leurs prolongements : l’hystérie anti-syrienne du bloc BAO et l’hystérie anti-iranienne de Netanyahou.

Le bloc BAO emporté par son hystérie

Dans cette partie, le bloc BAO, – avec les USA dont on remarque qu’ils sont notablement en retrait dans l’actuelle phase d’hystérie anti-syrienne par rapport aux Européens, – s’engage, ou plutôt est poussée vers une terra incognita qui peut s’avérer très dangereuse. Les plus audacieuses parmi les hypothèses qui font de l’hystérie anti-syrienne du bloc BAO un plan d’investissement de la Syrie pour renforcer un dispositif anti-iranien et accentuer l’isolement de ce pays, voire préparer une attaque contre lui, – thèse bien complexe qui n’est certainement pas la nôtre, – impliquent tout de même une action de type séquentiel où la chronologie joue un rôle important, où la crise syrienne est justement séparée de la crise iranienne lors de l'action contre la Syrie, au cours de laquelle il est important d’éviter une implication de l’Iran en Syrie, avec presque automatiquement l’idée qu’une telle possibilité entraînerait une implication des Russes dans le même cadre. On se trouverait là dans un cas où la confrontation militaire présenterait bien des risques.

Justement, l’intervention de Netanyahou, qui implique un puissant relais d’influence vers des courroies de transmission non moins puissantes, – notamment le Lobby à Washington, le fameux AIPAC, et le Congrès dans la foulée. C’est-à-dire que la thèse va être développée, et de plus en plus affirmée, du côté pro-israélien, que s’il faut intervenir en Syrie ce ne peut être qu’en prélude à une attaque de l’Iran, et un prélude enchaînant presque immédiatement sur cette attaque de l’Iran. Cette perspective n’est nullement faite pour ravir les divers pays du bloc BAO impliqués, notamment les Européens, même les plus anti-Syriens, et pas plus l’administration Obama qui cherche surtout à ne rien faire qui puisse troubler dans un sens belliciste incontrôlable la période d’ici l’élection de novembre.

D’un autre côté, et d’un côté extrêmement dangereux, si cette thèse maximaliste de Netanyahou de l’enchaînement quasi automatique Syrie-Iran se développe et trouve des appuis conséquents, on se trouve effectivement dans le cas évoqué plus haut. Par la force des choses et de l’interprétation de communication, il n’est même plus besoin d’attendre cet enchaînement Syrie-Iran… Dans un tel climat, l’Iran serait conduit à considérer qu’une intervention en Syrie est évidemment une intervention contre l’Iran ; dans le climat actuel, et le climat tel qu’il se développerait et se chargerait encore plus, Russes et Chinois seraient conduits à considérer la situation de la même façon que l’Iran le ferait. Tout serait alors en place pour une confrontation au plus haut niveau ; on peut d’ailleurs considérer que l’avertissement de Medvedev lancé au G8 de la possibilité d’une fuite en avant jusqu’à un affrontement nucléaire prend évidemment en compte cette sorte de scénario. (Dans ce cas, on rappellera que même une intervention en Syrie ne serait pas une “promenade de santé”, et même, éventuellement, l’amorce d’un désastre, si l’on se réfère aux évaluations des chefs militaires US, qui annoncent que, pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, événement extraordinaire, les forces aériennes US pourraient n’avoir pas la supériorité aérienne à cause de la défense anti-aérienne syrienne entièrement organisée par les Russes.)

Bien entendu, l’espoir du bloc BAO, c’est d’amener la Russie dans son camp, mais la chose ne semble pas se dessiner selon ce schéma et les hypothèses proclamées dans ce sens, notamment par les commentateurs, relèvent de la même hystérie qui les pousse à attaquer sans cesse le gouvernement syrien. Les Russes ne veulent à aucun prix d’une seconde Libye et s’ils peuvent être tentés par des “plans” du type qui est avancé par DEBKAFiles, cela suppose une révision radicale de la communication et de l’hystérie anti-syrienne du bloc BAO puisque le gouvernement et les structures de l’État syriens resteraient en place. Au-delà de cela, il serait étonnant que la Russie bouge dans le sens voulu par la bloc BAO, parce que cela signifierait pour elle une terrible défaite politique et psychologique (“perdre la face”), l’effondrement de toute sa politique extérieure, l’extension du désordre, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de la Russie, alors que ce pays se trouverait en position de très grande vulnérabilité et ainsi de suite. La probabilité va plutôt dans l’autre sens, celui d’un durcissement de la Russie si l’hystérie du bloc BAO se poursuit, et sans doute un durcissement avec un rassemblement du BRICS autour d’elle.

Ainsi trouve-t-on ces deux développements hystériques qui sembleraient parallèles, ou complémentaires, devenir soudain dramatiques et antagonistes. Pour le bloc BAO, continuer à se laisser emporter dans son hystérie anti-syrienne, c’est courir le risque de devoir emprunter la voie de l’hystérie anti-iranienne de Netanyahou, et passer à la possibilité d’une confrontation de très grande ampleur dont nul ne sait ce qu’il pourrait en sortir. Dans l’état où se trouve le bloc BAO aujourd’hui, il s’agit d’un véritable risque d’effondrement ; dans la parole du néo-sécessionniste du Maine Tom Naylor qui s’appliquait aux USA (voir le 26 avril 2010 : «There are three or four possible scenarios that will bring down the empire. One possibility is a war with Iran.»), on pourrait alors inscrire l’Europe.

Le plus remarquable de ces hypothèses si sombres, c’est de constater combien elles dépendent peu de plans concertés, de projets formidables de conquête et d’hégémonie (les “plans” supposés d'Obama n'étant pas du tout de cette sorte), – c’est dans tous les cas, très fermement, notre avis. D’une façon générale, aucun pays européen, ni la direction US ne veulent une guerre en Iran, ni même une intervention en Syrie, – d’abord parce que nul n’a les moyens, ni la solidité pour assumer un tel choc, parce que ces pays se trouvent intérieurement au bord de troubles sans précédent. Il n’y a aujourd’hui qu’une seule force principale en action, cette psychologie hystérique entraînée par la communication, et qui, fondamentalement, répond aux formidables pressions de la dynamique du Système. Selon notre principe essentiel d'analyse, on sait que cette dynamique de surpuissance est passée dans le mode de l’autodestruction. La Syrie n’est pas une question de diplomatie ni de la problématique pompeuse et faussaire des droits de l’homme, c’est une question de survie, – et peut-être, sans doute, beaucoup plus pour le bloc BAO que pour la Syrie elle-même.